Publié le 19 Nov 2017 - 02:08
ADHÉSION À LA CEDEAO

Le Maroc en opération de phagocytose 

 

Déverser ses produits dans les pays africains, tout en bloquant la circulation des personnes, dynamiter les secteurs de production et importer les conflits des pays arabes dans la Cedeao. Voilà, en résumé, les conséquences de l’intégration du Royaume chérifien dans l’espace communautaire. L’analyse est du Comité de suivi sur l’adhésion du Maroc qui présentait, hier, une étude faite sur la question.

 

L’intégration du Maroc dans l’espace Cedeao continue de mobiliser le secteur privé, des intellectuels et la société civile. Hier, le Comité d’initiative pour le suivi de l’intégration (Cisi) a présenté  le rapport final portant étude sur l’adhésion du royaume à l’espace communautaire. En un mot comme en mille, la conclusion reste et recoupe parfaitement l’affirmation de Moustapha Kassé, économiste et doyen honoraire de la Faseg : ‘’Nous ne gagnons absolument rien dans l’entrée du Maroc  dans la Cedeao.’’ Pourtant, tout porte à croire que le roi Mouhamed VI et ses sujets auront bel et bien leur ticket d’entrée. Diallo Kane, le président du Cisi, ne se fait plus aucun doute. ‘’Toutes les informations disponibles incitent à penser qu’il y aura accord définitif, le 16 décembre à Lomé (date de la Conférence des chefs d’Etat de la Cedeao)’’.  

Le colonel Guidado Sow, présentateur de la première partie du document, se veut plus catégorique. Pour lui, le doute est déjà levé sur l’acceptation des chefs d’Etat. La seule inconnue reste la date de l’entrée en vigueur de l’intégration. En fait, selon ces deux personnalités, lors d’une mission de la Commission de la Cedeao au Maroc, la promesse de la validation définitive a été faite à la fois au gouvernement marocain et au secteur privé du même pays.

Et c’est justement l’un des points de la question que les différents intervenants ont du mal à comprendre. Comment se fait-il que la commission puisse rencontrer à la fois les autorités et le patronat du royaume, sans faire autant avec ceux de l’espace, sachant que le Maroc n’est pas encore membre ? En d’autres termes, ce sont les principaux concernés qui sont exclus du processus. Ce qui révolte Dialo Kane et Guidado Sow. ‘’A la limite, on a tenté de nous humilier’’, s’indigne le colonel Sow, consultant par agent de la douane à la retraite.

L’autre aspect du problème est relatif à la précipitation dont ont fait montre les présidents des pays membres de la Cedeao. En effet, le Maroc n’a attendu que 3 mois et demi, après sa demande d’adhésion, pour disposer d’un accord de principe. Ce qui pose problème, dans la mesure où une question aussi stratégique mérite, selon les intervenants, une étude sérieuse, avant qu’une réponse ne soit donnée. Le colonel Sow a, d’ailleurs, affirmé que c’est la première fois qu’il voit les chefs d’Etat statuer sur une question, sans qu’il y ait au préalable une réunion des experts suivie de celle des ministres, avant l’entrée en scène des chefs des exécutifs.

Le Pr. Moustapha Kassé a d’ailleurs déclaré qu’une rencontre comme celle d’hier devait normalement être convoquée par les plus hautes autorités du pays. Seulement, le problème ne se limite pas au Sénégal. Que ce soit le Nigeria, la Côte d’Ivoire ou d’autres pays, le secteur productif n’a pas été consulté, encore moins d’autres franges de la population.

S’agissant des conséquences de l’intégration, elles sont pour l’essentiel d’ordre juridique, économique et politique. D’abord, toute intégration implique le droit de résidence et le droit d’établissement. Or, le Maroc a une politique migratoire très contraignante. Il s’y ajoute que le royaume, avec d’autres pays arabes, ont érigé des murs invisibles pour barrer la route à des migrants vers une Europe qui s’est totalement enfermée et qui compte sur eux pour bloquer les flux. D’ailleurs, révèle le Pr. Kassé, une personnalité marocaine a interprété l’adhésion comme une opportunité donnée à l’Afrique noire de transporter son indigence sur le royaume. ‘’On va nous transférer la misère africaine. Comment allons-nous faire face à cette déferlante ?’’, s’interroge cette personnalité dont les propos sont rapportés par le doyen.

Une interrogation qui, selon l’économiste, est la preuve que le royaume veut intégrer le marché, tout en se recroquevillant sur lui. Une thèse confortée par la demande du Maroc qui, selon le colonel Sow, veut démarrer le processus par la zone de libre échange. ‘’Si on leur ouvre les portes et que eux ils ferment les leurs, dans quelle coopération sommes-nous ?’’, se demande le Pr. Kassé.

Sur le plan économique, l’intégration est dangereuse dans presque tous les secteurs de production, si l’on se fie au rapport. D’après Mor Talla Kane, membre du patronat et présentateur de la deuxième partie du rapport, l’agriculture, l’artisanat et l’industrie sont autant de secteurs qui risquent d’être dynamités. En fait, le Maroc à une politique de subvention à l’exportation, ce qui est interdit à la Cedeao. Et même en dehors de cette dotation, il a des accords avec l’Eu qui lui permettent d’avoir des matières premières non taxées et dont le produit fini sera exempté de taxe, en cas d’adhésion. Il a 11 zones franches avec 670 entreprises, il a une politique monétaire semi-flexible entre le dollar et l’euro, face à un franc Cfa fixe, par exemple. Le royaume a un réseau bancaire très dense dans la Cedeao et ses entreprises ont réussi, en un temps record, à gagner des parts de marché importantes dans l’espace. Ce qui veut dire qu’elles ont été aidées par les banques. Tout cela lui confère une compétitivité à nul autre égale dans l’espace. Il y a aussi le fait que le tarif extérieur commun n’est pas bien intégré, pour le moment, et la Commission de la Cedeao n’est pas assez outillée, car jusqu’en 2000, l’organisation s’occupait plus de politique et de sécurité que d’économie. À tout cela s’ajoute un leadership éclairé du roi qu’aucun autre dirigeant des autres pays de l’espace ne dispose.

Par conséquent, si jamais les frontières lui sont ouvertes, l’ensemble des secteurs tomberont l’un après l’autre, sachant qu’un pays comme le Sénégal a mis à genoux ses champions dans tous les domaines, à l’exception de quelques-uns comme les Ics qui seraient gravement menacées par ce qui se trame. ‘’S’il y a des entreprises marocaines et au Sénégal, c’est parce qu’il y a les tarifs douanières. Le jour où ce sera la libre échange, ils n’auront aucune raison de venir chez nous, parce qu’ils ont beaucoup plus d’avantages comparatifs. Ils vont donc rester chez eux, multiplier leurs capacités de production et déverser leurs produits dans nos pays’’, avertit Mor Talla Kane.

Ce dernier pense même que le départ de l’industrie pharmaceutique Fayzal en est un signe annonciateur. Dans tous les cas, un intervenant a donné l’exemple d’un privé sénégalais qui était en coopération avec un Marocain. Mais dès que la demande a été introduite, il a commencé à faire de la diversion. Et lorsque l’accord de principe a été donné, il n’a pas fallu plus de 24 heures pour que son partenaire lui fasse comprendre qu’il n’a plus intérêt à poursuivre l’initiative, puisqu’il pourra rester au Maroc, avoir dix fois plus d’emplois et exporter le produit. Un exemple qui pourrait peut-être donner raison à M. Kane, qui pense que le Maroc veut résoudre son problème de chômage, en important chez lui les emplois de l’espace communautaire.

Reste alors le volet politique de cette intégration. Le doyen Kassé, qui a publié un article sur cette adhésion du Maroc, révèle qu’une autorité tunisienne lui a dit de se préparer à un article similaire, car la Tunisie aussi va formuler sa demande. Le même langage lui a été tenu, ajoute-t-il, par un responsable algérien. Or, si le Maroc est accepté, il n’y aura aucune raison que les autres ne soient pas admis. Pendant ce temps, la Mauritanie, qui avait quitté, veut revenir. ‘’Le schéma que l’on va avoir est celui d’une organisation qui est l’Union du Maghreb arabe (Uma) qui va se transporter dans la Cedeao, avec tous les conflits qui ont fait que la Uma n’a jamais fonctionné’’. Autrement dit, après avoir échoué à une intégration entre eux, les pays arabes vont aussi bloquer la Cedeao.  

BABACAR WILLANE

Section: