Des images au mépris de la déontologie
Une photo n’en dit pas forcément plus que des mots précis, bien choisis et mesurés. Une manière pour votre serviteur d’aller à rebours de l’enseignement du philosophe chinois Confucius pour qui « une image vaut plus que mille mots ». Est-ce vrai de la photo du défunt Cheikh Diop auto-immolé devant la présidence de la République ? Une photo qui a circulé de manière et à une vitesse outrancières dans les journaux et sur les réseaux sociaux.
Les propagateurs de cette image de l’autosupplicié tout en flammes n’ont peut-être pas suffisamment réfléchi sur les implications éventuelles de leur initiative – de bonne foi chez certains, tout simplement voyeuriste chez d’autres. « De l'indignation au voyeurisme », écrit le journaliste Hamadou Tidiane Sy, directeur de l’école de journalisme Ejicom de Dakar sur sa page Facebook. « Dans l'affaire Cheikh Diop nombre de Sénégalais partagent sa photo (une image insoutenable) pour s'indigner. En le faisant, ils pratiquent exactement ce qu'ils dénoncent : un manque notoire de respect de la dignité humaine, une insouciance manifeste face à la douleur d'une famille.
Il n'y a aucune pudeur dans cette forme d'indignation qui sent plutôt le désir de sensationnel, le voyeurisme, la chasse au likes et aux commentaires », poursuit M. Sy. « Oui, certains peuvent bien se tromper de bonne foi dans leur appréciation en exposant la photo, mais il n'est écrit nulle part qu'on ne peut pas s'indigner... sans poster de photo ! Alors de grâce pensons à la famille et aux proches du défunt et supprimons cette photo déshumanisante de nos murs Facebook ! Pour que Cheikh Diop repose en paix (et) que sa famille puisse faire le deuil dans la quiétude. Aucun de nous ne voudrait qu'un membre de sa famille soit exposé ainsi sur les réseaux sociaux. »
Pourtant, sur ce chapitre de suicidés et de leurs actes désespérés, fatals respectifs, il y a des qu’imposent les codes de déontologie. Et celui de la presse suisse est un modèle rappelé par Sadikh Diop, administrateur de l’observatoire de l’information et des médias sur son site web : www.limedia.org info@limedia.org.
« Quel traitement médiatique pour les tentatives d’immolation par le feu ? » demande-t-il en titre de sa réflexion. « La directive 7.9 (traitement des cas de suicide) du Conseil Suisse de la presse (équivalent du Cored au Sénégal) stipule que les « journalistes doivent observer la plus grande retenue dans les cas de suicide ». Même si cette directive énumère les cas où le suicide peut faire l’objet d’information (une personnalité publique se donnant la mort, le défunt ou ses proches ayant rendu le geste public…), elle précise clairement que « l’information doit se limiter aux indications nécessaires à la bonne compréhension du cas et ne doit pas comprendre de détails intimes ou dégradants ».
La directive indique toujours, « afin d’éviter les risques de suicide par imitation, les journalistes renoncent à des indications précises et détaillées sur les méthodes et les produits utilisés », écrit M. Diop citant des passages de l’organe d’autorégulation de la presse suisse. Et il rejoint Hamadou Tidiane Sy dans le souci qu’on doit et devrait avoir pour les familles respectives des victimes : « respectons la dignité humaine, pensons aux familles des disparus (notamment les enfants). »
Les tragédies familiales ayant fait florès ces temps-ci, voici qu’une dame brûle vif son époux. Et voici que des reporters s’en donnent à cœur joie sans une once de décence et de respect de la douleur des familles endeuillées. « Quelle est l’utilité de reportages réalisés sans gants, depuis le domicile d’une famille déjà bouleversée par la mort atroce d’un des leurs, avec à la clé des conséquences dramatiques au plan social pour les éplorés, et singulièrement pour sa très jeune progéniture ? se demande un facebooker dont j’ai omis de noter le nom. Relayer pleurs et cris stridents, complaintes, images insoutenables d’endeuillés, n’est pas faire de l’information, mais montrer et diffuser un morbide spectacle pour le spectacle. Plus grave encore, à entendre le ton affirmatif et péremptoire de la narration des faits, pas besoin de faire des enquêtes (auprès) des officiers de police judiciaire et des magistrats ; pas besoin non plus de s’embarrasser du sacro-saint de présomption d’innocence ».
Cette attitude récalcitrante de reporters à tordre le cou à la décence rappelle celle d’un reportage de la Rfm sur l’accident d’un mur effondré tuant deux enfants d’une même famille. La reportère pressait la mère éplorée de dire un mot, quelques mots à son micro. Et la dame suppliait, rétorquant être sous le coup de la douleur pour pouvoir dire quoi que ce fût sur son malheur.
Il y en a qui ont du chemin à faire pour se conformer aux codes de d’éthique et de déontologie