Publié le 23 Jun 2013 - 00:26
BABACAR GUÈYE, PROFESSEUR DE DROIT CONSTITUTIONNEL

''On aurait dû faire mieux en laissant les 7 ans, mais en se limitant à un mandat''

 

Pour mettre un terme à la polémique autour de la réforme du mandat présidentielle, le Pr. Babacar  Guèye, spécialiste en Droit constitutionnel, fait une propose inédite : l’adoption d’un mandat unique. Dans cet entretien accordé à EnQuête, le constitutionnaliste pense que l’obsession d’un deuxième mandat pour le président explique cet antagonisme noté dans  le paysage politique.

La Commission nationale de réforme des institutions (Cnri) a rencontré la presse pour décliner sa feuille de route. Mais au regard de sa démarche - consultation citoyennes – on a l’impression de reprendre à zéro les Assises nationales...    

C’est vrai que dans le cadre des Assises, on a avait beaucoup avancé, élaboré quasiment une Constitution, mais le président Macky Sall et sa mouvance n’avaient pas participé vraiment à ces Assises. Ils ont adhéré aux Assises après coup et avec quelques réserves sur un certain nombre de points. Du coup, cela a rendu peut-être plus compliqué le travail de la Commission. Je ne connais pas les termes de référence de cette commission, mais si le travail consiste à dupliquer ce qui a été fait dans le cadre des Assises nationales, cette commission  n’a pas sa raison d’exister. Mais je crois savoir que cette commission a un agenda et des termes de référence précis. La démarche n’est pas la même que celle des Assises, puisqu’elle propose de rencontrer tous les partis y compris  l’ancien parti au pouvoir, la société civile...

Mais le PDS a annoncé qu’il va boycotter les travaux de la Cnri...  

Si le PDS n’accepte pas de participer à ces consultations, ça ressemble un peu à ce qui a été fait dans le cadre des Assises. Sur le plan formel, ils (les membres de la Cnri) prévoient de consulter tous les acteurs sociopolitiques qui vont venir avec de nouvelles idées, de nouvelles propositions. D’après les explications de l’ancien Premier ministre, Mamadou Lamine Loum, il est possible d’apporter des inputs.

Concrètement, qu’est-ce que la Cnri peut apporter de nouveau par rapport aux conclusions des Assises, puisque toutes les questions soulevées ont été déjà réglées par les Assises ?

Je n’ai  pas vu le travail qui a été fait par la Cnri, je n’avais regardé que celui qui a été fait par les Assises. Ce qu’elle peut apporter à mon avis, elle le tirera des consultations qu’elle est en train de mener, si elle arrive à organiser de bonnes conclusions et faire en sorte que les populations s'approprient le projet.

Est-ce qu’on avait besoin de mobiliser 700 millions pour faire ce travail ?

(Il marque une pause). Si c’est peaufiner la même chose que les Assises, je dis non.

Vous avez déclaré, lors d’une rencontre, que les mandats électifs doivent être  supprimés. Pourquoi ?

C’est une proposition d’abord pour la limitation du nombre de mandats électifs à deux aussi bien au plan national que local, c’est-à-dire, les députés, les Pcr (Président de conseils régionaux ou ruraux), les maires. Mais aussi la rationalisation des mandats pour qu’un ministre ne puisse pas être maire en même temps. L’objectif, c’est le renouvellement de la classe politique. On se rend compte qu’il y a des gens qui sont députés depuis 30 ou 40 ans, il est  quand même temps de procéder à ce renouvellement, qu’il y ait une rotation dans les différents postes de responsabilité. Cela permettra de donner un souffle nouveau à la politique.

Mais puisque les élections locales sont un rendez-vous entre un candidat et sa base, ne serait-il pas plus démocratique de laisser les gens se présenter autant de fois qu’ils le désirent ?

A cause du mode de scrutin, les élections locales ne sont pas un rendez-vous  entre une personne et sa base locale. Nous avons un mode de liste proportionnelle nationale et liste majoritaire au niveau départemental. Ce mode de scrutin donne la haute main aux leaders de partis politiques et crée une cassure entre l'électorat et les députés. Ce mode de scrutin participe à la perversion de la représentation parce que ceux qui sont élus ne le sont pas sur la base de valeurs ou de leur popularité, mais simplement part la volonté du chef de parti.

Vous  proposez un scrutin majoritaire uninominal à deux tours ?

Peu importe, mais un scrutin majoritaire uninominal qui va permettre à ceux qui le méritent vraiment d’être élus. Dans ce cas-là, on aura un tête-à-tête entre le candidat et sa circonscription.

Cependant avec ce mode de scrutin, certains craignent l’émergence de forces traditionnelles qui pourrait constituer une menace à la démocratie ?

Je ne le pense pas, sinon on aurait un président de la République chef religieux depuis très longtemps. On a été un candidat chef religieux, on n’a jamais été élu. Il faut faire confiance aux Sénégalais, ils sont suffisamment mûrs. Ils votent pour quelqu’un  parce que ce dernier pourrait s’occuper de leurs problèmes.

Quel commentaire faites-vous sur le débat autour du mandat du président de l’Assemblée nationale ?

A mon avis, ce débat ne devait même pas se poser. Je le déplore après que le Sénégal a fait des progrès aussi importants dans la consolidation de la démocratie. Il n'y a pas une démocratie digne de ce nom où ce débat doit se poser. Le président de l’Assemblée nationale a un mandat qui couvre la législature. Ça tombe sous le sens. Ces modifications intempestives pour des raisons circonstancielles, pour assouvir des caprices, sont inacceptables. Il faut purement et simplement revenir aux cinq ans. Si la classe politique n’est pas capable de respecter ça, on n’a qu’à l’inscrire dans la Constitution et faire en sorte qu’on ne puisse pas la modifier.

Selon vous, la question doit-elle être soumise à l’Assemblée ou à la Cnri ?

Cette question peut être tranchée par la Cnri tout de suite, en attendant que l’Assemblée nationale la confirme.

On parle de plus en plus de report des élections locales. Le cas échéant, qu’est-ce que cela peut entraîner comme conséquence ?  

Cela n’engendrera pas plus de conséquences qu’avant. Ce n’est pas la première qu’il y a report. La seule conséquence, c’est l’allongement du mandat des élus locaux qu’il faudra légaliser en bonne et due forme. Ensuite, on ira aux élections lorsque les réformes seront terminées. On ne peut le faire tant que ces réformes ne sont pas terminées. C’est une question de cohérence. Si les partis sont d’accord, ça ne pose pas de problème.

Il se trouve que tous les partis exigent le respect du calendrier républicain...

C’est une question de principe. Il faut respecter, c’est vrai, le calendrier républicain tant que cela est possible. Mais à l’impossible nul n’est tenu. Cela ne sert à rien d’aller aux élections alors que les réformes ne sont pas terminées, d’autant que ces réformes auront forcément des répercussions sur le découpage du territoire.

Quel regard portez-vous sur le fonctionnement de nos institutions ? Avez-vous senti cette rupture clamée au niveau du l’Assemblée par exemple ?

J’avoue honnêtement qu’il n'y a pas encore cette rupture. Peut-être qu’après les réformes institutionnelles, nous aurons cette rupture. Nous avons un Parlement qui a besoin d’être revalorisé, d’être renforcé dans ces prérogatives.

Est-ce que le faible niveau des débats à l’Assemblée nationale n’est pas la conséquence de la loi sur la parité ?

Je vais nuancer un peu votre propos. Des députés analphabètes, nous en avons toujours eu. Sous l’ancienne législature, nous avions 49 analphabètes aussi bien chez les hommes que chez les femmes. C’est vrai qu’avec le bond en avant que le Sénégal a fait, nous aurions mérité une assemblée plus forte avec beaucoup plus de capacités. Le travail qui reste à faire, c’est de procéder au renforcement de capacités des députés en les dotant d’assistants parlementaires.

Des voix se sont élevées pour demander l’abrogation de l’article 80. Êtes-vous favorable ?

(Rire) Je pense qu’avec le niveau de développement de notre démocratie, il faut aller vers l’abrogation de cet article 80. Encore qu’il ne faut pas donner une licence à tous ceux qui veulent injurier les Institutions. Ce n’est pas acceptable. Il faut trouver un juste équilibre entre la liberté d’expression et la nécessité de ne pas laisser quelqu’un offenser les Institutions.

Le problème ne serait-il pas lié au cumul de mandats du président de la République et de chef de parti ?

C’est la raison pour laquelle j’ai demandé la limitation du mandat du président de la République. Un mandat unique permettrait au président de la République…

Est-ce que le président aura le temps de travailler durant un mandat ?

On peut lui allonger ce mandat à 7 ans. Le Président Macky Sall a décidé de ramener son mandat à 5 ans, je m’en réjouis, il a fait preuve de magnanimité. Mais on aurait dû encore faire mieux en laissant le mandat à 7 ans mais en le limitant à un mandat. Le Président Macky Sall avec un mandat de 5 ans va se dire : ''Je ne pourrai rien faire, donc il me faut un deuxième mandat.'' Il se met dans la perspective de conquérir un deuxième mandat. Parce qu’il veut un deuxième mandant qu’il devient vulnérable, il subit des pressions de toutes sortes de gens qui veulent être servis et tout de suite. Le fait de chercher un deuxième mandat crée l’effet pervers d’entretenir un clientélisme. Et le président, pour s’appuyer sur un appareil, est obligé de contrôler cet appareil pour rester au pouvoir. S’il le quitte, il est obligé de se départir de son arme. L’autre avantage de ce mandat unique, c’est qu’il participe à décrisper le débat politique au Sénégal. Aujourd’hui, la tension politique est lié au fait que Macky Sall veut un deuxième mandat et Idrissa Seck qui est pressé de le remplacer en 2017. Or, si le Président Macky Sall avait un seul mandat, il se dirait : ''Je dois répondre aux préoccupations des Sénégalais, je dois satisfaire la demande sociale, je vais mettre en place la meilleure équipe. Ensuite, je m’en vais et un autre viendra.'' Personne n’est indispensable. Il faut une continuité.

Pensez-vous que la classe politique est prête à accepter cette proposition ?

Je voudrais qu’il y ait un débat autour de la limitation du mandant du président de la République. Cette formule va permettre aux partis politiques de revivre la démocratie et de ne plus dépendre d’un seul chef. A parti de ce moment, le président de la République se décharge de ses charges de chef de parti et les militant pourront librement choisir un autre leader
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Que pensez-vous des candidatures indépendantes ?

Je suis pour les candidatures indépendantes. Il faudrait aussi que les signatures ne soient pas exigées uniquement aux candidats indépendants, mais à tous les partis politiques. Des candidatures farfelues, on en trouve aussi dans les partis politiques.
 

PAR DAOUDA GBAYA
 

   
 

 
 

 

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