Publié le 28 Apr 2021 - 20:47
FINANCEMENTS DE LA DER

Pape Amadou Sarr, une tête mise à prix

 

Accusé d’être proche d’Amadou Ba, attaqué par des ténors de l’Alliance pour la République, le délégué général à la DER, Papa Amadou Sarr, défie tous ses détracteurs et fonce sur ses ambitions. EnQuête revient sur cette rude bataille qui est loin de livrer tous ses secrets.

 

Il est d’une assurance à toute épreuve. Lui, c’est Papa Amadou Sarr. Malgré les critiques acerbes qui viennent surtout de son propre camp, l’Alliance pour la République, il reste imperturbable. Sur une vidéo qui a été rendue virale, il y a de cela quelques semaines, on voyait des partisans du pouvoir, à Diamniadio, le huant, l’invectivant, le menaçant et l’accusant de desservir le président de la République. Il allait à leur rencontre avec une fougue propre aux jeunes pour leur dire : ‘’Avez-vous déposé des projets, avant de m’accuser de ne pas vous financer…’’. Les jeunes de répondre par l’affirmative, avant de lui jeter en pleine figure qu’il est un incapable. Trois choses reviennent souvent dans les accusations : de ne pas impliquer les élus, d’être proche de l’ancien ministre des Affaires étrangères Amadou Ba, de ne pas être un militant convaincu de l’Alliance pour la République. Avec un ‘’courage’’ qui titille le suicide, il n’hésite jamais à monter au front pour apporter des clarifications. Œil pour œil, dent pour dent !

Une chose est sûre. Le délégué général de la DER (Délégation à l’entreprenariat rapide) ne fait pas l’unanimité dans les rangs de l’Alliance pour la République. Pour les élus qui réclament sa tête, c’est parce qu’il a ‘’échoué’’. Pour lui, il faut chercher les raisons ailleurs. Aux maires qui persistent à dire qu’ils n’ont jamais vu un bénéficiaire dans leur commune, il rétorque sans ambages : ‘’La Der n’a pas à divulguer les informations financières concernant les bénéficiaires à des élites quels qu’ils soient et ça c’est un fait sur lequel nous n’allons pas transigerEt si c’est pour dire que je dois passer par eux pour accorder des financements dans leurs communes, ou c’est eux et elles qui doivent me donner la liste des bénéficiaires, ça ils peuvent toujours chercher, je ne le ferai pas’’. Pour lui, les financements de la Der ne sont pas octroyés à des maires ou à des politiques de n’importe quel bord qu’ils puissent être, mais à des entrepreneurs de tout le pays.    

Suite à ces réponses cinglantes, des pontes du régime se sont joints à la lutte. Parmi eux, il y a Aliou Sall, président de l’Association des maires du Sénégal et non moins frère du président de la République, qui critique vertement les méthodes de Pape Amadou Sarr. Dans la foulée, le bonhomme de 42 ans, ancien de la Fondation Bill et Melinda Gate, réagit dans Jury du Dimanche contre ses détracteurs. ‘’Je défie quiconque, demain si je quitte la DER, la personne, homme ou femme, qui prendra ma place ne pourra faire mieux que ce que j’ai fait. Avec les ressources dont je dispose, nous avons un bilan satisfaisant et très honorable. Certains le prendraient comme de la prétention, mais c’est un fait. Nous avons su mettre dans l’économie sénégalaise, en moins de 3 ans, plus de 60 milliards FCFA. Nous avons pu lever plus de 74 milliards avec des bailleurs internationaux pour financer les startups et les entrepreneurs du Sénégal…’’.

Revenant sur les huées lors du conclave des maires, il révèle : ‘’Je les comprends. Il n’y a aucun problème. Je suis entré dans la salle avec la conviction que je vais être hué. J’ai été averti : on m’avait dit : n’y allez pas, parce qu’on va vous huer. On a même payé des gens pour le faire. J’ai les preuves et même les montants. Des gens ont payé 1,5 million FCFA pour qu’on me hue’’.

Pour trouver ses ennemis, Pape Amadou Sarr n’a pas besoin de chercher loin. Outre les élus locaux et les jeunes qui le huaient, Aliou Sall qui a fait une sortie incendiaire contre sa personne…, une information plus ou moins cocasse a aussi été portée à notre connaissance au cours de cette enquête sur les raisons de cette guerre. Papa Sarr ferait aussi l’objet de représailles de la part de Racine Talla qui utiliserait la RTS pour saboter son œuvre. Selon certaines informations, récemment, dans une rencontre tenue dans le département de Rufisque, il a fait face, à l’ultime moment, à un boycott de la télévision nationale. Son staff de communication a dû remuer ciel et terre pour avoir une solution alternative.

Pour le moment, dans cette guerre contre des ténors du régime, le DG peut compter sur le grand patron, en l’occurrence le président de la République. Au plus fort de ce combat de gladiateurs, le président de la République lui a adressé des félicitations plus ou moins inattendues. A Diamniadio, lors du Conseil présidentiel, le 22 avril, Macky Sall a en effet fait cette déclaration : ‘’Il faut rendre justice à la Der FJ. En 2 ans et demi, elle a financé énormément de projets de jeunes. Nous allons renforcer les moyens de financement et nous allons territorialiser le financement pour que ce soit dans chaque commune, dans chaque département’’.  

Sur un autre registre, il est reproché à Pape Amadou Sarr de ne pas être très marron-beige. Amené dans le pays en 2015 par le président de la République, Amadou est accusé d’être plus un boy de l’ancien ministre des Finances Amadou Ba qu’un militant de l’Alliance pour la République. Mais, selon la défense, il s’agit tout simplement de mettre la République au-dessus. Face à Mamoudou I Kane, il se défend : ‘’On me reproche de ne pas être du parti et tout. Moi je suis républicain ; je crois aux valeurs républicaines. C’est la République qui m’a éduqué, qui m’a donné une bourse, la chance de partir en France pour étudier…’’.

Quant à l’accusation selon laquelle il est proche de l’ancien ministre Amadou Ba, il précise et assume : ‘’Je le dis clairement : si c’est un critère pour rester dans le gouvernement, je pense que je ne resterais pas. J’attache de l’importance à la loyauté, la sincérité et l’amitié. Le chef de l’Etat, qui m’a confié à l’ancien ministre des Finances, quand je suis rentré fin 2015, lui avait dit : je veux que vous me tropicalisiez ce jeune, vous le formiez à l’administration. Depuis ce jour, on ne s’est pas quitté. Il m’a pris comme son fils. On s’est vu samedi et il m’a conseillé d’aider le Président Sall. Il ne pose jamais un acte contraire aux intérêts de la République. Si mon poste doit être mis sur la sellette, parce que je suis proche d’untel, je pense qu’il le sera’’.

Financements partisans

Interpellé sur les financements partisans, il répond : ‘’Nous, on ne choisit pas qui bénéficie des financements. On se base sur des demandes. Le problème est que beaucoup n’y croyaient pas, parce que comme vous le dites : ils pensaient que ces financements, c’est pour les gens du pouvoir. Heureusement, l’histoire me donne raison, parce que ce sont les partisans du pouvoir qui me critiquent le plus, qui me huent et qui m’humilient comme le dit une certaine presse. Il est inconcevable que des journalistes soient payés à coup de millions pour dénigrer une institution, une personne… Comme disent les Anglais : c’est first come first served’’.

A l’entendre, les preuves ne manquent pas. Il invoque ces jeunes de la mouvance présidentielle qui étaient passés chez lui avec un gros carton justifiant leur appartenance à la mouvance présidentielle. Il peste : ‘’Je leur ai dit qu’il faut aller voir ailleurs. Cela m’a valu des remontrances, mais je n’ai pas transigé. Je peux aussi vous citer ces jeunes de Y en a marre, de Pastef, du PDS et tant d’autres qui ont bénéficié de nos financements. Nous ce qui nous intéresse, c’est la République. Et c’est ce que nous recommande le président de la République. Le bon projet, les jeunes, les femmes. L’appartenance politique n’est pas un critère pour nous’’.

Un as de la levée de fonds

Revenant sur l’impact des financements de la DER, Papa Amadou Sarr l’évalue à 60% de financements efficaces, selon une étude qu’il a lui-même commanditée. Par les temps qui courent, la structure constitue le lieu d’attraction de plusieurs porteurs de projets. Selon la boite, il n’y a pas moins de 1500 demandes de financement qui attendent dans les tiroirs.

Les 1000 lui viennent des ministères, des autres agences et programmes… Les 500 ont été déposées directement auprès de son institution. Selon certaines sources, le manager est surtout fort de ses capacités rares à trouver des financements sur le marché financier international pour la réalisation de ses ambitions. ‘’C’est un spécialiste en levée de fonds. C’est pourquoi, il dispose d’une certaine marge de manœuvre’’, soutient un de nos interlocuteurs. Qui ajoute : ‘’Le plus grand souci à la DER, c’est moins le respect d’une certaine orthodoxie que les difficultés de recouvrement. C’est vraiment à ce niveau que la structure peine le plus. Sinon, il faut aussi reconnaitre qu’il y a un personnel très compétent, et qui s’y connait en matière de financement de projets’’.

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AVIS D’EXPERTS 

De bonne guerre entre responsables ambitieux

Cela dit, quelles que soient les circonstances du moment, il est difficile pour beaucoup de Sénégalais de gober qu’à la Der, il n’y a pas de financements partisans, que tout se passe dans les règles de l’art.

L’exemple le plus patent, selon les détracteurs, ce sont les résultats très timides notés en trois ans d’existence. Lequel échec serait à l’origine des émeutes et de leur corolaire, le dernier conseil présidentiel. Journaliste-chroniqueur, Abdoulaye Cissé est catégorique. ‘’La DER a fonctionné à fond sur les recommandations, les coups de pouces "politiques". Rien n'est plus faux que de croire que la DER est une machine froide qui ne connaît ni l'appartenance politique, ni le "bras long". Tout de même dans le lot, elle a financé des groupements, des femmes, des jeunes sur la base de critère + ou – objectifs’’.

Par ailleurs, constate le journaliste pour le regretter, avec la DER, ‘’on a l'impression d'avoir affaire à une œuvre de charité qui est obligé de montrer le "bien" qu'il fait en distribuant, pour attirer encore plus la sympathie des bailleurs et des donateurs. Mais, elle ne capitalise pas sur l'impact réel de ses financements. Et c'est ça, la fragilité de cet organisme’’. Aussi, souligne-t-il, l’organe traîne à la fois l'avantage (au moins pour son boss) et l’inconvénient d'être directement "connecté" au Président de la République. ‘’C'est un avantage pour ne pas souffrir de l'interventionnisme des N+1, N+2 (ministre, 1er ministre, Dircab de PR etc..), mais c’est un inconvénient en ce qu’elle suscite jalousie frustration chez tous ces N+ ainsi que tous les autres acteurs (élus), familles (Faye-Sall), institutions, etc....’’.

Sur la guerre autour de l’établissement, il explique : ‘’Le problème, c'est que chacun cherche à se donner bonne conscience dans cette affaire et à préparer le discours pour trouver le bouc émissaire, pour justifier la débandade demain. Les armes ne sont pas toujours conventionnelles, et on ne peut pas rater une si belle occasion de lui faire la peau. C’est bonne guerre, de très bonne guerre même’’.

Embouchant la même trompette, Dr Moussa Diop déclare : ‘’Ces querelles se comprennent. L’APR est dans une phase de recomposition. Certains se disent que Macky ne peut passer pour 2024 et ils essaient de se positionner pour la succession. Chacun veut montrer son engagement et chercher à être dans les bonnes grâces du PR, après avoir disparu au plus fort de la crise’’. Pour lui, tout ceci est la résultante d’un Etat très patrimonial, où l’accès à certains privilèges est facilité par l’appartenance au camp du pouvoir. ‘’Nous assistons à une redistribution des fonds ; des soutiens politiques qu’on classe, qu’on case à des postes clés pour continuer à renforcer leur base. Pour ce qui est de La DER, il faut constater que= c’est beaucoup d’argent, pour très peu de résultats. Les emplois promis, on ne les voit pas encore. Donc chacun essaie de repositionner, en désignant le bouc émissaire parfait : c’est-à-dire la DER.’’. Selon lui, ce qu’il faut pour une prise en charge correcte de l’emploi, c’est un changement de paradigme. ‘’Le paradigme qui doit prévaloir c’est de mettre le citoyen au centre. Voilà ce qu’on attend des dirigeants. Toute cette frustration qu’on voit, c’est parce que les citoyens ont le sentiment que les politiciens ne font que se servir. Il faut faire de la politique dans le sens de servir. Il faut des résultats. Ce n’est malheureusement pas toujours le cas’’.  

Dans la même veine, Abdoulaye Cissé dit attendre la DER sur les impacts de ses investissements. "J’entends souvent ‘j'ai distribué plus de 60 milliards’... On s'en fout de combien il a distribué, c'est notre argent qu'on lui a confié. Le problème, c’est moins de distribuer que de faire une capitalisation de l'impact réel sur l'emploi et sur l’autonomisation des couches cibles’’. Et d’ajouter dans le même sillage : ‘’Les financements, ce ne sont pas les bourses familiales. Toucher moins de personnes avec de vrais projets qui vont employer des milliers et des milliers de jeunes est plus important que de distribuer de l’argent à des centaines de milliers qui vont tous faire faillite, ou, au meilleur des cas, n'auront pour impact que de créer leur propre emploi pour la survie du quotidien’’. Pour le journaliste, l’institution gagnerait à revoir sa communication. Au lieu de mettre l’accent sur des chiffres creux, il faudrait montrer, s’il en existe, les cas de success story.  ‘’On les cherche encore les exemples de modèles de réussite financés par la DER. Il doit y en avoir, mais ce n'est jamais mis en avant dans la communication de la DER’’.

MOR AMAR

 

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