Publié le 20 Nov 2018 - 05:25
QUARTIER CATHOLIQUE A TIVAOUANE

Keur Mass, symbole du dialogue des religions

 

Keur Mass est un quartier de Tivaouane qui a la particularité d’abriter une communauté catholique d’environ 350 personnes. Mais ces habitants célèbrent le Grand Gamou, à l’image des musulmans de la ville. Ils hébergent des pèlerins et leur offrent nourriture et tout ce qui va avec l’hospitalité sénégalaise. Un symbole fort du dialogue islamo-chrétien.

 

Un voisinage d’obédience différente dans une ville sainte composée essentiellement de musulmans ! Depuis 50 ans, certaines familles catholiques du quartier Keur Mass se donnent corps et âme pour la réussite du Grand Gamou de Tivaouane. Elles préparent à manger le jour du Gamou pour les fidèles qui viennent de partout. Au quartier Mass, les uns et les autres s’acceptent dans leurs différences et progressent ensemble. Lors des événements religieux comme le Gamou, les relations entre fidèles musulmans et catholiques prennent une autre dimension : la communion, l’union des cœurs et autour des marmites. Dans ce quartier, l’on fait savoir que le jour de la célébration de la Nuit du Prophète, il est difficile de reconnaître une maison où habitent les musulmans de celle d’un catholique.

Porté à la tête du quartier Keur Mass en 2013, Meissa Macoudou Sall dit toute sa satisfaction sur le fait que les catholiques dudit quartier participent activement à l’organisation du Gamou. Pour lui, cela ne fait que renforcer davantage le dialogue islamo-chrétien. ‘’Très franchement, les catholiques sont braves. Il y a une dame qui s’appelle Antoinette ; chaque année, elle se donne à fond pour la réussite du Mawloud. Elle est connue de tous les habitants du quartier. Elle reçoit de fidèles musulmans chez elle. Sa participation nous réjouit. Toutes les familles catholiques ne sont pas obligées de le faire. Mais il y en a qui se donnent vraiment à fond. Elles accueillent des fidèles le jour de l’événement et préparent à manger comme cela se fait dans les autres concessions musulmanes de Keur Mass. Ces familles le font depuis 50 ans’’, se réjouit le délégué de quartier.

Vouloir commun de vie commune

A Keur Mass, fidèles musulmans et catholiques se côtoient au jour le jour. Ici, c’est le symbole d’une parfaite cohabitation entre les personnes d’obédiences religieuses différentes. ‘’Nous vivons la réalité du brassage culturel. Le Gamou est un événement qui, normalement, ne concerne pas les catholiques. Mais ils s’organisent pour venir en aide aux musulmans. Nous leur rendons un vibrant hommage pour tout le soutien qu’ils nous apportent le jour d’un événement aussi important et difficile à organiser que le Gamou. Je rappelle encore une fois qu’ils ne sont pas tenus de le faire. Cela témoigne du désir de vivre en commun qui règne dans ce quartier. Nous vivons en parfaite harmonie et cela conforte la thèse du dialogue islamo-chrétien’’, précise, d’emblée, M. Sall.

Les années passent. La philosophie du vivre ensemble se développe et gagne de plus en plus du terrain. Dans ce quartier de la ville sainte de Tivaouane, créé en 1883 (selon certains témoignages), l’entente entre musulmans et catholiques est cordiale. ‘’Nos relations ne se limitent pas seulement au jour du Gamou. Pendant les fêtes de Noël et de Pâques, les familles catholiques nous invitent. Et c’est une très bonne chose’’, se félicite davantage Meissa Macoudou Sall. Avant d’insister sur un fait qui, selon lui, résume tout ce concept du dialogue islamo-chrétien développé au Sénégal. ‘’Vous imaginez des familles catholiques recevoir dans leurs propres demeures des étrangers venus pour le Gamou ? Elles le font, se livrent à des dépenses comme tout le monde. C’est vraiment un fait marquant à souligner. Depuis qu’elles ont été accueillies à Keur Mass, on n’a jamais eu de problèmes. Nous rendons grâce à Dieu. Qu’il rende solide ce partenariat qui dure depuis belle lurette’’, implore le chef de quartier de Keur Mass.

Tout comme Meissa Macoudou Sall, cet autre fidèle tidiane reconnaît qu’entre musulmans et catholiques, c’est le parfait amour. Aussi, rappelle-t-il, cette union des cœurs ne souffre d’aucune contestation dans le quartier qui l’a vu naître. Surtout le jour du Gamou. ‘’Nous vivons dans une parfaite harmonie. Le Gamou est célébré aussi bien par les fidèles musulmans que les catholiques. On ne peut que se réjouir de ce que le bon Dieu nous a donné. J’habite en face d’un fervent catholique (Gilbert Bassène). J’avoue que nous faisons tout ensemble et dans la paix. C’est l’occasion pour moi de leur rendre hommage pour tout ce qu’ils font pour nous, le jour du Gamou. Dans certains pays, il est difficile de voir ou même d’imaginer une cohabitation entre musulmans et catholiques. Si cela existe au Sénégal en général, et en particulier dans la ville sainte de Tivaouane, on ne peut que se réjouir et être fiers’’, se félicite Collé Sène. Cette dernière invite chacun à développer la philosophie du vivre ensemble dans tout le quartier.

Une collaboration sociale au-delà du Gamou

Débarqué à Keur Mass en 1977, Gilbert Bassène, un ancien cadre des Industries chimiques du Sénégal (Ics), aujourd’hui à la retraite, salue cette entente qui existe entre les deux communautés le jour du Gamou. Même s’il pense que celle-ci dépasse le cadre du Mawloud. Gilbert Bassène a quitté son village natal d’Etomé (Casamance) à l’âge de 36 ans. Depuis lors, il  a pris la ‘’nationalité de Keur Mass’’. Mais avant lui, il y a eu, entre autres, comme devanciers dans ce quartier, Abbey Elias, Benjamin Bampoky, François Diatta, Charles Kampal, François Diompy (tous décédés). Il s’y est établi avec toute sa famille. Des difficultés, Gilbert Bassène en a connu dès son arrivée au quartier Mass. Par contre, il a réussi très vite à les surmonter. ‘’Le propre de l’homme, c’est sa capacité à s’adapter tout en conservant ses origines et sa foi. Tous mes enfants sont des catholiques. Je m’en réjouis’’, se glorifie-t-il. Fidèle catholique, le vieux Bassène fête, à sa manière, le Gamou comme tous les habitants de Keur Mass.

‘’Nos rapports avec les autres confessions sont au beau fixe, même s’il est vrai que c’était un peu tendu au début. Maintenant, ça va très bien. Pour le Gamou, en bon Sénégalais, nous sommes tous dans la mêlée et subissons même les aléas, sauf que nous n’allons pas prier avec eux. Le jour du Gamou, je reçois des fidèles musulmans qui viennent de Kafountine (sud du pays) et parfois même des ‘’dahira’’ (associations religieuses). Nous fêtons le Gamou ensemble’’, confie l’enfant d’Etomé. Qui, d’ailleurs, dit toute sa fierté d’accueillir des fidèles musulmans dans sa demeure tous les Gamou. ‘’Je suis content de recevoir les gens d’une autre confession chez moi. Le dialogue islamo-chrétien, c’est tout ce que nous vivons au quotidien dans ce quartier de Keur Mass. Il y a un an, avec le cardinal français Jean-Pierre Ricard (Bordeaux), nous avions été reçus par le défunt khalife général des tidianes, Abdou Aziz Sy Al Amine. Nous avons même déjeuné avec lui. C’est pour vous dire toute la chance que le bon Dieu a donnée à Tivaouane’’, se congratule Gilbert Bassène.

La reconnaissance catholique aux khalifes

Grand artisan de la paix sociale à Tivaouane, notamment à Keur Mass, le défunt khalife général des tidianes, Serigne Abdou Aziz Sy Al Amine, a été ‘’décoré’’ par la communauté catholique établie dans ce quartier pour son engagement en leur faveur. Aujourd’hui, il n’est plus de ce monde. Mais il demeure dans le cœur des fidèles de Keur Mass, à l’image de Gilbert Bassène. Ce père de famille qui s’est entretenu à plusieurs reprises avec Al Amine, pour aborder des questions liées au dialogue islamo-chrétien, retient du regretté khalife ‘’un homme qui était d’un apport considérable’’ pour la société. ‘’Junior était un homme exceptionnel.

Je l’ai connu depuis très longtemps. De son vivant, il a œuvré pour qu’il y ait une bonne entente entre les musulmans et les catholiques de la ville de Tivaouane. Si nous parvenons à vivre ensemble aujourd’hui, c’est en grande partie grâce à Al Amine. Nous lui devons tout. Que le Tout-Puissant ait pitié de lui. Il était d’un apport considérable. Malheureusement, il est parti très tôt. Junior appréciait très bien les catholiques. Pour Serigne Cheikh Ahmed Tidiane Sy Al Makhtoum, je l’ai connu à travers la presse.

Il était aussi d’un appui considérable’’, se souvient Gilbert Bassène. Dans cette pluie de reconnaissances, le vieux ‘’Sudiste’’ reconnaît également les qualités de l’actuel khalife général des tidianes. Le vieux Bassène informe avoir connu Serigne Mbaye Sy Mansour bien avant qu’il ne soit khalife. Selon lui, l’actuel khalife est en train de suivre les pas de ses prédécesseurs, notamment Serigne Mansour Sy Borom Daradji. ‘’Ces vaillants hommes nous ont permis de vivre dans la paix à Keur Mass. Et aujourd’hui, les jeunes fidèles musulmans comme catholiques se fréquentent. C’est le lieu également de dire merci à ces différents khalifes’’, ajoute-t-il.

Au quartier Keur Mass, il n’y a pas d’église digne de ce nom pour accueillir les fidèles catholiques. Mais une salle (Saint Kisito) est mise à la disposition des fidèles pour les besoins de la prière. Elle se trouve à 150 mètres de la demeure des Bassène. Ces derniers y prient sans être inquiétés.

PAR ASSANE MBAYE ET GAUSTIN DIATTA (ENVOYES SPECIAUX A TIVAOUANE)

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