Publié le 31 Jan 2014 - 12:07
THIERNO SEYDOU NOUROU TALL, IMAM RATIB DE LA MOSQUÉE

Thierno Seydou Nourou Tall a créé Senghor avant d'élire Diouf !

 

La famille Tall célèbre à partir d'aujourd'hui le 150e anniversaire de la disparition de Cheikh Oumar Foutiyou Tall  dans les falaises de Bandiagara, mais aussi le 150e anniversaire de la naissance de Thierno Saidou Nourou TALL et le 100e... anniversaire de la naissance de Thierno Mountaga Tall. En prélude au colloque prévu du 1er au 2 février, l'imam Ratib de la grande mosquée omarienne nous brosse un portrait inédit de son homonyme, Thierno Saidou Nourou Tall, un «marabout hors-la-loi» qui, dit-il, a fait et défait bien des destins....

 

Dans une de vos contributions, vous qualifiez Thierno Saidou Nourou Tall de père de l'indépendance du Sénégal. Qu'est-ce à dire ?

Je ne fais que reprendre par là les propos du vénéré El Hadj Abdoul Aziz Sy Dabakh. Mais je puis vous dire que Thierno Saidou Nourou a dépassé ses contemporains d'un siècle de par son caractère multidimensionnel.

Je me rappelle : quand on inaugurait l'avenue qui porte son nom, le vénéré Khalife général des Tidjanes, El hadji Abdoul Aziz Sy Dabakh, soulignait que c'est toute la République du Sénégal qui devrait revenir à Thierno Seydou Nourou Tall. Il a été un fervent artisan de l'Indépendance, il est d'ailleurs le père de l'Indépendance.

Pourquoi père de l'indépendance ?

C'est grâce à lui que le Sénégal a pu accéder à la souveraineté nationale. El Hadji Abdoul Aziz Sy raconte toujours que le 13 décembre 1959, quand le Général de Gaulle est venu dans notre pays, il est tombé sur les porteurs de pancartes qui réclamaient à cor et à cri l'indépendance.

Il a piqué une colère noire et leur a lancé sur un ton sévère : ''Vous voulez votre indépendance, prenez-la''. Ceux qui étaient présents peuvent en témoigner. Il a fallu que Thierno Saidou Nourou rencontre De Gaulle au palais, en compagnie d'autres chefs religieux, pour qu'il retrouve sa sérénité et accepte d'accorder au Sénégal son indépendance dans les conditions que lui avait posées Thierno Saidou Nourou.

Quelles conditions ?

Thierno Saidou Nourou avait demandé au président de la République française, à l'époque le Général De Gaulle, des mesures d'accompagnement. Il fallait qu'il mette à la disposition du Sénégal des techniciens et des missionnaires entre autres pour les premières années post indépendance.

De Gaulle donna son accord et en profita pour accorder en même temps au Mali son indépendance. Il a également saisi cette occasion pour élever El Hadji Saidou Nourou Tall au rang de président d'honneur de ces deux patries naissantes. Il vouait un grand respect à El Hadj Thierno Saidou Nourou qui a eu à se rendre en France à trois reprises. Son dernier voyage remonte à 1947. C'est un homme religieux qui a beaucoup voyagé.

Quel type de rapports entretenaient-ils réellement?

Le Général De Gaule vouait une grande admiration au saint-homme. Leur amitié était sincère. Ils étaient tellement proches que lors de la deuxième guerre mondiale, Thierno Saidou Nourou a eu à faire pendant 45 jours le ''kheulwa'' (retraite spirituelle) pour le Général De Gaulle. En bon croyant et homme religieux qui dépasse les considérations raciales, ethnicistes et religieuses, il a annoncé après à De Gaulle la chute du Reich allemand Adolph Hitler.

C'était à Marseille. Il avait vu juste. Quand le Président français a voulu lui exprimer sa gratitude, avec une forte somme d'argent, il a refusé de manière catégorique, préférant qu'il prenne en charge les préoccupations des Africains.

Les gouverneurs français d'Afrique portaient en haute estime Thierno Seaidou Nourou de sorte qu'ils sollicitaient toujours ses conseils. Il gagnait ainsi son statut d'intermédiaire écouté entre les colonisateurs et les colonisés. Il a eu à jeter des bases de concertation intelligente devant déboucher sur des indépendances sans effusion de sang.

On parle aussi des liens étroits qui l'unissaient à  Senghor ?

Ces rapports étaient tellement étroits que Senghor savait qu'il risquait une triste fin s'il se maintenait au pouvoir en l'absence d'El Thierno Saidou Nourou. Son apport a été incommensurable. Il lui a dit : ''Le jour où tu ne me verras plus, sache que tu auras du mal à gouverner ce pays.'' Il a joué un rôle majeur dans l'accession de Senghor au pouvoir, face à des adversaires politiques comme Lamine Guèye.

Senghor, un Sérère, qui venait de très loin, sans soutien, n'avait pas tous les atouts pour être chef d'Etat. Thierno Saidou Nourou l'a assisté sur plusieurs plans. Ce n'est pas le fruit du hasard s'il a pris le soin de quitter volontairement le pouvoir en 1981. Il faut aussi souligner que Thierno Saidou Nourou a eu à financer des études de Senghor.

Comme exemple cette anecdote : ''Quand Senghor était étudiant, sa famille l'avait perdu de vue, sa grande sœur est venue, tout en larmes, solliciter le soutien de Thierno Saidou Nourou qui lui a prêté main forte. Thierno Saidou Nourou envoyait souvent de l'argent à Senghor pour qu'il puisse étudier. D'ailleurs, les sortants de la promotion 1980 de l’École nationale d'administration et de magistrature (Enam) gardent en mémoire le témoignage de Senghor à son égard.

A l'occasion de la sortie de la promotion ''El Hadji Saidou Nourou Tall'', le chef de l'Etat sénégalais avait déclaré que Thierno Saidou Nourou s'est battu intensément à sa manière pour la liberté et l'indépendance du Sénégal. Il disait que c'est grâce à Saidou Nourou, un homme d'expérience doublé de stratège, qu'il avait gagné en sagesse et en maturité politique. Thierno Saidou Nourou lui avait inculqué souplesse, courage et abnégation. Il l'a aidé à cultiver le sens de la mesure... 

Ses relations avec Abdou Diouf ?

Le mystique est d'une importance capitale dans ce monde. Abdou Diouf ne s'imaginait pas qu'il allait être un jour président de la République du Sénégal, c'est Thierno Saidou Nourou qui lui a tracé un destin présidentiel ; il l'a poussé à y croire quand il était Premier ministre. Par la grâce de Dieu, il a accédé lui aussi au pouvoir. Pour vous dire la grandeur du saint-homme.

Il a créé Senghor avant de céder le fauteuil présidentiel à Abdou Diouf. Quand il avait demandé à Senghor s'il voulait prendre le dessus sur Lamine Guèye lors de la course présidentielle, il a ouvert grand les yeux, parce que Senghor ne pensait pas pouvoir comptabiliser 26 points. Il lui dit qu'il en aura 28 points.

C'est aussi le pouvoir du mystique. Il a reconduit le même schéma avec Abdou Diouf, dont la maman Coumba Dème était la nièce de Saidou Nourou Tall. Il a demandé à Abdou : «Veux-tu être président de la République et succéder à Senghor ?'' Il a écarquillé des yeux avant de répondre par l'affirmative...

Alors, qu'est-ce qui explique qu'il n'ait pas été connu dans toute sa dimension ?

Il était un homme d'exception mais très effacé. Il ne voulait pas qu'on le glorifie. Un jour, un homme béat d'admiration à son endroit s'est permis de lui tresser des lauriers et de chanter publiquement ses vertus. Il a créé l'effet contraire chez le marabout qui lui a intimé l'ordre de se dédire publiquement sinon il pouvait lui arriver malheur.

L'homme a commencé à dire du mal de lui à son grand plaisir... Thierno Saidou Nourou voulait passer pour un simple serviteur de Dieu vivant conformément à la Charia. Une fois, il est passé devant la corniche, un enfant l'a interpellé en disant : ''Regardez Saidou Nourou.» Il en était fier car il a dit : c'est cet enfant qui me connaît et a su m'apprécier à ma juste valeur.

Il n'aimait pas les titres et respectait l'être humain quels que soient son âge et son statut social. Il a œuvré sa vie durant contre la dislocation et la haine. Il disait aussi que le plus intelligent des croyants est celui qui supporte la compagnie des personnes, avec leurs vilains actes sans les rendre... Monseigneur Hyacinthe Thiandoum était chaque jour chez lui. C'étaient des rapports de père à fils. Thierno était le père de tout le monde.

Le marabout hors-la-loi

Il paraît qu'il était un homme craint par ses contemporains.

Ce n'est pas fortuit si on l'appelait le marabout hors-la-loi. L'impossible était un vain mot pour lui. Il n'avait aucun sens interdit dans ce pays. Il savait imposer ses idées aux hommes politiques qui étaient obligés de se soumettre. Il ne supportait pas la jalousie et la rupture familiale qui causaient des luttes fratricides et autres conflits se réglant jusqu'au sang.

Il s'est aussi imposé comme le père et le guide religieux du Fouta, voulant éviter par là que sa famille ne se disloque, exhortant les membres de sa famille à s'unir autour d'une même parole pour augmenter leurs forces, obtenir la paix et la quiétude. Il était aussi un polyglotte. Son éloquence était séduisante. Le pays entier lui doit une fière chandelle.

Lors des événements qui ont lieu à Dakar entre De Gaulle et le gouverneur de Conakry, Blachère, le premier est venu ici pour accuser la communauté léboue de haute trahison et a voulu les sanctionner. mais Thierno Saidou l'a poussé à revoir sa décision. A Conakry,  toutes les portes lui étaient ouvertes, dont celles du palais de la République. Blachère disait de Thierno Saidou Nourou qu'il devait sa noblesse à son amour de la vérité et à son intelligence.

Aujourd'hui, qu'est-ce qui lie la famille Tall au régime en place ?

Nous avons de très bons rapports. Ce n'est pas pour rien que le président Macky Sall prie ici chaque fois de même que son épouse...

Matel BOCOUM

 

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