25 corps déjà inhumés, 6 en attente d'identification
La plage de Grand Mbour a été le théâtre d'un afflux de monde toute la journée d'hier. En effet, elle a accueilli les corps sans vie repêchés après le naufrage de la pirogue de fortune qui transportait 86 passagers en partance pour l'Espagne. À l'heure où ces lignes sont écrites, 36 corps ont été repêchés. Les mbourois, meurtris, se sont prononcés sur la problématique de l'émigration clandestine.
Le naufrage de la pirogue des candidats à l'émigration clandestine de Mbour n'a pas encore fini de livrer ses secrets. Hier, les équipes de recherche ont découvert plusieurs corps entre Mbour, Saly et Ngaparou. Au total, 32 corps sans vie ont été repêchés sur la plage de Mbour et 4 autres entre Saly et Ngaparou. Ce qui porte le bilan macabre, à l'heure où ces lignes sont rédigées, à 36 victimes enregistrées. Les 25 corps ont déjà été ensevelis au cimetière de Liberté 1. Parmi eux, certains n'ont pas pu être identifiés en raison de leur état de décomposition avancé.
Les recherches continuent pour retrouver le reste des 86 candidats qui étaient à bord de l'embarcation. Un nombre alarmant, incluant des personnes qui avaient une situation économique relativement stable. En effet, l'une des victimes déjà enterrées, polygame, avait récemment fini de construire sa maison où il logeait ses deux épouses et ses enfants, et avait même acheté une voiture avant de s'engager dans cette aventure meurtrière. Un autre était employé dans un grand hôtel de la station balnéaire de Saly Portudal. Cela remet en question la thèse du manque d'emploi et du désespoir comme causes principales. Les deux quartiers les plus touchés sont Tefess et Thiocé.
Le présumé passeur, frère du maire de la commune, a expliqué vouloir trouver une seconde chance dans sa vie de pêcheur, puisque la mer s'est vidée de ses ressources et que les licences de pêche coûtent cher. Ainsi, il souhaitait s'enfuir avec quelques membres de sa famille pour trouver une meilleure vie en Espagne, parce que les temps, dit-il, sont très durs pour lui et n'a personne pour l'aider. C’est pourquoi il voulait amener ces quatre enfants en Espagne et pour se soigner en même temps. Selon ses dires, ce n'est qu’après que quelques-uns de ses amis et parents l'ont contacté pour qu'il amène leurs enfants aussi. Il assure aussi que la majorité n'a pas payé, puisque ce sont les enfants de ses proches parents.
De ce fait, après l'organisation du voyage, il a confié aux enquêteurs qu'il lui restait une somme de 2,4 millions qu'il a laissée à sa famille avant de partir.
Cette thèse est soutenue par son frère Omar Sall, qui raconte comment il s'est livré aux autorités "de façon civique et responsable". "Quand Cheikh est arrivé, je lui ai trouvé des habits pour qu'il se change. Il voulait coûte que coûte se rendre à la gendarmerie pour se livrer. J'ai insisté pour qu'il prenne d'abord son repas", a déclaré Omar Sall, plus connu sous le nom d'El hadj. Sur cette lancée, il explique : "Après cela, nous nous sommes rendus ensemble à la section de recherches de Saly. Il s'est présenté et s'est livré." Avant de poursuivre : "C'est dans la soirée que la police est venue le récupérer à la section de recherches."
Par ailleurs, Omar Sall s'est offusqué du traitement médiatique réservé à son frère. Il martèle : "Il n'a jamais été question de fuite ou de marabouts. C'est d'ailleurs avec beaucoup de surprise que nous avons vu, ce matin, la presse relayer toutes sortes d'informations infondées".
Un mbourois : ‘’Les jeunes sont trop pressés’’
Dans la foulée, certains mbourois venus assister au repêchage des corps sur la plage de Grand Mbour ont exprimé toute leur désolation face à cette situation. Pour Moussa, habitant de Grand Mbour, "les parents ont beaucoup parlé, mais les enfants ne disent pas réellement ce qu'ils font. Certains avaient annoncé partir voir le Kankourang, alors ce n'est pas la vérité."
Dans la même mouvance, un autre mbourois qui a préféré garder l'anonymat ajoute : "La situation, nous l'avons toujours déplorée. L'émigration n'est pas une chose nouvelle." Pour lui, "il faut d'abord étudier les causes. À mon avis, les jeunes sont trop pressés. Les parents mettent aussi beaucoup de pression sociale sur leurs enfants, au point que ces derniers veulent aller coûte que coûte s'enrichir."
D'ailleurs, poursuit-il, "les responsabilités sont partagées. L'État ne peut pas tout faire, donc il faut que les parents prennent leurs responsabilités et qu'ils fassent comprendre à leurs enfants que la réussite dépend certes de la volonté, mais qu'il n'est pas obligatoire d'aller en Europe pour réussir, car il y a des gens qui sont partis en Europe..."
IDRISSA AMINATA NIANG (Mbour)