‘’La migration est devenue un dossier électoral en Europe’’

Le Professeur chercheur à l’Institut universitaire de la recherche scientifique parle à haute et intelligible voix de la migration en Afrique, et sous d’autres tropiques. Interpellé avant-hier à Dakar, en marge de la rencontre du réseau Migration et développement de la société civile en Afrique (Made Afrique) axée sur le thème : ‘’Pas de mobilité sans protection : Migration et mobilité intra interrégionale en Afrique’’, Abdefattah Ezzine note que la gestion de ces questions est politisée en Europe. Dans cet entretien, le coordonnateur national du réseau Marocain international sur la migration et le développement décline leur agenda en direction de la Cop 22 prévue à Marrakech du 7 au 18 novembre prochain.
Quel commentaire faites-vous de la migration en Afrique ?
D’abord, il faut relever qu’il y a beaucoup d’erreurs autour de cette migration africaine, de fausses nouvelles. Parce que l’essentiel de la migration africaine ne se passe pas hors du continent. Il est donc interafricain, surtout interrégionale. Aujourd’hui, les migrants climatiques qu’il faut défendre, doivent être liés avec la dette coloniale d’un côté, celles des politiques de développement imposées dans le cadre des rapports bilatéraux et multilatéraux avec les pays du Nord. Par rapport à l’exportation, ils nous ont imposé des politiques de développement agricole qui ne répondent pas au marché africain. Elle fait plutôt l’affaire du marché international.
Quelle est la corrélation entre la dette et le phénomène de la migration ?
La question de la dette et les autres aspects ont ruiné la société africaine. Aussi, nos Etats n’ont pas su bien gérer ces changements. A un moment donné, on nous a fait sortir la question du codéveloppement, c'est-à-dire win-win –gagnant-gagnant-. Avec les Plans d’ajustement structurel (Pas), la mondialisation aujourd’hui, rien n’a marché sur le continent. On se trouve devant une Afrique complètement ruinée, en manque de ressources. Et le grand problème, c’est qu’on utilise, parfois, les malheurs des migrants climatiques qu’on agite comme un épouvantail pour faire peur aux gens sur la question de la migration.
Qui agit de cette manière ?
C’est essentiellement les pays du Nord. De manière générale, dans ses discours, Donald Trump essaye d’instrumentaliser la migration, surtout celle africaine. Il véhicule de fausses notes pour dire que ‘’ce qui se passe sur le continent va se produire en Afrique’’. D’ailleurs, l’une des causes du Brexit, c’était la migration. Actuellement, on est en train de voir la montée des discours à caractère raciste, xénophobe, institutionnalisés et portés par des partis politiques. A cause d’eux, la migration est devenue un dossier électoral en Europe. A travers ses fils, l’Afrique l’a aidée pendant la deuxième guerre mondiale à se libérer de la domination. Malheureusement, on constate qu’actuellement, personne ne veut soutenir l’autre. A cet égard, la seule démarche qui s’impose, c’est celle de la coopération Sud-Sud. Maintenant, dans le cadre de cette coopération, il y a beaucoup de choses à faire. Il faut qu’on s’écoute.
Justement, par rapport à cette préoccupation dont vous faites état, l’Union africaine (Ua) joue-t-elle son rôle ?
(Il coupe). Vous savez, il y a beaucoup de guéguerre au niveau de l’Union africaine (Ua). Les Etats membres essayent de voir comment faire pour rester le leader sur le continent. C’est le cas de l’Algérie, de l’Afrique du Sud, etc. Parfois, ces pays n’écoutent pas les expériences africaines qui sont en train de se faire sur toutes ces problématiques. Par contre, le Maroc, en matière de politique de migration, est le seul qui a fait une régularisation. Effectivement, cette nouvelle politique est perfectible. Nous, membres de la société civile, nous avons été intégrés dans le processus. Nous avons essayé d’imposer à ce que cette régularisation soit faite dans les normes, et en symbiose avec la convention internationale des droits des travailleurs migrants et de leurs familles que le Maroc a ratifiée. Ce qui n’est pas encore le cas des pays du Nord.
Vous parlez de migrants climatiques. Avez-vous un agenda pour la prochaine Cop 22 prévue à Marrakech en novembre prochain ?
On a déjà calé notre agenda. En tant que société civile, dans le sillage des discussions sur la Cop 22 qui aura lieu à Marrakech, la semaine dernière, on a créé la Cop Afrika. C’est une structure qui discute sur les retombées du changement climatique, sur toutes politiques publiques, y compris la migration. Et on veut que cet espace travaille pour donner plus d’audibilité et de voix à la société civile africaine. D’ailleurs, on est en train de le porter avec des membres de la société civile maghrébine, subsaharienne. Notre objectif, c’est de faire en sorte qu’il dure dans tous les débats, de même que pour les autres Cops. C’est une approche qui va nous permettre d’éclaircir le débat relatif à la migration, aux droits de l’Homme, etc.
La société civile africaine est-elle, à votre avis, suffisamment forte pour faire entendre sa voix sur toutes ces questions ?
Je pense qu’il y a, d’après ce nous constatons en tant que réseau marocain transnational migration et développement, un certain dynamisme, une vivacité de cette société civile. Aussi, Made Afrique contribue beaucoup dans ce sens. Malheureusement, les décideurs politiques de certains pays africains ne savent pas utiliser ou exploiter le travail de la société civile sur ces questions. D’ailleurs, en tant que Made Afrique, on a visité l’Ua pour demander, quand on était à Addis-Abeba, un partenariat. On a envoyé une lettre à Nkosazana Dlamini-Zuma. Mais, jusqu’à présent, on n’a pas reçu de réponse. Donc, c’est pour vous dire que la société civile africaine essaye de faire des efforts.
Et comment jugez-vous l’attitude de l’Union africaine par rapport à votre requête ?
Notre ami, le professeur Papa Sakho, en parlant de cadre politique, juridique de la migration, a constaté que toutes les conventions que nous avons signées dans le cadre de la migration, de la bonne gouvernance, ne sont pas contraignantes. Donc, il y a toujours une clause qui dit que chaque Etat a le droit de ceci ou de cela. Autrement dit, on ouvre une brèche pour l’excès de zèle de certains fonctionnaires. Dans certaines occasions politiques, quand il y a des guéguerres entre les Etats, le migrant paie les pots cassés. Récemment, il y a eu 250 000 Marocains expulsés de manière arbitraire de l’Algérie. C’est pour vous dire que le migrant reste otage des guerres ou des conflits entre les Etats, des tensions sociales. A cet égard, le concept ‘’étranger’’ doit être réglementé, encadré. Et nous devons, dans le cadre de notre continent, donner l’exemple entre les Africains.
PAPE NOUHA SOUANE