‘’Violence’’ Mea Lex

Les universités Cheikh Anta Diop de Dakar et Gaston Berger de Saint-Louis sont entrés en ébullition pour soutenir leurscamarades de l’université de Bambey, enmouvement depuis le 30 novembre. Ces derniers réclament que toute lalumière soit faite sur le décès de leurcamarade Badara Ndiaye. Cette explosion de violence risque d’entrainer des incidentsmortels, comme ce fut le casavec Bassirou Faye àl’Ucad et Fallou Sène àl’UGB
L’université sénégalaise renoue avec ses vieux démons. Depuis lundi dernier, le spectre de la violence s’est emparé des universités Gaston Berger de Saint-Louis et Cheikh Anta Diop de Dakar qui ont décidé de rejoindre le mouvement de protestation des étudiants de Bambey. Ces derniers multiplient les actions coups de poing (grèves, sit-in, affrontements avec les forces de l’ordre). Une situation qui a dégénéré, avec la présence des forces de l’ordre dans le campus social, lundi dernier. Une action considérée par les étudiants comme de la provocation. Ainsi, ils ont décidé de faire capoter les examens prévus le lundi 13 décembre.
Face à leur mot d’ordre de grève illimitée, le recteur de l’université, Mahy Diaw, est sorti de sa réserve pour expliquer la présence des forces de l’ordre dans le campus pédagogique qui, d’après lui, ne nécessite pas une autorisation préalable. Les étudiants de Bambey réclament que toute la lumière soit faite sur le décès de leur camarade Badara Ndiaye décédé le 30 novembre 2021 dans le campus de l’université de Bambey dans des circonstances non encore élucidées (voir ailleurs). Le certificat de genre de mort délivré par le docteur Ahmadou Bamba Guèye de l’hôpital Le Dantec, indique qu’il a succombé à une maladie hépatique avec défaillance multicéréale. Ses camarades parlent, eux, d’intoxication alimentaire qui aurait touché plusieurs dizaines d’étudiants à l’université de Bambey.
Cette montée de la violence a eu un effet boule de neige : les étudiants de l’Ucad et de l’UGB sont entrés dans la danse. Mardi dans la matinée, ils ont bloqué l’avenue Cheikh Anta Diop, la corniche-Ouest et ont affronté violemment les forces de l’ordre. Ainsi, jets de pierres, grenades lacrymogènes et barricades rythment la journée des étudiants dans les universités susmentionnées, depuis le début de la semaine.
Des échauffourées ont eu lieu, hier, devant l’université Cheikh Anta Diop. Dans une note, le collectif des étudiants de l’Ucad a décidé d’une cessation totale de toutes les activités pédagogiques (cours et examens) et sociales à l’Ucad pour 48 heures renouvelables. Les étudiants de Gaston Berger ont bloqué, de leur côté, la route nationale 2, en solidarité avec leurs camarades de Bambey et de Dakar (voir ailleurs). Au cours de la journée, le président de la Coordination des étudiants de Saint-Louis, Djiby Diène, a indiqué détenir un agent du renseignement capturé et séquestré par des étudiants. L’agent a été libéré, quelques heures plus tard.
Des policiers en civil pris comme ‘’otages’’
Ce nouveau mode opératoire risque de détériorer un peu plus les liens qui peuvent exister entre étudiants et forces de l’ordre. Déjà, la semaine dernière, deux policiers en civil, capturés et séquestrés par des étudiants de l’université Aliou Diop de Bambey, ont été finalement libérés, à la suite d’un échange avec une dizaine d’étudiants détenus par les forces de l’ordre.
Cette explosion de la violence marquée par les violations de la franchise universitaire, multiplie les risques d’incidents et de bavures mortels. On se rappelle : Bassirou Faye (2014) et Fallou Sène (2018) ont succombé à leurs blessures, à la suite de tirs des forces de l’ordre au sein du campus universitaire. Des tragédies consécutives à l’intrusion des forces de l'ordre dans les campus, exacerbant les tensions avec les étudiants.
Une tension qui ne risque pas de retomber, vu les déclarations de Steven Dame Sène, représentant des collectifs des amicales de l’Ucad. Il indique que les étudiants restent toujours sur le pied de guerre. ‘’Nous avons prévu une assemblée générale à 20 h 30 (NDLR : hier mercredi), pour examiner la situation. Mais nous restons déterminés et mobilisés à soutenir coûte que coûte nos camarades de Bambey. Nous voulons juste qu’ils soient rétablis dans leurs droits. Les policiers sont entrés dans le campus social et on a dénombré quelques blessés. Il y a eu des échauffourées avec les forces de l’ordre, jusque dans l’après-midi’’, a-t-il affirmé.
Interrogé sur les risques de bavure, à l’instar de la mort de Bassirou Faye tué dans le campus social, l’étudiant s’est dit très inquiet de cette situation. ‘’Nous craignons une nouvelle bavure, si la situation persiste. C’est pourquoi nous demandons aux forces de l’ordre de se retirer et que le ministre de l’Enseignement supérieur prenne ses responsabilités, en rétablissant la franchise universitaire. Par ailleurs, nous réclamons aussi la restauration de la Coordination des étudiants de l’université de Bambey pour qu’elle puisse porter les revendications de leurs camarades’’, a-t-il ajouté.
La précarité sociale et les conditions d’études difficiles à l’origine de l’explosion de violence
La précarité sociale, le manque d’amphithéâtres, les conditions d’études difficiles et l’absence de perspectives pour de nombreux étudiants diplômés exacerbent les phénomènes de violence au sein de nos universités sénégalaises.
En outre, les élections pour les syndicats d’étudiants, les retards dans le paiement des bourses d’études et les sélections pour les études en Master sont aussi souvent marquées par des actions de violence à l’encontre des forces de l’ordre et même du personnel de l’université. Sans oublier les agressions, menaces ou intimidations envers les enseignants et chercheurs au sein des universités. Des excès de rage qui aboutissent parfois à des batailles rangées entre étudiants ou contre les forces de l’ordre, avec leur lot de destructions et de blessés au sein du campus social.
Fatou Seck Youm, chargé des revendications du Saes (Syndicat autonome des enseignants du supérieur), redoute une explosion de la violence susceptible de conduire à des drames comme ceux vécus, dans le passé. ‘’Nous avons des craintes dans ce sens. Mais quand la sécurité des personnes et des biens est en danger, parfois, il faut faire une petite entorse aux franchises universitaires’’, dit-elle d’entrée, avant d’appeler les étudiants à faire preuve de responsabilité, pour éviter tout embrasement pouvant aboutir à des tragédies au sein des universités.
‘’Ils n’ont qu’à agir comme des personnes matures. On peut manifester sans pour autant aller vers la violence. Quand on soutient, on ne doit pas être dans l’extrême. Ces manifestants sont en train d’hypothéquer l’avenir de leurs camarades qui sont dans les amphithéâtres. On est en train de faire tout pour finaliser l’année académique 2020-2021 et chaque jour et chaque heure compte. On ne pense pas clôturer l’année académique, d’ici la fin de l’année civile, avec des sessions de rattrapage qui vont avoir lieu au mois de janvier et de février 2022. On veut tout faire pour éviter la session unique’’, soutient-elle.
Pour sa part, le sociologue Ibrahima Diop estime que cette violence est contreproductive pour régler les difficultés des étudiants. ‘’Il faut savoir que tout gain obtenu par la violence se perd par la violence. La violence dans sa nature est contreproductive. L’espace universitaire a toujours enregistré des violences et des morts. Nous avons un patrimoine universitaire qui a été rythmé par la violence mortelle. Il faudrait repenser l’espace universitaire comme centre de production d’un projet social autour de la paix et du développement et autour des défis du monde du savoir’’, indique le sociologue qui souligne que cette explosion de violence est souvent liée à un manque de culture de la paix et de la médiation au sein de l’espace universitaire.
‘’L’université a toujours été un espace en ébullition, en période de pré et postélectorale. La façon dont l’activité politique traverse l’espace universitaire est désorganisée. Il n’y a pas de culture de la paix et de la médiation dans l’espace universitaire’’, informe Ibrahima Diop.
MAKHFOUZ NGOM