Publié le 7 Jun 2019 - 23:42
ALIOU SALL

Le revers de son frère

 

Sous ses airs d’un Monsieur calme et posé, se cache un homme très ambitieux, téméraire, fougueux, insouciant parfois et très bagarreur… Depuis 2011, Aliou Sall patauge dans le liquide très inflammable qui a, il n’y a guère longtemps, failli brûler le très resauté Cheikh Tidiane Gadio.

 

Sa vie n’a pas toujours été stable. A ses instants de gloire, souvent ont succédé des moments d’échec, de difficultés de toutes sortes. Mais qu’à cela ne tienne ! Aliou Sall n’est pas du genre à abandonner. Le témoignage est unanime. De Peulgua à Guédiawaye, en passant par les sphères de l’Etat, les partis politiques et organes de presse qu’il a fréquentés, il s’est toujours montré bon combattant. Pour ses convictions certes, mais aussi et surtout pour ses intérêts. Quitte même à défier son propre frère de Président.

L’exemple le plus récent a été les élections législatives de 2017. Accusé de népotisme par l’opinion, Macky Sall finit par lui demander de  ne pas se présenter sur les listes. Aliou, lui, persiste dans sa volonté de montrer qu’il est le Roi de cette ville stratégique. Finalement, après moult conciliabules, il finit par lâcher la cause. Mais pas gratuitement, analysaient certains observateurs. En effet, dans la foulée des législatives et de la victoire éclatante de la majorité présidentielle, il est nommé au juteux poste de directeur général de la Caisse des dépôts et consignations, la ‘’banque de l’Etat’’. Sous ses épaules, reposait dès lors la gestion de plusieurs milliards FCFA. Ainsi, Aliou n’est pas du sorti perdant de ce qui était considéré par certains comme un bras de fer avec son grand frère. Et il n’en était pas à son coup d’essai. Entre les deux frères, les chemins se sont souvent séparés.

Nous sommes en 2008. Macky Sall est dans le viseur de son ex-mentor Abdoulaye Wade. Traqué de toute part, il finit par lâcher prise et crée sa propre formation politique, l’Alliance pour la République. Plusieurs responsables libéraux ainsi que des indépendants décident de le suivre dans son ‘’combat contre l’injustice’’. Aliou Sall, lui, préfère garder ses ses distances. Il reste à son poste de conseiller technique à l’Ambassade du Sénégal en Chine, jusqu’à la veille de la présidentielle de 2012. A cette date, il rejoint le train de son frère déjà en marche. Mais autonome, il choisit de rester aux périphéries du parti APR. Aussi porte-t-il sur les fonts baptismaux son Mouvement dénommé Air Macky. Ce n’est que bien plus tard que les deux entités vont fusionner. Et Aliou devint totalement marron.

Dans la formation politique de son grand frère, certains le considèrent comme un militant de l’avant-dernière heure. Mais le fils d’Amadou Sall et de Coumba Thimbo n’en a cure. Très vite, il grimpe les échelons. Aidé en cela par son frère de Président. En 2014, grâce notamment au coup de main de son frère, il est porté à la tête de la mairie de Guédiawaye. C’est le début de son envol politique. Tour à tour, le frère du Président est maire, président de l’association des maires du Sénégal… Ecrasant tous ceux qui se dressent sur son chemin. Comme son frère au sommet de l’Exécutif central, lui est placé aux cimes de l’exécutif local. N’en déplaise à ses détracteurs de tous bords qui y voient la main du chef de l’Etat.

Mais il sera stoppé net dans son ascension par le scandale du pétrole soulevé pour la première fois par l’ancien président de la République, Abdoulaye Wade, en guerre contre Macky Sall. L’affaire sera exacerbée par les témoignages-dénonciations de l’ancien Premier ministre Abdoul Mbaye qui disait avoir contresigné le décret accordant les blocs litigieux à Franck Timis sur la base d’un rapport mensonger.

Bagarreur, téméraire, très futé

Bagarreur, téméraire, très futé, selon ses proches, Aliou Sall finit par sortir la tête de l’eau et même va prendre des galons au niveau du pouvoir. En quelques années, il est devenu presque intouchable. Même ses anciens détracteurs semblent aujourd’hui devenir ses principaux souteneurs. Le chemin fut long. Mais Aliou, comme son frère, a toujours su rester concentré sur l’objectif.

Au cours d’un détour dans leur fief à Fatick, l’on découvre qu’entre les frères Sall, les chemins se sont souvent séparés. Enfants, Macky était si discipliné, calme, à la limite hermétique, Aliou, si terrible, actif et très ouvert, selon nombre de témoignages. Dans les années 1980, Macky et ses amis créent l’ASC Disso sur les flancs de Lamtoro. Plus tard, Aliou en fera de même avec Pastef dont il deviendra délégué, puis président vers 2005. Toujours dans les années 80, Macky Sall va quitter son premier parti AJ/PADS pour rejoindre le Parti démocratique sénégalais. Aliou, lui, reste à gauche. Militant dans l’âme, il flirte avec la politique, depuis le lycée Waldiodio Ndiaye de Kaolack où il a eu son baccalauréat. Dans un contexte où les idéologies avaient encore de la valeur.

Et très vite, le jeune garçon, issu d’un milieu modeste, choisit son camp. Celui des meneurs de grèves et des contestataires. Il s’engage aux côtés de Landing Savané et de AJ. Ses proches diraient : le prolongement de la vie d’un enfant ‘’insouciant’’, libre, bon vivant, provocateur et perturbateur. Dans un article paru dans le journal l’Observateur, lui-même se confiait : ‘’Une fois, mon père m’a bastonné jusqu’à me laisser des œdèmes’’. Mais avec son frère ainé, la relation a, malgré son sale caractère, était on ne peut plus apaisée. On peut dire que les deux n’étaient pas si proches. Ils n’avaient pas les mêmes fréquentations. Aliou Sall, dans le même article, reconnaissait : ‘’Sincèrement, j’étais quelqu’un de très difficile à vivre, mais il (Macky) n’a jamais levé la main sur moi’’. Entre eux, il y a 8 ans de différence. Le Président est né en 1961. Aliou en 1969. A en croire le deuxième garçon des Sall, son frère a très tôt pris le destin de la fratrie en mains. Venant à la rescousse d’un père retraité…, il lui arrivait de partager même sa bourse.

Il ne saurait en dire autant pour lui-même. Pendant ce temps, il continuait de mener sa petite bonne vie, loin de tout stress. ‘’Il a toujours été plus préoccupé que moi par la situation familiale. Moi, j’étais vraiment insouciant. Je n’ai jamais eu ce stress-là’’.

Elève, Aliou n’a jamais été un crack. Toutefois, à l’école primaire déjà, ses enseignants avaient remarqué ses aptitudes intellectuelles non négligeables. Mais le petit, selon Wikipédia, ne faisait pas assez d’efforts. Il n’empêche, il arrive à décrocher son BFEM et finit par intégrer le lycée Coumba Ndoffène, où il fait long feu. En effet, après une année laborieuse en Première, il échoue au baccalauréat, l’année suivante. Aussi est-il renvoyé de l’établissement. Il migra vers Kaolack. Dans la capitale du Ndoukoumane, loin de la chaleur familiale, du regard inquisiteur de Papa et maman, il carbure fort et finit par obtenir son baccalauréat. Mais, il était loin de ses peines. Lui qui tenait particulièrement à intégrer l’UGB qui venait d’ouvrir ses portes, il est orienté à Cheikh Anta Diop. Il est au pied du désespoir, avant de se ressaisir, compte tenu, entre autres, de la situation familiale. Il se résout à rejoindre Dakar, plus précisément le département de Géographie.

Au bout de deux années seulement, le frère d’Aziz et de Hady, petit frère de Macky et de Rokhaya, va encore échouer dans la populeuse faculté des Lettres. Il est précipité vers la sortie par l’année invalide de 1994. Mais il ne baisse pas pour, autant les bras. Passionné de débat, de politique et très épris de sa liberté, il ne mettra pas du temps à comprendre que le journalisme est peut-être sa voie de prédilection. Ainsi, décide-t-il de faire le concours d’entrée au Cesti. Il en est ainsi admis et partage la 24ème promotion avec de grands noms du journalisme comme Mamoudou Ibra Kane, Pape Diomaye Thiaré, Samboudian Kamara, Yoro Dia… Ancien stagiaire à Walfadjri, Aliou a aussi été employé à Info 7 par le doyen Pape Samba Kane, avant de rejoindre plus tard le journal Sopi du PDS, après son licenciement de la boîte. Dans l’Obs, il expliquait que c’était à la veille de la Présidentielle de 2000. S’appuyant sur des statistiques, il avait fait un article dans lequel il montrait les villes que le Parti socialiste risquait de perdre. Selon lui, comme Papa Samba Kane n’était pas venu, ce jour-là, les intérimaires avaient décidé de mettre le papier à la Une. Ce qui n’a pas manqué de fâcher les actionnaires. Par la suite, il est envoyé en reportage à Banjul. Et, au retour, on lui signifie la décision de le remplacer par Yakham Mbaye et il passe de chef de desk politique à grand reporter.

C’est sur ces entrefaites qu’il deviendra libéral. Mais malgré son caractère trempé, Macky ne le lâche pas. C’est pendant qu’il était Premier ministre qu’Aliou sera nommé comme conseiller à l’Ambassade de Chine. C’était en 2006. C’est d’ailleurs dans l’empire du milieu qu’il va connaitre le ténébreux homme d’affaires roumain, Franck Timis. C’était, en 2010, grâce à Pierre Atépa Goudiaby.

L’enfant terrible des Sall

A la veille de la campagne électorale de la Présidentielle 2019, EnQuête s’était rendu dans le quartier qui a vu grandir la famille du président. C’était pour qu’il raconte son enfant de Président, le premier garçon d’Amadou et de Coumba Thimbo. Mais très vite, ce qui était parti pour être un portrait du Président avait viré en une véritable causerie sur son petit-frère, l’enfant terrible des Sall. ‘’Il n’avait pas de limite dans le quartier. Il mangeait où il voulait. Il n’habitait presque pas chez lui. Il dormait chez le chef de quartier. C’est un blagueur hors-pair’’, témoignait Kama Sakho qui l’a vu grandir. Un autre de renchérir : ‘’Maintenant, on ne le voit qu’exceptionnellement. Quand il passe ici, comme à son habitude, day wakh ba weur leu. Vraiment, il est très humain, ouvert, mais il n’aide pas la population comme cela se devait’’. Le vieux Racine Fall, lui, aujourd’hui très âgé, témoignait : ‘’Je n’ai connu vraiment Macky que quand il s’est engagé en politique. Je connais plus leur père et Aliou qui habitait dans cette maison. Lui, c’est mon enfant’’. A la question de savoir quel genre d’enfant il était ? Il répondait par un sourire qui en disait déjà long.

Aujourd’hui encore, il est resté presque le même humainement. Il est plein de vie, plein d’humour, selon ses proches, toujours en lutte pour ses propres fantaisies, ses rêves. Malgré le temps, il est sympa et cool. ‘’Mais, il faut qu’il pense davantage aux jeunes avec qui il a grandi’’, réaffirme cet ami d’enfance.

MOR AMAR

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