Publié le 9 May 2021 - 02:09
ATTAQUES REPETEES CONTRE LES ACTIVISTES

Quand la violence prend le dessus sur l’argument 

 

La cohabitation entre les mouvements citoyens, notamment les activistes, et les autorités politiques est souvent heurtée au Sénégal et plus largement en Afrique. Depuis les débuts de Y en a marre, en 2011, à nos jours, les activistes sont souvent pris pour cible. C’est le cas aussi dans de nombreux pays africains.  

 

Recourir à la violence à la place de la force de l’argument pour faire taire les activistes. Ce sont des scènes que l’on rencontre régulièrement, en Afrique. Au Sénégal, il n’est pas rare qu’on assiste à ces cas de figure. En atteste ce qui s’est passé, le mercredi dernier à Nianing dans la commune de Malicounda, avec l’agression violente du cortège de l’activiste Guy Marius Sagna. En effet, invité par les membres de mouvement ‘’Jog Jotna’’, pour recueillir des informations sur les litiges fonciers qui existent dans cette commune, le leader de Frapp/France dégage n’a pas pu effectuer sa visite, comme prévu. Il a été chassé de la localité par une partie des nervis qui l’ont aspergé du sable pour le faire sortir du village.

‘’Au-delà du camarade Guy Marius Sagna, c'est toute la délégation du Frapp (5 personnes) présente sur les lieux qui a été attaquée. Ces actes montrent encore que les Sénégalais dignes du Frapp dérangent les Sénégalais indignes qui oppriment le peuple. Ces derniers sont prêts à tout pour faire taire le Frapp’’, regrette Daouda Gueye, membre du mouvement Frapp France dégage. Comme ses camarades, l’activiste Daouda Guèye pointe du doigt le maire de Malicounda comme étant derrière ce sabotage de la visite des activistes. Ce, parce que le mouvement, de par son discours, dérange les autorités politiques qui ‘’au lieu de se défendre dans un débat d’idées ont choisi la violence pour leur faire taire’’.

Les violences subies à Nianing, dans la commune de Malicounda, ne sont pas isolées. Il y a quelques semaines, l’activiste Guy Marius Sagna avait subi le même sort dans le sud du pays à Médina Wandifa (Sédhiou) où il se rendait, pour les mêmes raisons, à savoir discuter des litiges fonciers opposant les populations aux autorités locales. ‘’Les activistes sont souvent pris comme des porteurs de message et d'informations aux populations sur la gestion de leur village, leur quartier, leur commune. Et les élus qui comptent sur le manque d'information des populations pour entretenir leur clientèle politique voient ces visites comme des menaces. Ce qui justifie leurs attitudes violentes, ainsi que celles de ceux qui comptent sur leur faveur’’, argue Daouda Gueye.

Il faut dire que les scènes de violence à Nianing, notamment l’image de l’activiste Guy Marius Sagna portant un tee-shirt complément déchiré, ont marqué les esprits et suscitent une indignation quasi généralisée. L’une des plus notables est celle de Moustapha Diakhaté. L’ancien président du groupe parlementaire de la majorité à l’Assemblée Nationale a condamné avec vigueur la violence subie par le cortège de l’activiste. ‘’Je condamne fermement ce qui est arrivé à Guy Marius Sagna. La culture Sénégalaise promeut l’hospitalité pour les hôtes et je crois qu’asperger du sable sur un invité ne fait pas partie de notre hospitalité’’, a-t-il déclaré.

Mieux, pour mettre fin à cette forme de violence, Moustapha Diakhaté invite le président de la République à parler avec le maire de la localité, membre de la coalition Benno Bokk Yakaar et accusé par les activistes d’être derrière l’affaire, pour que ‘’ce genre d’évènements ne se répètent plus’’ dans la commune. ‘’Guy Marius Sagna est libre d’aller partout où il veut dans les pays, parce que la Constitution le lui permet. Malicounda n’appartient pas à ses habitants, mais à tout le Sénégal. La violence ne fait pas partie de la politique. Je renouvelle ma solidarité à Guy Marius’’, a-t-il ajouté.

Toutefois, si cette scène de violence dont est victime l’activiste le populaire du pays a choqué plus d’uns, force est de reconnaitre que ce n’est pas pour la première fois qu’on a recours à la force pour faire taire des activistes. Lors des émeutes de mars, les activistes avaient été au centre de l’attention des autorités du pays. Ils avaient été nombreux à être arrêtés et envoyés en prison. C’était le cas du leader de Frapp Guy Marius Sagna. Il n’a recouvré la liberté que bien après la fin des manifestations, à la faveur de la médiation des religieux et des acteurs de la société civile.

Fadel Barro : ‘’A ses débuts, Y en a marre en a beaucoup souffert’’

Le mouvement Y en a marre aussi fait l’amère expérience de cette traque, par le passé. Fondé en janvier 2011, à l’orée de la campagne présidentielle de 2012, pour s’opposer au troisième mandat du président Abdoulaye Wade, le mouvement citoyen en avait vu, à l’époque, de toutes les couleurs.  ‘’A ses débuts, Y en a marre en a beaucoup souffert. On a été attaqué et interdit d’entrée à Bambey, lors d’un meeting de sensibilisation en 2011, pour l’inscription des jeunes sur les listes électorales. A l’époque, c’était Aida Mbodj, la mairesse. Elle ne voulait pas qu’on entre dans sa ville. Il y avait des nervis qui nous attendaient à l’entrée. On a été obligé de contourner et de passer dans la brousse pour rentrer à Bambey. Et une fois sur place, quand on a commencé notre meeting, des nervis sont venus nous jeter des pierres. Finalement, c’est la police qui est venue nous encadrer pour nous faire sortir de la ville’’, raconte l’un des membres fondateurs du mouvement, Fadel Barro.

Aujourd’hui, c’est le mouvement citoyen Frapp France dégage qui est dans le collimateur des tenants du pouvoir. ‘’Au-delà des violences subies à Nianing, Kafountine, Medina Wandifa, Cherif Lo, le Frapp est très souvent victime d'intimidation et de voies de fait. Lors de la célébration de la fête de l'indépendance de 2021, à Pikine, n'eut été la détermination des camarades, le préfet allait arrêter la conférence qui se déroulait au centre culturel Léopold Sédar Senghor’’, indique un membre du mouvement.

‘‘Lutter contre l’impunité’’.

De l’avis de Fadel Barro, si on assiste à ces attaques contre les dirigeants de ces mouvements citoyens et même des hommes politiques, c’est parce que les gens ne font plus recours aux débats idéels pour défendre leurs opinions. A la place, l’on a plus tendance à recourir à la violence pour faire taire les idées du camp adverse. Une situation qu’il déplore. ‘’C’est de la violence politique, parce qu’elle est fondée sur des opinions politiques. Ce n’est pas fondé sur autre chose. Les gens qui le font, le font parce qu’ils ont des divergences d’opinion politique. Ils ne font pas, parce que la personne en face ne leur plait pas’’, précise-t-il.

Ainsi, pour le lanceur d’alerte, ce qu’il faut surtout combatte, c’est cette tendance des politiques de recourir à la force à la place des idées pour s’imposer. ‘Ce n’est pas pour la première fois que ça arrive. On a vécu le cas de Talla Sylla qui a été tabassé. Les leaders politiques sont aussi concernés. Rien que la dernière présidentielle, on a attaqué le cortège d’Issa Sall à Tambacounda et il y a eu mort d’homme. Des gens sont aujourd’hui en prison pour ces faits. C’est cette violence en politique qu’il faut dénoncer. Il ne s’agit pas de faire de nouvelles lois ou de protection particulière, parce qu’on n’est pas dans les cas de figure d’un influenceur ou lanceur d’alerte qui sont de nouvelles activités que les gens ne connaissent pas encore. Mais, ici, on est dans le cadre classique d’un Sénégalais qui se déplace et qui a voulu exprimer ses opinions et on l’en a empêché’’, dénonce-t-il.

Pour l’activiste, le problème est qu’aujourd’hui, le débat est appauvri au point que les gens n’ont plus d’arguments et n’ont recours qu’à la violence politique pour se faire entendre. L’autre problème, souligne-t-il, c’est l’impunité conjuguée à la faiblesse de la sécurité publique qui fait perdurer ce phénomène. ‘’C’est une violation du droit des Sénégalais de circuler librement chez eux et le droit à la sécurité. Il faut que la loi s’applique. On est d’abord sénégalais et citoyens, avant d’être activistes. Cependant, on ne peut pas avoir une protection personnelle pour ces gens, parce que la loi est impersonnelle. Cette violence politique qui s’exerce sur les citoyens, il faut la condamner et la meilleure manière de l’arrêter, c’est de lutter contre l’impunité. Il faut traquer et juger ceux qui l’exercent, comme l’ont étaient les auteurs des violences politiques, lors de la campagne électorale, avec les cortèges du candidat Issa Sall’’, martèle-t-il. 

Toujours pour mettre fin à cette substitution de la violence au débat d’idée, le membre de Y en a marre pense que la presse à un rôle essentiel à jouer. ‘’Il faut que la presse joue son rôle, au lieu d’attiser le feu. Au lieu de jouer sur les émotions, il faut dire aux gens qu’il faut revenir aux batailles d’idées et pas celles des armes. Chaque acteur doit aussi comprendre qu’il a une part de responsabilité dans cette violence’’.

Afrique, terre hostile aux activistes

Toutefois, cette violence contre les activistes n’est pas seulement l’apanage du Sénégal. Le 20 janvier 2021, huit membres du mouvement citoyen Lucha ont été acquittés par un tribunal militaire du territoire de Beni, en République démocratique du Congo. Le crime des activistes Eze Kasereka, Clovis Mutsuva, Consolée Mukirania, Elie Mbusa, Patrick Nzila, Délivrance Mumbere, Aziz Muhindovegheni et Lwanzo Kasereka avait été de manifester contre, le 19 décembre 2020, pour la paix et pour critiquer la mission de maintien de la paix des Nations Unies en RD Congo. Dans la mesure où, au cours de l’année écoulée, les groupes armés et les forces de sécurité de l’État ont tué au moins 670 civils, lors d’attaques perpétrées dans le territoire de Beni.

Ainsi, après un mois en détention rythmé par des tortures en prison, ils avaient été acquittés. D’autant que le parquet leur reprochait les crimes de « violences à sentinelle » et « sabotage ». Des accusations fabriquées de toute pièce. Et avait requis 10 ans de prison contre eux. Les juges avaient mis fin à la farce en concluant à l’absence de fondement des chefs d’accusation.

Plus récemment, en avril dernier, toujours dans le territoire de Beni (Nord-Kivu) et dans la Province voisine de l’Ituri, les mouvements citoyens pro-démocratie ont été réprimés violemment par des forces de sécurité congolaise, alors qu’ils manifestaient pacifiquement pour demander le départ de la Mission des Nations Unies pour le maintien de la paix en RDC (MONUSCO), accusée de rester passive face aux massacres perpétrés contre la population. Une dizaine d’activistes ont été interpellés lors des manifestations, puis libérés. Neuf autres sont restés en détention à Beni.

En Côte d’Ivoire, en 2019, Amnesty International s’émouvait de l’arrestation du cybermilitant Soro Tangboho, alias Carton Noir. Condamné à un an de prison, sa peine avait été alourdie à deux ans, à l’issue de son procès en appel. Son péché avait été de diffuser, le 8 novembre 2018 à Korhogo, dans le nord du pays, en direct sur Facebook une vidéo montrant des policiers qui étaient en train d’extorquer de l’argent à des motocyclistes. Accusé de « troubles à l’ordre public » et d’« incitation à la xénophobie », il avait été arrêté.

A l’image de ces quelques exemples, il reste encore du chemin à faire pour que les activistes africains soient considérés comme des maillons essentiels de l’édification de sociétés de justice et paix en Afrique. Kémi Séba ne dira pas le contraire.

ABBA BA

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