Publié le 4 Oct 2016 - 21:33
CONSEQUENCES D’UN CUMUL DE FONCTIONS A L’IFAN

Le temps des incertitudes…

 

L’Institut fondamental d’Afrique noire (Ifan) survivra-t-il au Musée des civilisations noires (Mcn) ? Cette question taraude des chercheurs de l’Ifan et même le Syndicat autonome de l’enseignement supérieur (Saes). La principale inquiétude reste les conséquences du cumul de fonction de M. Hamady Bocoum à la tête des deux institutions. Plusieurs éléments concourent à démontrer un conflit d’intérêts qui sera forcément préjudiciable à l’avenir de la ‘’maison’’ de Cheikh Anta Diop.

 

L’Institut fondamental d’Afrique noire (Ifan) traverse une forte période d’incertitudes. Son personnel se pose beaucoup de questions quant à l’avenir de leur outil de travail. L’une des principales préoccupations réside dans la gestion des collections du musée Théodore Monod de l’Ifan. Depuis quelque temps, une polémique s’est installée entre les autorités de l’université et le Saes, mettant en cause le directeur de l’Institut fondamental d’Afrique noire (Ifan), M. Hamady Bocoum. Ce dernier est soupçonné de vouloir transférer, en dehors des procédures administratives, les collections du musée Théodore Monod vers celui des civilisations noires nouvellement créé. En fait, le directeur général de l’Ifan est en même temps celui du Musée des civilisations noires.

Ce qui n’est pas une première, puisque par le passé, il a eu à cumuler la fonction de directeur du Patrimoine avec celle de l’Ifan, entre 2011 et 2015, avant de démissionner du premier en mars 2015 pour être promu patron du Musée des civilisations noires. Ce cumul de poste fait craindre un conflit d’intérêts au détriment de l’Ifan. Le fond du problème, c’est que l’ouverture du Mcn est prévue en novembre prochain. Or, à ce jour, cette nouvelle institution ne dispose d’aucune pièce.

Hamady Bocoum, le directeur des deux entités, a fait savoir que le Musée des civilisations noires empruntera à l’Ifan une partie de son patrimoine estimé à près de 10 000 pièces. L’annonce de M. Bocoum a été confirmée par un communiqué du ministère de la Culture en date du 21 janvier 2013. Le document souligne que ‘’le ministre de la Culture et l’ambassadeur de la République populaire de Chine ont visité le Musée Théodore Monod de l’Ifan qui dispose de plus de dix mille pièces dont certaines seront utilisées pour le futur Musée des civilisations noires’’.

Ce qui fait craindre un pillage de l’Ifan au profit du Musée des civilisations noires. Car jusqu’ici, les modalités de transfert des pièces n’ont pas été précisées. Y aura-t-il une convention entre les deux structures ? Quelles sont les personnes qui défendront les intérêts de l’Ifan ? Est-ce que Hamady Bocoum directeur de l’Ifan va écrire à Hamady Bocoum directeur du Musée des civilisations noires pour un prêt ? Si oui, dans quelles conditions ? Pour combien de pièces et pour quelle durée ? Que gagnera l’Ifan en contrepartie ? Autant de questions parmi tant d’autres sans réponses, alors que le transfert se précise de plus en plus.

Dans une lettre ouverte qu’ils ont cosignée et adressée au président de la République, M. Macky Sall, quatre chercheurs de l’Institut s’inquiètent du fait qu’‘’à ce jour, ni l’Assemblée de l’Ifan Cheikh A. Diop, ni le Comité scientifique de l’Ifan Cheikh A. Diop, encore moins le Conseil d’administration de l’Ifan Cheikh A. Diop, les trois premières instances institutionnelles, toutes au-dessus du directeur, habilitées à émettre des décisions importantes relatives à sa gouvernance, n’ont été invitées à statuer sur cette demande exceptionnelle à tous les égards’’.

Un combat en perspective

De quoi attirer l’attention du chef de l’État sur ce ‘’malencontreux cumul de fonctions, des menaces qui pèsent aujourd’hui sur le patrimoine d’un des plus vieux Instituts de recherche d’Afrique, sur le legs scientifique de Cheikh Anta Diop mais aussi sur la notoriété positive du Musée des civilisations noires’’. ‘’Et si l’on n’y prend garde, les conséquences seront irrémédiables pour l’Etat du Sénégal’’, avertissent les quatre chercheurs.

Du côté de ces chercheurs et des autres enseignants-chercheurs, on se dit favorable à une convention entre l’Ifan et le Musée des civilisations noires, puisque cette pratique fait partie même du fonctionnement des musées de prêter et de se faire prêter des objets ou collections. Mais nos interlocuteurs veulent surtout que les intérêts de l’Institut, qui porte le nom du pharaon noir, soient préservés. Que les pièces du musée Théodore Monod restent une propriété de l’Ifan. ‘’Si le Musée des civilisations noires met la main sur les collections, c’est la mort de Théodore Monod’’, alerte-t-on.

Il faut d’ailleurs s’attendre à un combat entre enseignants et autorités. Car au dernier congrès du Syndicat autonome de l’enseignement supérieur (Saes) tenu les 29, 30 et 31 mars 2016, cette question a été évoquée. Tous les campus du  syndicat avaient voté à l’unanimité une motion pour prévenir contre toute prédation des biens culturels des universités au profit du Mcn. ‘’Il faut préserver le patrimoine de l’université. Et puisque le recteur de Dakar (Ibrahima Thioub) ne veut pas le faire, il suit la vague, nous, nous allons rester vigilants’’, avait promis le secrétaire général sortant Seydi Ababacar Ndiaye.

Le Saes a encore repris le sujet lors de la marche organisée de l’Ifan au Rectorat quelques semaines après le congrès et à l’initiative de la coordination de Saes du campus de Dakar. Lors d’une conférence de presse tenue le vendredi 26 août 2016 à la salle de visioconférence de l’UCAD II, le recteur de l’Ucad, par ailleurs président du comité scientifique, a nié en bloc. Le professeur Ibrahima Thioub a déclaré que "ni le Rectorat ni l'Ifan n'ont reçu à ce jour de demande de prêt émanant du Musée des civilisations noires". Selon lui, ‘’il n'y a point de germe de conflit d'intérêts lié à la création du nouveau musée, aux pratiques observées ou résultant du fait que le directeur de l'Ifan soit également directeur du Musée des civilisations noires’’.

Le pectoral en or

EnQuête a pu obtenir des éléments qui battent en brèche la version du professeur Thioub. Le directeur de l’Ifan a eu des échanges avec l’Institut du Monde arabe (Ima) de Paris. Lequel a formulé une demande de prêt d’œuvres conservées à l’Ifan, notamment un pectoral en or. M. Bocoum a opposé un refus, car ayant prévu d’exposer ce bijou dans son nouveau musée. C’est la preuve d’un conflit d’intérêts. Le recteur de l’Ucad a avancé qu’il n’y a pas encore de demande adressée à l’Ifan et à l’Ucad. Mais le directeur de l’Ifan, M. Hamady Bocoum lui, sait déjà que le pectoral en or sera affecté au Mcn. Ce qui explique le refus poli qu’il a adressé à l’Institut du Monde arabe de Paris. C’est justement cela qui fait craindre le pillage des collections de l’Ifan. C’est pour cette raison également que ses collègues veulent non seulement que le prêt se fasse ‘’dans la transparence totale et tenant compte de tous les intérêts de l’Ifan’’, mais aussi un ‘’audit rigoureux du patrimoine de l’Ifan, afin que nul ne puisse ignorer l’existant’’.

Les chercheurs de l’Ifan semblent avoir été entendus. D’après les informations dont nous disposons, le recteur de l’UCAD, le professeur Ibrahima Thioub et une délégation du SAES conduite par le nouveau Secrétaire général, Malick Fall, ont convenu, le samedi 17 septembre 2016, d’un accord sur la question des collections de l’Ifan. Le professeur Thioub a pris l’engagement qu’il ferait obligatoirement précéder tout mouvement de collections vers le Mcn par une convention examinée par les instances de gouvernance de l’Ifan et de l’Ucad. Il a également, selon nos sources, recommandé l’adoption d’un manuel de procédure qui, à l’avenir, régira et règlementera les prêts d’objets d’art de l’Ucad.

Une concurrence déloyale

Pourtant, il n’y a pas que les collections qui suscitent inquiétude dans cette affaire. Les conséquences du cumul de fonctions vont bien au-delà, si l’on en croit nos interlocuteurs. Le directeur est accusé d’utiliser le personnel de l’Ifan pour des missions du Musée des civilisations noires. En guise de preuve, nos interlocuteurs brandissent un article du journal Le Monde daté du 18 février 2016 et dans lequel on peut lire : ‘’L’institution (Mcn) avait pris contact voilà quelque temps avec le Musée du quai Branly, à Paris, en vue d’un éventuel partenariat. Stéphane Martin, président du musée parisien et ancien président de la commission de vérification des comptes et de contrôle des établissements publics du Sénégal de 1986 à 1989, reconnaît avoir rencontré Malik Ndiaye, chercheur et historien d’art à l’université Cheikh Anta Diop. Mais pour l’heure, rien de concret n’a été mis en place.’’

Pour nos interlocuteurs, le fait que leur collègue Malick Ndiaye soit allé en France au nom du Musée des civilisations noires alors qu’il n’est aucunement lié à cette institution est la preuve que le personnel de l’Ifan est utilisé par le directeur à d’autres fins. Ce même Malick Ndiaye est d’ailleurs le conservateur du musée Théodore Monod. Alors qu’il n’a pas le grade qui lui permet d’assumer cette fonction puisqu’étant assistant stagiaire de recherche ‘’imposé à cette place par M. Bocoum’’, selon nos sources. Il s’y ajoute qu’il arrive qu’un chef de département ait besoin d’un agent et constate son absence. Interpellé, celui-ci déclare que c’est le directeur, M. Hamady Bocoum, qui lui avait confié une tâche.

Laquelle n’a aucun lien avec l’Ifan, mais entrant plutôt dans le cadre d’activités liées au Musée des civilisations noires. ‘’Il fait recours au personnel administratif, technique et de service de l’Ifan à qui il confie des missions du musée’’, se désolent nos sources. Celles-ci soulignent que des agents de l’Ifan auraient reçu des offres pour rejoindre le Musée des civilisations noires. Ce qu’ils considèrent comme une concurrence déloyale à l’encontre de leur institution. ‘’L’Ifan a formé son personnel pendant des années. Cela a été difficile. Et aujourd’hui le budget ne cesse de décroître.

Si le Mcn a les moyens, il n’a qu’à aller recruter ailleurs. Il étouffe l’Ifan’’, avance un chercheur de l’Ifan. Nos interlocuteurs n’ont pu s’empêcher d’évoquer le plan stratégique proposé par la direction de l’Ifan. Dans ce document parcouru par EnQuête, il est clairement indiqué que parmi les menaces auxquelles l’Ifan fait face, il y a la création d’une des 7 merveilles de Wade. ‘’Pour lever les craintes soulevées par la création du Musée des civilisations noires, il faudrait s’informer sur le statut et les missions du Musée, et éventuellement, initier un partenariat entre les deux établissements autour de leurs activités qui se recoupent’’, suggérait-on dans le document. Avec le recul, on estime que c’était une manière de préparer les gens à accepter ce qui allait se produire plus tard.

 

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