Me Wade, l’unique constante

Malgré la perte de nombreux cadres après la perte du pouvoir en 2012, le Parti démocratique sénégalais (PDS) a montré qu’il pouvait avoir plus d’un tour dans son sac. Toutefois, la prochaine échéance électorale (Présidentielle 2024) peut mettre le parti à rude épreuve, malgré l’embellie des dernières Locales et des Législatives.
Dix ans que le Parti démocratique sénégalais (PDS) a perdu le pouvoir. Malgré la chute brutale de 2012, la formation politique créée par l’ancien président de la République Abdoulaye Wade a su rebondir. De ‘’responsable’’ des malheurs du Sénégal, elle se positionne désormais comme un potentiel sauveur, dans la perspective de l’élection présidentielle de 2024. Deux rendez-vous en 2022 ont livré des vérités allant en ce sens : les élections locales du 23 janvier et les Législatives du 31 juillet. Les résultats enregistrés, en affrontant des coalitions politiques beaucoup plus étoffées, sont admirables. Pourtant, le parti n’a jamais connu autant de départs de figures emblématiques.
La dernière en date est celle de Toussaint Manga qui a annoncé sa démission, dimanche dernier, du PDS. "C'est avec beaucoup d'émotion que je vous adresse ces quelques mots pour vous présenter ma démission de toutes les instances du parti", écrit l'ancien secrétaire national de l'Union des jeunesses travaillistes et libérales (UJTL) dans la lettre adressée à Me Abdoulaye Wade. L’ex-député, responsable politique dans la région Sud (Casamance) a mal vécu son investiture à la 31e position sur la liste nationale de la coalition Wallu Sénégal, dirigée par le PDS, lors des élections législatives : ‘’Il s’agit d’une humiliation, d’une insulte faite aux militants et aux responsables de toute la région. Nous sommes la seule région qui n’a aucun candidat au niveau départemental. Nous sommes la seule région qui a un seul candidat au niveau national, mais logé au-delà des 30 premiers investis. Nous ne pouvons pas l’accepter.’’
Toussaint Manga et Cheikh Bara Doly rallongent la longue liste de départs
Ces investitures avaient fait une première victime, en la personne de Cheikh Mbacké Bara Doly, Président du groupe parlementaire Liberté et démocratie dans la 13e législature. Positionné à la 13e place sur la liste nationale, lui également a eu le même sentiment que son camarade du sud du Sénégal, avec une réactivité plus radicale.
En effet, il n’a pas attendu la fin des élections législatives pour claquer la porte du PDS. Et il a surtout rejoint le camp présidentiel qui cherchait à renforcer sa présence à Mbacké.
Avant eux, ils sont nombreux à avoir quitté le navire battant pavillon libéral. Et pas des moindres : Aminata Tall, Habib Sy, Pape Diop, Abdoulaye Baldé, Modou Diagne Fada, Ousmane Ngom, Souleymane Ndéné Ndiaye, Oumar Sarr, Babacar Gaye, etc. Des départs qui avaient placé le parti au bord du gouffre. Lors de la Présidentielle de 2019, le PDS n’a pas obtenu la validation de son candidat Karim Wade. De cet échec est née une crise qui a abouti à l’exclusion d’Oumar Sarr, alors Secrétaire national adjoint et n°2 du PDS, accusé par Abdoulaye Wade ‘’de saper l’unité du parti’’ et de poser ‘’des actes de défi’’.
Malgré tout, le PDS semble faire de la résistance. Mais pour le docteur Ousmane Ba, enseignant-chercheur à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar, ce n’est pas le PDS qui survit, mais plutôt son secrétaire général : ‘’Le PDS est une organisation politique qui a un vécu un ancrage dans toutes les localités du pays, pour avoir été dans l’opposition pendant 26 ans, avant d’accéder au pouvoir pendant 12 ans. Il y a des électeurs qui votent pour Abdoulaye Wade. S’il n’était pas revenu, je pense que le parti allait s’effondrer comme un château de cartes. Donc, je pense qu’il ne s’agit pas forcément du parti, mais du leader et de l’alliance mise en place.’’
‘’Il ne s’agit pas forcément du parti, mais du leader et de l’alliance mise en place’’
Pour l’observateur averti de la scène politique sénégalaise, il faut noter que malgré les départs, la formation politique de l’ancien président de la République a su mettre en place une stratégie que le Parti socialiste (PS), par exemple, n’a pas réussi à faire lorsqu’il a perdu le pouvoir en 2000. ‘’Elle a compris qu’il fallait mettre en place différentes alliances pour continuer à garder son influence politique. Elles ne l’ont pas toujours porté au pinacle. Il a fallu l’arrivée de Yewwi Askan Wi pour que le PDS retrouve un grand allant offert par le nombre de députés obtenus dans cette 14e législature’’, assure le Dr Ba.
Dans une note récemment publiée réaffirmant son ancrage dans l’opposition, le secrétaire général national du PDS a invité ses militants à transformer l’essai. Car, rappelle Abdoulaye Wade, il devient urgent de massifier le parti pour garder le cap : ‘’Les opérations de vente des cartes du parti, qui avaient très bien démarré sur l’ensemble du territoire national, avaient été suspendues provisoirement pour les besoins de la campagne électorale. Ainsi, je vous invite à reprendre immédiatement les opérations de placement et de vente des cartes du parti, ainsi que les opérations de renouvellement des structures dans toutes les sections et fédérations du parti.’’
L’épineux cas Karim Wade
Cette opération a pour ambition de doter le PDS ‘’d'un appareil performant et prêt pour remporter l’élection présidentielle de février 2024’’. Et c’est bien à ce rendez-vous que l’on attend le PDS. Lors de son exclusion en 2019, l’ex-secrétaire général adjoint Oumar Sarr avait soutenu que Karim Wade est le problème du PDS. ‘’Oui, absolument. Lors de l’élection présidentielle de 2019, Karim Wade était notre candidat. Je rappelle quand même qu’il était en prison, quand nous l’avons élu. Le Congrès du PDS l’a élu candidat. Nous nous sommes battus, nous l’avons libéré. Et après, il a maintenu sa candidature, sachant bien qu’il n’allait jamais, jamais revenir pour être candidat. Moi-même, on m’a désigné comme directeur de campagne, soi-disant. Directeur de campagne d’un candidat fictif. Il (Karim Wade) n’est pas venu et ensuite, cela a créé une crise importante du parti. Parce que, s’il savait dès le départ qu’il n’allait pas venir, on aurait pu - nous, à l’intérieur du PDS - trouver une solution alternative. Donc, il nous a caché la vérité et il manipule vraiment son père. Toutes les décisions qui sont prises aujourd’hui par son père sont en réalité présignées par Karim Wade’’, regrettait-il.
Ces tensions risquent-elles de resurgir dans 16 mois ? Pour le Dr Ba, la réponse est affirmative. Selon le spécialiste, ‘’il y a un problème de leadership au sein du parti et d’acceptation de Karim Wade, fils du secrétaire général national, que son père veut imposer. Plus on s’approchera de la Présidentielle, plus ce parti aura du mal, si son candidat reste Karim Wade. On va vers des dynamiques de fissures, des querelles de positionnement qui pourraient les amener à laisser quelques plumes dans cette histoire. Car il y a des ‘wadistes’ qui ne croient pas en Karim’’.
Lamine Diouf