Publié le 17 Oct 2012 - 10:00
Dr. AMADOU SCATTRED JANNEH, OPPOSANT GAMBIEN (2ème Partie)

''Comment les Sénégalais ont été tués...''

 

 

Dr Amadou Scattred Janneh a été ministre de l'Information de Yaya Jammeh pendant 15 mois (2004-2005). Il a été incarcéré pendant 15 mois dans les geôles gambiennes (juin 2011-septembre 2012). Il a été libéré le jour de ses 50 ans. Y voyant toute une symbolique, l'opposant gambien compte bien mettre fin au régime de Jammeh. En attendant, l'homme qui a révélé les exécutions en Gambie revient sur les derniers moments des Sénégalais exécutés, la souffrance dans les geôles gambiennes, le MFDC et les exactions de Jammeh...

 

 

Quelles sont les circonstances qui vous ont amené en prison ?

J'ai été emprisonné en Gambie, parce que j'ai fait imprimer et distribuer 100 tee-shirts où il était écrit : ''End dictatorship now'' (Mettre fin à la dictature en Gambie). Moi-même, j'en portais un. J'ai été arrêté et conduit en prison.

 

Que faisiez-vous à ce moment en Gambie ?

Je dirigeais mon entreprise. Mais avant cela, j'étais un ministre de l'Information du régime. De 2004 à 2005. Après cela, je me suis mis à mon compte. Mais, voyant la détérioration des droits de l'Homme dans le pays, j'ai mis en place un mouvement appelé ''Coalition for Change in the Gambia (CCG).

 

Racontez-nous votre séjour dans les geôles gambiennes ?

J'ai fait 15 mois en prison. Dans un premier temps, j'ai fait 7 mois à Georgetown prison. Ensuite, j'ai été transféré dans la plus grande prison gambienne, Miles II, après ma condamnation à perpétuité. À Georgetown, j'étais en cellule d'isolement. Je n'avais pas de contact avec les autres détenus. Je n'avais pas droit à des visites, ni même celui de lire. La nourriture était exécrable. Durant la saison des pluies, c'était l'enfer. La toiture de ma cellule n'était pas bonne et quand il pleuvait, j'étais trempé jusqu'aux os. Lorsque j'ai été condamné à vie, on m'a transféré à Miles II qui, je crois sincèrement, est la pire prison au monde. D'ailleurs, le gouvernement gambien refuse que des organismes comme la Croix-rouge, les Ong ou les journalistes aient accès à la prison. 1000 prisonniers y sont incarcérés. J'étais détenu dans l'aile qui regroupe les prisonniers qui ont écopé de lourdes peines : 10 ans, 20 ans, les condamnés à perpétuité et les condamnés à mort. Les conditions étaient telles que, parmi les 150 prisonniers incarcérés là-bas, chaque mois, l'un d'entre nous mourait.

Et lorsqu'un prisonnier tombe malade, il ne reçoit aucun soin. On refuse que sa famille le soigne. L'autre fléau de la prison est la nourriture épouvantable. Le couscous qu'on sert le soir est rempli de sable. Sans oublier les moustiques qui tuent les gens.

 

Vous étiez incarcéré en même temps que des ressortissants sénégalais. Quels étaient vos rapports ?

Je les connaissais bien. Ma femme est sénégalaise. Ils m'appelaient ''goro'' (gendre). Djibril Bâ, l'un de ceux qui ont été exécutés, était mon ami. C'était quelqu'un bien éduqué et calme. L'autre condamné qui reste en prison, Saliou Niang, est un mouride très pieux et très érudit. Il est très fatigué, parce qu'il n'a pas le droit de recevoir des visites. Il ne voit personne, pas même ses parents. Il y a également un autre Sénégalais, Abdourahmane Baldé. Il est originaire de Tambacounda. Il croupit en prison depuis 15 ans, alors qu'il n'a jamais été jugé.

 

De quoi l'accuse-t-on ?

Personne ne sait. Il est là-bas, il souffre en prison, depuis 15 ans, sans avoir été jugé. Cela est d'autant plus étonnant que le Sénégal a une ambassade en Gambie. Nous qui avons la nationalité américaine, recevions la visite des Américains et des occidentaux qui ont fait des mains et des pieds pour que nous soyons relâchés. Les autorités gambiennes prétendent qu'il n'est pas en prison. Alors qu'il y est depuis juillet 1997. Il survit grâce aux autres prisonniers qui lui offrent ce dont il a besoin pour vivre.

 

Étiez-vous présent le jour où les deux Sénégalais et d'autres prisonniers ont été exécutés ?

Bien sûr, j'étais présent.

 

Qu'est-ce qui s'est réellement passé ce jour-là ?

Je dois reconnaître que nous avons pris peur dès que Yaya Jammeh a annoncé les exécutions, à cause de la manière dont il les a faites. Après cette sortie, j'ai répertorié sur papier le nom et la nationalité de tous les condamnés à mort. Grâce à mes amis, j'ai pu distiller l'information. Je voulais que les gouvernements étrangers sachent le nombre et l'identité de leurs ressortissants qui croupissaient en prison et risquaient l'échafaud. Nous pensions tous que les exécutions allaient avoir lieu vers le 15 septembre. Mais, une nuit, ils sont venus prendre 9 condamnés. L'un d'eux, Lamine Dabo, s'est mis à crier mon nom, alors qu'on le traînait dehors. Il hurlait : ''Amadou Janneh, ils nous amènent pour nous égorger.'' J'ai eu très peur, mais je suis parvenu à la surmonter pour pouvoir dire au monde entier ce qui se passait dans la prison. Je dois dire qu'à ce moment-là, tout le monde était malade dans la prison.

 

Par la suite, qu'est-il advenu des corps. Avez-vous eu de leurs nouvelles ?

Lorsqu'on a annoncé au monde entier que des prisonniers ont été exécutés, l'État gambien s'est d'abord emmuré dans le silence et a nié les exécutions. Quatre jours après, elle a annoncé les exécutions, en voulant faire croire qu'elles venaient d'avoir lieu, alors que c'est faux. Ils étaient morts depuis le jeudi 23 août. Les prisonniers ont été sortis de leurs cellules à 21h 30mn. D'autres qui travaillaient au four ont vu les soldats embarquer 9 corps. Alors, nous avons su que nos camarades été morts. Je dois dire qu'ils n'ont pas été tués avec des armes à feu. Nous aurions entendu le bruit des armes. Ils n'ont pas voulu montrer les corps. Personne, ni même les familles, n'a jamais eu de nouvelles des dépouilles.

 

Suite et fin

 

Racontez-nous comment vous avez fait pour sortir de cet enfer ?

C'est le révérend Jessie Jackson qui est venu des États-Unis. Il est allé voir le président Yaya Jammeh et a obtenu ma libération et celle d'un nommé Tamsir Diassé (20 ans en prison) qui, comme moi, a la nationalité américaine. Une fois dehors, nous avons été amenés à l'aéroport et mis dans un avion pour les USA. Les autorités gambiennes ne voulaient pas qu'on fasse escale à Dakar. Dans l'affaire des tee-shirts, j'ai été arrêté en même temps que trois autres personnes. Elles ont écopé d'une peine de 3 ans. À cause des conditions exécrables de détention, l'un d'entre eux, un Nigérian, est mort.

 

Vous qui avez côtoyé le président Jammeh, comment expliquez-vous ces exécutions ?

Je pense qu'il a voulu faire peur à la population gambienne. Parce qu'il sent que son pouvoir vacille et que la pression est devenue très forte.

 

Les bruits ont toujours couru sur des exécutions sommaires et des disparitions. Mais jusqu'ici personne n'a pu en apporter une preuve

C'est vrai, mais c'est parce que les gens ne cherchent pas là où il faut. Les preuves existent. On connaît les bourreaux. Si ces gens sont amenés devant une Cour internationale, les gens vont témoigner. Ce n'est pas la première fois que Jammeh exécute des gens. Ce qui est nouveau, c'est qu'il l'a annoncé et l'a fait, en faisant fi de la communauté internationale.

 

On dit également qu'il reste beaucoup de Sénégalais qui attendent d'être exécutés en Gambie. Qu'en est-il réellement ?

Je ne sais pas pourquoi l'État gambien a fait cette déclaration. Mais, tous les condamnés sont incarcérés à Miles II, d'où je viens. Ils ont avancé le nombre de 25 Sénégalais. C'est peut-être pour pouvoir négocier. Mais il ne reste qu'un seul Sénégalais, parmi ceux qui ont été condamnés à mort, c'est Saliou Niang. Si les autorités gambiennes donnent d'autres noms. Il ne peut s'agir que de personnes qui n'ont pas encore été jugées. J'y ai fait 15 mois. Je connais tout le monde. C'est moi qui ai révélé les noms des 48 condamnés. Ils étaient trois Sénégalais, il n'en reste plus qu'un.

 

En prison, avez-vous vécu ou connu des cas de torture ou d'atteinte grave à la dignité de l'Homme ?

Bien sûr ! Les prisonniers n'ont droit qu'à 4 heures de détente. Ils restent 20h en cellule. Ils s'entassent dans les cellules comme des sardines. Ils sont torturés le plus souvent avant d'atterrir à la prison. Les prisonniers arrivent avec des ongles arrachés, des stigmates de brûlure. Pour d'autres, on utilise des sachets qu'on leur met sur la tête et le visage. Il arrive qu'ils perdent connaissance. Une fois à Miles II, les gens s'arrangent pour les mettre dans de mauvaises conditions. Les uns meurent, d'autres deviennent fous.

 

Cheikh Sidiya Bayo a mis en place un Conseil de transition pour mettre fin au régime de Jammeh. Pensez-vous que cette structure puisse déstabiliser le pouvoir de Jammeh ?

Je ne sais pas grand-chose de cette structure. Mais si c'est la solution pour mettre fin au régime de Jammeh, c'est une bonne chose. Notre ambition est de mettre fin à la dictature en Gambie et y instaurer la démocratie. Nous appelons tout le monde. On peut le traduire devant la Cour pénale internationale. Il reviendra aux autres pays de l'attraper et de le mettre à la disposition de la justice internationale. Si un mandat d'arrêt est lancé, cela peut amener les populations gambiennes à se lever et à dire que c'est assez. N'empêche, on va tout faire pour le chasser de la tête de ce pays. Et je suis sûr d'une chose : L'heure de Jammeh a sonné.

 

Le bruit a couru que le président gambien n'est plus en bon terme avec les rebelles, à cause des exécutions. Qu'en est-il réellement ?

Avant d'entrer en prison, je n'y croyais pas. Mais là-bas, j'ai côtoyé des rebelles du MFDC qui sont des combattants des factions que Jammeh ne supporte pas. Lui soutient ceux du groupe de Salif Sadio. Ils m'ont raconté comment ils ont été attrapés et certains d'entre eux livrés à la faction rivale, par les soldats gambiens. Le problème de la Casamance, c'est Jammeh. Il monte les factions les unes contre les autres. Des fois, il prétend aider un groupe, les endort pour ensuite capturer ses combattants et les livrer à leurs ennemis. C'est ce qu'ils m'ont raconté.

 

Pourquoi selon-vous de tels agissements ?

Vous savez : 90% des effectifs de son armée, de sa sécurité, des gardes pénitentiaires ont des connections avec la rébellion. Souvent, ils sont issus des rangs des rebelles. Et lors des élections, ce sont ces gens et leurs familles qui disposent de cartes et qui vont l'élire. Jammeh est conscient que tant que les troubles persisteront en Casamance, il continuera de disposer de gens qui le soutiennent et l'aident à pérenniser son régime, en faisant pour lui les sales besognes.

 

Quel est votre message à l'intention des autorités sénégalaises ?

Je leur demande de mettre fin aux relations avec Jammeh. Il ne faut pas oublier Saliou Niang, et Abdourahmane Baldé qui est en prison depuis 15 ans. ''Seetaan moy andi seytane'' (). Le seul problème entre les deux peuples, c'est Jammeh.

Gaston COLY

 

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