Publié le 18 May 2023 - 12:34
DR AMATH NIANG, PRÉSIDENT DE L’ORDRE NATIONAL DES PHARMACIENS

“Il suffit d’une volonté politique pour éradiquer définitivement le trafic de faux médicaments”

 

Pour la troisième fois, le Sénégal va accueillir le Forum pharmaceutique international. Les acteurs comptent échanger autour de la souveraineté du médicament. Le président de l’Ordre national des pharmaciens, Dr Amath Niang, donne un avant-goût des débats. Il partage avec ‘’EnQuête’’ ses avis sur ce que devrait être la politique du médicament en Afrique, au Sénégal ; les efforts de l’État et le marché parallèle entretenu grâce au trafic de faux médicaments.

 

Comment se prépare le Forum pharmaceutique international que va accueillir le Sénégal, du 1er au 4 juin prochain ?

Le forum est une plateforme qui est une initiative de professionnels du médicament et de la pharmacie d’un certain nombre de pays africains qui se sont associés pour se donner l’opportunité de réfléchir sur tout ce qui touche  la gestion du médicament de manière particulière et le secteur de la pharmacie. C’est en cela que les gens ont pensé, tous les ans, organiser cette forme de congrégation des professionnels dans un pays du continent africain où l’opportunité leur est donnée de se réunir. À travers les différents segments du secteur de la pharmacie et du médicament, réfléchir sur tout ce qui rapporte à la politique de gestion du médicament.

 C’est ainsi qu’est né le forum en 2001 à Cotonou, au Bénin. Le Sénégal a eu le privilège de l’organiser. Nous l’organisons encore cette année pour la troisième fois. Le forum réunit cinq entités qui sont les actrices principales du point de vue de l’animation. C’est l’Inter-ordre des professionnels de la santé, l’Intersyndicale qui regroupe l’ensemble des syndicats des pharmaciens de l’Afrique, l’Association africaine des centrales d’achats des médicaments (représentée par la Pharmacie nationale d’approvisionnement), l’Association africaine des directions de la réglementation pharmaceutique.

L’année dernière, en Côte d’Ivoire, nous avons enrôlé l’Association africaine des doyens de facultés de Médecine, Pharmacie et Chirurgie dentaire.

Peut-on avoir une idée du nombre de participants attendus et sur quelle thématique allez-vous échanger ?

Le forum ne va pas accueillir moins de 3 500 participants. Nous sommes 25 pays membres à travers les différentes structures représentatives du secteur de la pharmacie, les officiels, sans compter les pharmaciens qui désireraient participer à ce forum. La thématique retenue cette année est ‘’La souveraineté pharmaceutique : défis et opportunités’’.

Serait-ce le désir de voir émerger une agence africaine du médicament qui sous-tend le choix de cette thématique ?

Effectivement ! Aujourd’hui, l’Afrique est un des continents les plus exposés, du point de vue de la production pharmaceutique, de la fabrication du médicament, etc. J’ai participé à un salon au Burkina Faso. Un professeur faisait une présentation sur la propriété intellectuelle. C’est ce jour que j’ai appris que l’Afrique n’était même pas à 5 % de la production intellectuelle mondiale, en termes de médicaments.

C’est donc un défi qui s’adresse à l’élite intellectuelle du continent africain, aux chercheurs. Mais tout ceci doit être soutenu par une vision politique qui encadre cela et donne une orientation pour pouvoir atteindre des objectifs majeurs. C’est fondamental. Il va falloir y travailler. Si nous prenons l’exemple du Sénégal, nous avons un risque de 95 % d’importations de médicaments face à un niveau de production de 5 %. Vous imaginez à quel point notre pays se trouve exposé par rapport à ce risque énorme.

Donc, le fait de pouvoir produire par soi et pour soi est un défi majeur. Le Covid nous a édifiés par rapport à l’impérieuse nécessité de pouvoir se prendre en charge convenablement. Je me rappelle bien, à un certain moment du niveau de gravité de l’évolution du Covid, comment la France a pris des mesures fermes par rapport à la mise à disponibilité de certains produits d’urgence. Je pense que nous, en tant qu’acteurs et professionnels, avons un certain rôle à jouer pour permettre de faire avancer les choses. Ce sont des éléments qui s’imposent et pour lesquels nous devons apporter des réponses. On ne pouvait avoir un meilleur thème que celui de la souveraineté pharmaceutique. On parle du défi parce que les Africains doivent renverser la tendance. Les pays du Maghreb, par exemple, sont entre 75 et 80 % de réponses par rapport aux besoins de médicaments de leurs populations. Les pays leaders sont l’Algérie, le Maroc et la Tunisie. Il n’y a pas de miracle en cela. Et ce qui me pose problème, c’est que ce sont ces pharmaciens qui ont été formés ici à Dakar, qui sont aujourd’hui les acteurs principaux de l’évolution du tissu pharmaceutique de leurs pays.

Qu’est-ce qui bloque chez nous ? Serait-ce de la responsabilité des pharmaciens ou de celle de l’État ? Je pense que l’État doit avoir une vision claire et une politique à articuler autour de cette indépendance du secteur de la pharmacie. En termes de fuites de trésorerie, ce sont des flux énormes. En termes de menaces sur la santé publique, les conséquences sont considérables. C’est cela qui fait qu’aujourd’hui, le marché parallèle se développe à côté de tous ces impairs qui sont liés à la dépendance pharmaceutique.

Qu’est-ce qui devrait être fait par l’État pour qu’on puisse produire à partir d’ici ?

Il suffit d’une volonté politique pour y arriver. Il faut en avoir l’ambition et la vision. C’est une urgence et un engagement, parce que la fabrication du médicament est corrélée à un dispositif législatif et réglementaire. C’est encadré. La fabrication du médicament obéit à des exigences. Cela tient compte de la vie de l’homme, de la vitalité de l’individu, à son mieux-être et son bien-être.

Au-delà de l’aspect pharmaceutique, il y a d’autres problèmes à appréhender. Il y a celui de l’énergie, celui de la mise à disponibilité des matières premières, celui des taxes et du foncier. Tout ceci, en dehors de l’expertise du pharmacien, est des actions annexées et qui relèvent de niveaux de compétences qui ne sont pas dévolues au pharmacien. Il va falloir que l’État mette un cadre tout à fait approprié qui devrait le permettre, en relation avec le pharmacien. C’est important, parce qu’à un certain moment, on a pensé que les pharmaciens constituaient un blocage parce qu’ils avaient la majorité par rapport à la détention du capital.

Aujourd’hui, les choses ont évolué, parce que les pharmaciens ont accompagné l’État dans ce sens-là pour lui permettre de s’ouvrir à des investisseurs qui pourront s’orienter et s’intéresser au secteur de la pharmacie. C’est cela qui fait que le capital n’est aujourd’hui plus détenu en majorité par les pharmaciens. Il faut que tout ce dispositif puisse servir à quelque chose.

Pensez-vous que les bases de cette politique sont jetées, vu que l’État a mis en place l’Agence de réglementation pharmaceutique qui, dit-on, devrait aider à produire plus de médicaments, des vaccins ?

Je ne peux pas me permettre de nier les efforts de l’État. Depuis un  certain temps, nous avons senti une réelle volonté d’aller vers la relance de l’industrie pharmaceutique, parce que depuis des années, nous avions une préoccupation majeure qui consistait à réviser les textes qui réglementent le secteur de la pharmacie. Nous l’avons fait. Ces textes sont au niveau de l’Assemblée pour être adoptés. Nous devons même avoir des séances de travail avec certains bureaux du Parlement pour leur permettre de mieux s'imprégner de ces textes. Le président de la République, Macky Sall, a le mérite de poser cet acte fort en direction du secteur de la pharmacie. Il y a le Bureau de suivi des opérations du PSE qui avait organisé le Lab sur des semaines pour pouvoir s’orienter spécialement vers des stratégies relatives à la relance de l’industrie pharmaceutique.

Ce sont des actes forts. Je pense que cela s’impose et il va falloir travailler davantage autour de ce besoin impérieux. Il va falloir le matérialiser par des actes, consolider toutes les actions déjà initiées pour que cela soit une réalité. L’agence africaine dont vous avez parlé tout à l’heure est l’une des prouesses du forum. Ce besoin avait été exprimé lors d’une session en Algérie avec l’intervention de Michel Sidibé qui, aujourd’hui, est en train de faire le tour  de l’Afrique pour les inviter à homologuer l’exigence de la création de l’agence, vers migrer les directions de pharmacie et des laboratoires vers une agence de réglementation.

Cela a une signification importante, parce que comme j’ai l’habitude de le dire, le médicament est l’un des produits qui voyagent le plus au monde. Il a un caractère universel. On ne peut plus se permettre de le gérer selon des considérations géographiques. Le médicament est géré dans toute sa dimension universelle. Donc, il répond à des exigences que tout le monde doit accepter. Tous les fabricants sont soumis à l’exigence du respect des conditions de fabrication. Les agences interviennent dans le cadre de la réglementation, du suivi des processus de respect des mesures de qualité, à l’harmonisation de tout ce qui constitue la réglementation au niveau de l’espace.

Nous avons la zone CEDEAO et l’espace UEMOA. Les gens sont en train de travailler, à travers l’intervention des professionnels, pour que cela puisse avoir une répercussion réelle sur la santé des populations africaines. Avoir une agence africaine du médicament permettra d’avoir une institution africaine qui intervient sur tout ce qui touche au secteur de la pharmacie, de légiférer en dehors des approches et des considérations autres que les préoccupations pharmaceutiques. On a vu ce que reflète l’Agence européenne du médicament. C’est ce qu’il va falloir faire en Afrique. Les ressources et les compétences ne manquent pas, mais il va falloir que tout ceci puisse être organisé par les pouvoirs publics.

Dans le cadre de cette politique africaine du médicament, pensez-vous qu’il est urgent de faire travailler en synergie les douanes africaines pour faire face au trafic de médicaments ?

Pour moi, le trafic de médicaments n’est que la résultante d’un manque de volonté politique. La place du médicament n’est pas dans la rue, mais entre les mains des experts. Il s’agit d’un produit vital à préserver, à encadrer, à sécuriser au bonheur des populations. C’est seulement en Afrique qu’on parle de médicaments de la rue, médicaments parallèles.  Vous allez dans le Maghreb, ils n’ont pas connaissance de ces termes, parce que le cadre réglementaire et législatif ne le permet pas. Tout pouvoir politique qui se donne pour ambition de relancer l’industrie pharmaceutique, doit tout faire pour éradiquer définitivement les médicaments de la rue. Le développement de l’industrie pharmaceutique ne peut se faire tant que ce fléau existe. C’est impossible. Cela entraîne une fragilisation de la santé de nos populations.

Sur le plan économique, on ne peut pas évaluer les dégâts. Je pense que ce combat n’est pas seulement celui des pharmaciens même si nous sommes les premiers concernés. Les populations le sont également parce qu’il s’agit de leur survie.

Au cours du forum, des sous-thèmes sont développés dans ce sens. On en débattra. C’est une occasion pour les professionnels d’accompagner l’État.

Il a beaucoup été question de la responsabilité de l’État dans cette interview, mais quelle est celle du pharmacien dans les problèmes qui touchent le secteur ?

 La responsabilité du pharmacien se trouve engagée, dès lors qu’il est dépositaire d’un privilège assez significatif et important : gestionnaire du monopole du médicament. Le pharmacien est investi d’une mission de santé publique. C’est cela qui a suscité l’intelligence du législateur à créer un cadre de réglementation qui suit le pharmacien, qui l'observe par rapport à l’accomplissement  de sa mission. C’est l’Agence de réglementation qui veille sur le comportement de l’établissement en tant que tel et l’ordre aujourd’hui qui intervient directement auprès du pharmacien par rapport au respect de ses devoirs professionnels et d’une conduite qui reflète son appartenance à une corporation.

De ce point, on m’aurait dit qu’il y a des pharmaciens qui ne respectent pas certaines choses, mais cela existe dans toutes les corporations. C’est ce qui justifie l’existence des cadres réglementaires, de l’ordre et des structures habilitées à interpeller ses professionnels pour les obliger à respecter leurs devoirs professionnels. Qui parle de régulation parle de rappel à l’orthodoxie. La responsabilité du pharmacien est engagée dans ce sens. Mais ce n’est pas seulement de manière unilatérale qu’il faut aborder la question. Il faut l’aborder dans tous les aspects d'intervention du pharmacien. C’est le pharmacien biologiste, industriel,  grossiste répartiteur, d’officine, du laboratoire, etc. J’ai participé à la remise de parchemins de pharmaciens qui ont bénéficié d’une formation sur la nutrition et j’ai exhorté les organisateurs à faire plus confiance au pharmacien qui a les compétences qui lui permettent d’intervenir dans plusieurs domaines de  compétences. Cela rassure, sécurise et garantit aux populations la circulation de produits de qualité.

À quelques jours du forum, quel est le message que vous lancez ?

Je me sens très confus, aujourd’hui. Après avoir reçu l’accord express du président de la République et après avoir reçu une deuxième circulaire qui nous a rassurés sur l’organisation de son cabinet pour nous convier à une audience, mais à quelques semaines de la tenue de l'événement, il ne serait pas souhaitable qu’on tienne l'événement sans le rencontrer.

Ce défi ne s’adresse pas au pharmacien. L’une des conditions fermes pour l’organisation du forum dans un pays, c’est l’accord express du président de la République, parce que cela reflète l’image de toute une Nation, de tout un peuple. Je lance un appel aux conseillers du président, à notre ministre de tutelle. Nous sommes en train de nous battre pour recouvrer tous les frais inhérents à l’organisation, mais je ne pense pas que le forum puisse se tenir sans l’intervention de l’État. Il y a des aspects qui ne relèvent ni des prérogatives ni des possibilités des pharmaciens. Il y a des aspects sécuritaires, logistiques, diplomatiques, financiers qui doivent être gérés  par le comité d’organisation, mais dont certaines des actions sont limitées. Je lance un appel dans ce sens-là. J’invite tous les Sénégalais à y prendre part.

BIGUE BOB

 

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