La tranquillité du tribunal s’est brisée, hier. Une vive polémique entre le bâtonnier Mbaye Guèye et le président Lamotte a failli mettre un coup d’arrêt à l’audience.

Il suffit parfois d'une petite étincelle pour transformer un village entier en un tas de ruines. Un mégot de cigarette a suffi pour détruire le site de retraite spirituelle du Daaka de Médina Gounass, provoquant la mort d'une trentaine de pèlerins. Hier, en une fraction de seconde, la sérénité qui régnait au tribunal de Grande instance hors classe de Dakar depuis le début des plaidoiries a failli voler complètement en éclats. A l'origine, la plaidoirie d'un homme. Il s'appelle Jackson Francis Ngnie Kamga. Il vient d'Afrique centrale, plus précisément du Cameroun.
Dès l'entame de sa plaidoirie, le bâtonnier camerounais annonce la couleur. ‘’Dans cette affaire, malgré les apparences de procès ordinaire, tout est exceptionnel. Ce procès est exceptionnel à cause de la présence des hommes encagoulés. Exceptionnel parce que l’Inspection générale d’Etat, qui dépend de la Présidence, a été utilisée pour traquer le chef d’un exécutif local, dont les comptes ne doivent relever que de la Cour des comptes. Il est aussi exceptionnel par le réquisitoire du ministère public et de la partie civile, qui ont passé leur temps à blanchir les prévenus que sont les deux percepteurs. Peut-être, c’est la rétribution pour le rôle qu’ils ont eu à jouer dans cette procédure.’’ Pour l’avocat camerounais, tous les déboires du maire de Dakar s’expliquent par la volonté d’un homme. ‘’Un homme fantôme’’ qu’il se gardera de nommer, le long de sa plaidoirie.
Un homme qui, selon lui, a été omniprésent, qui entend tout, qui voit tout ce qui se faisait au tribunal, se borne-t-il à décrier. Sa seule motivation, poursuit-il, est d’éliminer un adversaire politique qui pourrait être gênant pour les échéances électorales futures. ‘’Ce procès, dit-il, je suis désolé de le dire, vient terminer un assassinat politique programmé. Je m’interroge quand est-ce que nous, homme de justice, aurons le courage d’écrire l’histoire de notre justice. Quand est-ce que nous allons arrêter de faire venir des hommes d’ailleurs pour nous lire des décisions de la Cour européenne et d’autres juridictions étrangères. Je suis venu défendre M. Khalifa Sall pour dénoncer le règne de la calomnie, de l’injustice, de la vilénie des hommes’’, dénonce-t-il sans crier gare.
Et ce n'est que le lancement d’une plaidoirie très salée à l’endroit du tribunal, de l’Etat, de l’Ige, et surtout du parquet et du juge d’instruction. Dans ses diatribes, il accuse certains acteurs de l’accusation de faire preuve d’une indiscipline intellectuelle’’, d’autres, il les traite ‘’d’idiots’’, tandis pour le juge d’instruction, il l’a accusé d’avoir fait preuve de paresse. Très en verve, la robe noire de pester, en guise d’hommage pour le maire de Dakar avant son inhumation politique : ‘’Le chemin de l’abattoir est balisé pour ces prévenus. C’est avec fierté que j’ai accepté d’intervenir parmi les derniers avocats… Je n’ai pas reconnu le Sénégal depuis que je suis là. Les Sénégalais, habituellement loquaces, sont devenus silencieux. Ont-ils été castrés ? Ont-ils été tétanisés ou terrorisés ? Je m’interroge. Il est indéniable. Heureusement pour moi, je n’ai pas été contaminé par ce silence. Ce qui est sûr, c’est que M. Khalifa Sall est là par la volonté d’un homme, par la méchanceté d’un homme...’’.
Son propos aura duré plus d'une heure de temps. Une heure durant laquelle certaines oreilles ont bourdonné, des cœurs meurtris par la douleur des propos. Violents ou pas ? C’est selon.
Après l'avoir écouté dérouler librement pendant tout ce temps, le président du tribunal, Malick Lamotte, porte la réplique pour laver l'affront. L'éthique et la morale en bandoulière, le responsable de la police de l'audience précise : ‘’Je vous ai écouté et compris dès le début. Le tribunal a la responsabilité de veiller sur la dignité de cet office. Je ne pense pas qu’un avocat, un bâtonnier de surcroît puisse dire ‘’congénitalement malhonnête, indiscipline intellectuelle, idiot en s’adressant à des hommes respectables. En plus, je tiens à vous préciser que le peuple sénégalais est un peuple respectueux et respectable. Les Sénégalais ne sont pas des castrés. Ils sont loin de l’être. En plus, je tenais à vous dire que dans ce pays, il n’y a ni noir, ni blanc, ni jaune, ni bleu. Le tribunal ne peut accepter, compte tenu de son rôle, qu’on use de tels mots et partir librement.
C’est de ma responsabilité de vous le rappeler. Nous sommes à la fin de cette audience. Comprenez que le tribunal est très choqué d’entendre de tels mots. L’audience est suspendue’’. Alors le bâtonnier de l’ordre des avocats, Maître Mbaye Guèye, se lève de sa chaise et se dirige vers le micro pour prendre la parole. Le juge Lamotte le coupe net. ‘’Si vous voulez me parler, rejoignez-moi à l’intérieur…’’ ‘’Non M. le président, c’est ici que vous avez parlé, devant le public, permettez-moi de vous répondre ici.’’ Lamotte se retire. Le bâtonnier rue alors dans les brancards. De toutes ses forces, il crie son amertume. Il était dans tous ses états. ‘’Pour qui il se prend ? Il faut que ça cesse ! Il ne peut continuer à porter des jugements sur l’exercice de notre profession !’’ ne cessait-il de fulminer s’adressant au président du tribunal. Pendant plusieurs minutes, le tribunal était sens dessus-dessous. Finalement, les parties se sont retrouvées et ont lavé le linge sale de la justice entre acteurs. Le débat, dont la fin était prévue à 20 heures, a continué jusqu’à près de 23 heures.
Mor Amar