Publié le 19 Jul 2018 - 00:03
INSTALLATION D’AUCHAU AU SENEGAL

Alioune Sarr recadre l’Unacois Jappo

 

Aucune loi sénégalaise n’interdit aux grandes surfaces, Auchan en particulier, d’exercer leurs activités. C’est ce qu’a précisé hier le ministre du Commerce, lors d’une réunion avec les commerçants sénégalais. Alioune Sarr a par ailleurs annoncé un  décret pour réglementer le secteur.

 

En optant pour la libéralisation de l’économie en 1994, l’Etat du Sénégal a supprimé, selon le ministre du Commerce, les barrières juridiques interdisant l’accès à certaines activités économiques. Recevant hier les commerçants regroupés au sein de l’Unacois, puis les acteurs de la grande distribution, Alioune Sarr a rappelé que le pouvoir s’est désengagé des secteurs primitifs pour devenir simplement un arbitre. Une décision prise, précise-t-il, à la suite de concertations avec le secteur privé. L’objectif à l’époque était de favoriser la concurrence ‘’saine et loyale’’ à l’avantage des consommateurs. 

Ainsi, à travers les points de terminaisons que sont les boutiques de quartier, les étals de marché ou la distribution plus moderne avec les grandes surfaces, les supérettes, les supermarchés, les boutiques des stations d’essence etc., les produits locaux comme importés parviennent tous aux consommateurs, de façon plus accessible et diversifiée par l’entremise de circuit de distribution sur tout le territoire national. ‘’Cependant, il convient de noter que la forte croissance de la distribution a eu pour conséquence, au fil des temps, une désorganisation du secteur, en raison de l’absence d’un dispositif juridique et d’encadrement organisant clairement les règles relatives à la distribution au Sénégal’’, reconnaît Alioune Sarr.

Ainsi, en réponse à la polémique née, ces derniers temps, de l’installation des magasins Auchan, le ministre s’est voulu franc avec les commerçants sénégalais. ‘’Il n’y a rien à cacher ici ou à avoir peur. Nous ne protégeons aucun intérêt. Parce que rien n’empêche aux grandes surfaces de tenir leur business. Vous pouvez organiser des marches jusqu’à l’année prochaine, cela ne fera que créer du bruit. Mais vous n’avez aucune loi qui empêche à Auchan de tenir son commerce. Donc, il est urgent que les acteurs de l’Unacois travaillent pour proposer des solutions dans le secteur de la distribution au Sénégal. Par rapport aux investissements, vous êtes des patriotes, des fils du Sénégal, il y a des levées de financement, il faut voir comment les utiliser pour progresser’’, s’est voulu ferme le ministre du Commerce.

Du fait que les Sénégalais sont partout à travers le monde, et qu’ils sont commerçants, hommes d’affaires, Alioune Sarr en appelle à la responsabilité de tout un chacun. ‘’Faisons attention en parlant des étrangers. Ceux qui demandent à Auchan de dégager, si on dégage nos concitoyens, qu’allons-nous faire ? Il faut que nous soyons responsables en cas de problème. Je suis certes votre partenaire, mais cela ne m’empêche pas de vous dire  la vérité quand il le faut. Il ne faut pas que nous soyons dans la démagogie, le populisme, l’extrémisme, les propos inutiles. C’est ce qui a causé la 2nde guerre mondiale.  Faisons attention à ça’’ ! a-t-il alerté.

D’ailleurs, le ministre a fait savoir que quand un pays se développe, il faut du petit commerce et de la grande distribution. ‘’Il faut que vous en teniez compte. Si vous avez des preuves qu’il y a gens qui font du dumping, donnez leurs noms à la Direction du commerce intérieur. Parce que la loi interdit la vente à perte. Il faut qu’on se dise la vérité : en matière de commerce, le client est roi. Ceux qui vont dans les magasins Auchan ne sont pas des sorciers. Ce sont des Sénégalais. Il faut apprécier froidement et regarder les difficultés qu’ont les commerçants sénégalais pour mettre ensemble en place de grands magasins de distribution. Soumettez ce projet au gouvernement, il va vous appuyer. C’est ça la démarche positive qu’il faut’’, a sermonné le ministre en charge de la Promotion des Petites et moyennes entreprises (Pme).

Alioune Sarr admet tout de même que le positionnement et la forte pénétration du secteur de la grande distribution impacte le commerce de proximité. D’abord, par la faiblesse des prix pratiqués. Pour lui, le commerce de proximité revêt une fonction sociale et le gouvernement en est ‘’tout à fait conscient’’. C’est une composante majeure d’un équilibre spatial précaire qu’il convient de protéger et de consolider durablement. Sur ce, il a rappelé que, prenant toute la mesure de la situation, le président de la République a demandé au gouvernement, lors du conseil des ministres tenu le 11 juillet dernier, de prendre toutes les mesures nécessaires à l’actualisation de la réglementation sur la gestion de l’urbanisme commerciale. Ceci, afin d’optimiser le déploiement spatial, administratif, économique des commerces de proximité et de la grande distribution. Aujourd’hui, l’idée, c’est de voir comment faire ‘’coexister de manière pacifique’’ le commerce de proximité et la grande distribution comme ça se fait dans tous les pays du monde. 

Un projet de décret organisant les commerces de grande distribution

Ainsi, pour réglementer le secteur, le ministre du Commerce a annoncé qu’il est prévu l’élaboration d’un projet de décret organisant la grande distribution au Sénégal. ‘’Du fait de la libéralisation, l’exercice de l’activité économique ne nécessite que des formalités d’ordre fiscal et d’inscription au registre de commerce et du crédit mobilier. Aujourd’hui, un commerçant de l’Unacois qui veut s’installer à Diourbel ou ailleurs n’a besoin que de s’inscrire sur le registre de commerce et naturellement respecter les questions d’ordre fiscal’’, a-t-il dit. La loi 94-62 de 1994 fixant le régime d’exercice d’activités économiques, tout en posant le principe d’un régime général de liberté de ces activités, a prévu en son alinéa 1, article 2 ‘’une autorisation de la puissance publique pour l’exercice de certaines activités économiques pour des raisons de sauvegarde de l’intérêt général’’.  De ce fait, le nouveau décret va soumettre désormais les acteurs à une autorisation préalable avant toute ouverture d’un magasin dépassant 300 à 400 m². Ce décret sera aussi accompagné d’un comité chargé de donner le feu vert pour l’ouverture d’un magasin. Il sera composé des acteurs du commerce du département. Il y aura le préfet, le président de la Chambre de commerce, celui de la Chambre des métiers, les consommateurs, etc. ‘’Ce projet de décret sera proposé au chef de l’Etat et fixera les conditions de cette autorisation qui sont prévues ainsi que les règles régissant l’activité du commerce de la grande distribution, notamment celui de détails qui également, sera encadré et réglementé. C’est une première étape dans le court et le moyen terme’’, a-t-il relevé.

Des concertations pour réorganiser les commerces des centres urbains

Dans le même sillage, de larges concertations nationales sur la distribution seront engagées. Ceci, avec la mise en place d’un cadre juridique ‘’exhaustif approprié’’ pour la distribution et l’urbanisme commercial au Sénégal. Il s’agira, précise Alioune Sarr, de corriger une situation ‘’anarchique de l’organisation’’ des commerces des centres urbains. ‘’La façon dont nous faisons du commerce dans certains quartiers, certaines rues, c’est même au détriment des commerçants. C’est également mettre en place un cadre de concertation des différents acteurs tels que les administrations, les opérateurs économiques, les collectivités locales, les consommateurs pour que dans un ensemble cohérent, nous puissions avoir un cadre adapté’’, a-t-il soutenu.

C’est aussi une manière pour lui d’avoir un système commercial ‘’mieux adapté’’, avec la maîtrise du circuit de distribution des différents stades du commerce, des implantations, des équipements commerciaux, le respect des règles de la concurrence entre acteurs. De rendre meilleure la gestion des équipements commerciaux et artisanaux par une politique rationnelle d’installation, de suivi et de renouvellement visant à donner à l’ensemble des acteurs un cadre idéal. Mais également, de mettre en place des circuits de distribution répondant aux exigences de loyauté et de sécurité des transactions au profit des opérateurs économiques, de limiter les extensions inconsidérées des magasins et l’occupation irrégulière de la voie publique autant par ces grandes surfaces que par certains acteurs du commerce.

Le président de l’Union nationale des commerçants et industriels du Sénégal (Unacois Jappo), Idy Thiam, a indiqué que le chef de l’Etat leur a tendu une main qu’ils ont acceptée. ‘’Il a toujours réglé les problèmes que nous lui soumettons. Il y a beaucoup de grandes surfaces au Sénégal et nous n’avons chassé personne. Mais ce qu’Auchan a fait est trop. Si nous laissons notre destinée entre ses mains, il nous conduira aux bords du gouffre. Trop c’est trop’’ ! s’est-il insurgé. Selon le patron des commerçants sénégalais, ce qu’Auchan fait, c’est du ‘’dumping’’. ‘’Ils achètent à 400 F pour vendre à 300 F CFA. Et c’est de la responsabilité de voir pourquoi ils vendent à perte. Ce que nous vous soumettons, c’est quelque chose qui nous tient à cœur et le président de la République va le régler. Auchan est pire que le Sida. Et biLaahi, il nous fait peur. Si les choses continuent ainsi, nous deviendrons tous des vauriens’’, s’écrit-il. Répondant à Alioune Sarr, Idy Thiam déclare que ce qu’ils attendaient de lui à la sortie de cette réunion, c’était qu’il leur dise : ‘’Il n’y a pas de souci par rapport à votre requête, Auchan a investi 30 milliards de F CFA, remboursez-le et reprenez son activité’’. Mais il sera coupé net par le ministre. ‘’Monsieur le président, vous aussi ! Vous êtes un homme d’affaires qui voyage, vous connaissez comment ça se passe’’ ! a rétorqué Alioune Sarr.

Robin Gauter, Auchan : ‘’Nous avons souhaité nous rapprocher de nos clients’’

Au même titre que les commerçants, le ministre du Commerce a également reçu hier les grands distributeurs tels que Casino et Exclusive et surtout Auchan, le principal concerné. Ignorant la polémique, le représentant cette société française Robin Gauter a soutenu que pour ce qui est de la promotion des produits locaux, ils sont en train de travailler avec le ministre du Commerce pour trouver une définition de ce qui est un produit sénégalais.

‘’Nous sommes au Sénégal et nous souhaitons nous inscrire dans ce made in Sénégal pour la promotion des produits locaux et nous inscrire dans la durée en tant qu’employeur. Nous allons continuer à nous lancer dans le développement gagnant-gagnant avec toutes les parties prenantes du marché. Nous serons également du côté du législateur, pour accompagner dans les deux sens le développement du commerce au Sénégal’’, a-t-il déclaré. Sur la vente de détails, M. Gauter a dit qu’ils ont étudié le marché sénégalais en arrivant ici. ‘’Nous avons souhaité nous rapprocher de nos clients. Les clients sénégalais n’ont pas toujours un gros budget et notamment en milieu du mois et souhaitent parfois acheter en quantités. Et nous avons souhaité, en tant qu’acteurs de la grande distribution, répondre à leurs besoins’’, a-t-il fait savoir.

MARIAMA DIEME

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