Publié le 29 Apr 2020 - 17:53
L’ÉCOLE SÉNÉGALAISE À L’HEURE DU COVID-19

Quelles voies de solution pour la continuité pédagogique ?

 

Dès l’apparition du premier cas de Covid-19 au Sénégal, le 2 mars 2020, le président Macky Sall, pour contenir la propagation de la maladie, a pris une batterie de mesures dont la suspension des enseignements dans toutes les écoles et universités publiques et privées du Sénégal jusqu’au 6 avril, puis en raison de la progression rapide de la maladie, la reprise est reportée au 4 mai prochain au moins. Toutefois, pour poursuivre l’éducation pendant la crise sanitaire, le Ministère de l’Education Nationale (MEN) a mis en place, entre autres dispositions, une plate-forme d’enseignement en ligne appelée « Apprendre à la maison », qui met à la disposition des élèves des cours filmés, des supports pédagogiques de nature diverse, des exercices et quelquefois leurs corrigés.

Et, pour rassurer les élèves et leurs parents dont certains flairent l’imminence d’une année blanche, le ministre de tutelle, Mamadou Talla, lors d’une émission « Le Jury du Dimanche », le 12 avril, sur Iradio (90.3), face au journaliste Mamoudou Ibra Kane, a affirmé qu’une année blanche n’est pas envisageable : « Nous ne sommes pas dans une dynamique où on peut parler d’une année blanche », disait-il. Mais au moment où les autorités sanitaires manifestent, de plus en plus, leur inquiétude et parlent de risque de catastrophe, M. Talla, au contraire, trouve la situation pas du tout inquiétante, et déclare que « les examens vont se tenir ». La question était dès lors de savoir dans quelles conditions les examens se tiendront, alors que le Coronavirus n’a pas encore déposé les armes. Le Ministre de l’éducation garantit qu’ils se tiendront « dans de très bonnes conditions », mais juste « avec un léger décalage », certainement en cours du mois de juillet.

Cette déclaration du ministre de l’Education a suscité l’indignation de l’opinion nationale, et donne actuellement lieu à une vague de critiques de citoyens, dénonçant l’inconscience du ministre, et son incapacité à proposer aux sénégalais un plan pertinent de gestion de l’école dans le contexte du Coronavirus, et une voie de sortie de crise concluante et consensuelle. Il n’a pas montré comment une année blanche est évitable, alors que la lutte contre la pandémie fait toujours rage. Cela pouvait, dans une certaine mesure, se comprendre car, « novis » à la tête de ce super-ministère de l’Education nationale qu’on sait très complexe et difficile à piloter, mais M. Talla aurait dû, dès son arrivée, faire l’état des lieux pour s’enquérir des nombreux défis du système et préparer le département à toutes les éventualités envisageables, car comme dit l’adage : « gouverner, c’est prévoir ». Donc, pris au dépourvu et dépassé par les événements, il ne pouvait faire que dans le « suivisme » amblyopique et désespéré de ce qui se passe ailleurs, notamment en France, avec les tâtonnements du ministère français de l’éducation, dont on sait la méthode de gestion de la crise scolaire covid-19 est, pour l’instant, dans l’impasse.

Et beaucoup de citoyens, principalement des acteurs de l’éducation (élèves, étudiants, parents d’élèves, enseignants, etc.), conscients de l’incurie, sont montés au créneau pour déplorer la volonté sournoise de la tutelle de faire tenir les examens, presqu’à date échue, sans tenir compte de la crise scolaire pré-covid 19, liée aux débrayages et grèves des enseignants, et qui a incontestablement porté atteinte au quantum horaire. Dans des articles de presse que nous avons survolés, des commentaires d’internautes via des applications comme WhatsApp, et à travers les réseaux sociaux (Facebook et autres), le constat est le même autour de l’idée que les dispositions prises par le MEN pour occuper les élèves sont certes salutaires, mais ne constituent pas, comme le prétend M. Talla, une option appropriée pour assurer concrètement la « continuité pédagogique », garantir la compensation des heures de cours déjà perdus et placer les élèves en situation réelle d’évaluation. C’est de la mauvaise foi, pensent-ils, quand le ministre affirme que « jusqu’au moment de fermer les écoles, les cours se déroulaient dans d’excellentes conditions », et que « nous sommes en train de perdre, en moyenne, un mois de cours ».

Toutefois, si certaines critiques se veulent radicalement nihilistes à l’endroit de tout ce qui a été proposé par les autorités, et restent cramponnées à l’idée qu’une année blanche est, dans tous les cas inévitable, d’autres par contre, tout en reconnaissant les limites du dispositif « Apprendre à la maison », se réjouissent cependant de l’initiative du MEN de n’avoir pas laissé les élèves à eux-mêmes, dans le désarroi et la psychose d’une année blanche imminente.

Considérant ce programme comme un excellent moyen anti-décrochage pour les élèves, car les maintenant dans l’ambiance d’une pleine année scolaire, elles se veulent, malgré tout, moins pessimistes et pensent que l’année scolaire doit être sauvée coûte que coûte car, une année blanche serait une perte incommensurable pour le pays et pour les parents, mais aussi un grand retard pour les élèves. Cet optimisme s’inscrit dans une perspective « réformiste » des dispositions existantes, mises en place par le MEN, qu’il conviendrait d’ouvrir aux nombreuses propositions que font les citoyens, afin de les adapter aux réalités du système éducatif sénégalais et, par conséquent, de les rendre plus réalistes et réalisables. De l’analyse et de la confrontation des différents scénarios proposés pour la continuité des enseignements-apprentissages, et en tenant compte des limites de chaque proposition, nous avons pu dégager une voie de sortie de crise qui nous a semblé concluante, plus raisonnable et faisables.

En partant du fait que la lutte contre le Covid-19 est encore très loin de connaitre son épilogue, et au regard du crescendo des cas contacts et cas de contamination communautaire, nous pensons qu’il serait très risqué de rouvrir, dès maintenant les écoles, lieux d’attroupements et de contacts rapprochés. Et, quelles que soient les mesures d’hygiène et les dispositions sanitaires qui vont être prises à la rentrée, la reprise des enseignements va, indubitablement, relancer la chaine de contamination, annihiler les efforts déjà fournis et rendre la situation totalement incontrôlable. C’est pourquoi nous estimons que le meilleur scénario possible pour continuer les apprentissages et terminer en beauté l’année scolaire 2020, c’est de maintenir la fermeture des établissements, pour tous les niveaux, jusqu’à mi-septembre/octobre, juste le temps de continuer la bataille afin d’en finir une bonne fois pour toute avec la maladie, et de se rassurer du rétablissement sur toute l’étendue du territoire national, de la sécurité sanitaire.

Pour mettre les élèves dans les conditions idoines d’être évalués et de pouvoir passer leurs examens, l’on procédera comme en 2012, à la contraction des programmes d’enseignement. Par exemple, dans le secondaire, en histoire des classes de Terminale, il est possible de regrouper toutes les décolonisations en une seule leçon, à remettre aux élèves sous forme de fascicule que le professeur exploite profondément en classe et renforce par une série d’exercices à faire à la maison par les élèves, puis corrigés en classe. En géographie, on fera la même chose, en regroupant chaque partie en une seule leçon : « L’espace européen », « L’Asie-Pacifique », « L’Amérique latine », « L’Afrique ».

Des exercices (de dissertation ou de commentaires), mis à la disposition des élèves, seront traités en classe, prenant en charge les différents aspects des leçons évoqués dans les condensés. Et, il doit être possible de faire pareillement dans les autres matières (philo, français, maths, etc.).

D’autres dispositions pourront également être mises en place, au niveau académique ou local, pour compléter ces cours effectivement dispensés (conférences, panels sur des méthodologies, séances de révision générale, etc.). A partir de ce moment, les examens de fin d’année (Bfem et Bac) pourraient se tenir au mois de décembre 2020, juste avant les vacances de Noël. Pour les classes intermédiaires, en tout cas au moyen-secondaire, les compositions ne seront pas nécessaires. Les élèves seront évalués en cours de formation, c’est-à-dire sur la base uniquement des notes obtenues en Contrôle Continu (CC). Les élèves et les enseignants doivent être, psychologiquement et matériellement, préparés à la reprise avant qu’elle ne soit effective.

Il est vrai, ce schéma n’échappera pas à certains problèmes qui pourraient être sa faisabilité (les abris provisoires, les dernières pluies, des écoles inondées ou occupées par des sinistrés, le calvaire des écoles privées, etc.), mais jusqu’à preuve du contraire, nous sommes persuadés que c’est le scénario le plus réaliste et réalisable pour sauver l’année scolaire, sans trop altérer la qualité des enseignements, sans créer de frustrations et sans rencontrer trop de difficultés.

Simplement, parce qu’il va être très compliqué de faire reprendre tout le monde dès le 4 mai, et il ne nous semble pas pertinent aussi, comme le suggèrent certains, de faire reprendre d’abord les uns (classes d’examen), puis les autres (classes intermédiaires). En plus, la pauvreté et la précarité des ménages dues à la paralysie des activités économiques, priveront beaucoup de pères de familles des moyens financiers de la scolarité de leurs enfants. Les parents ont besoin d’un peu de temps pour relancer leurs activités afin de retrouver leur capacité financière nécessaire à la prise en charge des frais d’études de leurs enfants.

On sait aussi que, dans la plupart des localités du sud et de l’Est (Ziguinchor, Bignona, Sédhiou, Kolda, Tamba, Kédougou,…), des élèves se prennent en charge pour leurs frais de scolarité, à partir d’activités informelles (conduite de moto Jakarta, commerce ambulant, etc.). Que vont-ils devenir? Il n’est pas évident que ceux-là reviendront en classe. Et aussi longtemps que l’ombre du virus planera sur le ciel sénégalais, les élèves n’auront pas la concentration qu’il faut pour un bon déroulement des enseignements-apprentissages.

Cependant, durant tout le temps que les élèves et leurs enseignants resteront chez eux (entre mai et mi-septembre/octobre), la plate-forme d’apprentissage mise en place par le MEN, les programmes de « Radio Education » et les sites créés pour renforcer l’initiative « Apprendre à la maison », continueront à fonctionner et viendront en appoint aux cours « accélérés » des mois de rattrapage évoqués ci-dessus. Sur ce point, il n’y aura pas de souci à se faire, car il existe déjà, depuis un certain temps, dans nos collèges et lycées, des groupes Wattshaps et Facebook, une sorte de « classes virtuelles » que les élèves d’une même classe ou d’un même niveau créent, afin de rester en contact permanent avec leurs professeurs, dans les différentes matières, et qui leur servent de plates-formes d’échanges et de partage de documents, de discussions sur les contenus des leçons déjà vues, les méthodologies, un abreuvoir d’exercices et de leurs corrigés.

Donc, les élèves et les professeurs, en tout cas dans les cycles moyen et secondaire, étaient déjà en avance sur les services du MEN en matière d’apprentissage et de recherche documentaire en ligne. Le problème est que le taux de couverture de la classe par ces groupes d’apprentissage « virtuel» est souvent faible, pour la raison que tous les élèves ne possèdent pas un ordinateur ou un téléphone capable de porter des applications qui permettent d’accéder à ces plates-formes.

Aucun professeur ne pouvait, dès lors, compter sur ces activités virtuelles extra-muros, qu’importe la forme et le support (vidéos, fascicules, etc.), pour remplacer la classe physique et évaluer ses élèves. La pédagogie intra-muros, avec la présence physique de l’enseignant, est fondamentale et irremplaçable dans tout enseignements-apprentissage. Toutefois, à l’ère du tout technologique, et avec la « dictature du numérique », ces genres d’initiatives sont à encourager pour poser les conditions de l’« école future sénégalaise » dans laquelle la télévision, la radio et l’Internet seront utilisés, pas seulement comme outils optionnels d’acquisition de connaissances, mais comme supports incontournables dans les activités de classe.

                                                                                                                       Moustapha Camara

                        Professeur d’histoire et de géographie

                                                                                                               Lycée E.O.L.Badji/Ziguinchor

                                                                                                                       mcamara57@yahoo.fr

 

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