Publié le 1 Jul 2020 - 02:27
A LA DECOUVERTE DE BOPPU THIOR

L’île de la soif 

 

Entourée d’eau, mais assoiffée, l’île de Boppu Thior, située non loin de Saint-Louis, souffre d’un manque criard du liquide précieux. Une situation consécutive à l’absence de volonté notoire des pouvoirs publics, à laquelle s’ajoutent d’autres facteurs d’ordre environnemental et humain.  

 

Nichée à 2 km de la ville de Saint-Louis, au fond du petit bras du fleuve Sénégal, l’île de Boppu Thior attire par sa beauté. Une vue panoramique, à la descente de pirogue, sur sa rive, permet d’apercevoir de belles mangroves, d’imposants palmiers et des cocotiers. Une dizaine de minutes de pirogue permet de la rallier à partir de Saint-Louis. Le charme et la beauté de cette bande de terre aux géants cocotiers attirent les visiteurs.

En cette matinée de février 2020, le climat est assez doux et clément. L’atmosphère agréable. Il est midi passé. Les premières pirogues, ramenant les ménagères parties dès l’aube à Saint-Louis pour s’approvisionner en denrées pour les repas de la journée, commencent à accoster sur la rive. L’ambiance est assez calme. L’air paradisiaque, l’île est pleine de paradoxes. Sa beauté et son doux climat contrastent avec les souffrances de sa population qui manque de tout.

Perdue au fond du fleuve, Boppu Thior est difficile d’accès. La pirogue est le seul moyen de transport pour s’y rendre. Cependant, il n’existe pas de pirogue ou de chaloupe dédiées exclusivement au transport pour rallier l’île ou le continent. Les insulaires, tous des pêcheurs, utilisent leur outil de travail (les pirogues) pour leurs déplacements. Et quand un étranger veut s’y rendre, il lui faut avoir une connaissance dans l’île pour son transport.

Ainsi, en cette matinée, pour rejoindre Boppu Thior, l’on a eu un vrai coup de chance de rencontrer des insulaires venues s’approvisionner en denrées au marché à légumes de Saint-Louis, sur la rive du fleuve, non loin du fameux pont Faidherbe, prêtes à embarquer pour rentrer.

L’air méfiant, les ménagères nous demandent de contacter d’abord par téléphone le chef du village de l’île, Cheikh Tidiane Ndiaye, pour l’informer de l’objet de la visite. Son accord nous permet d’embarquer. Ce manque de moyen de transport dédié a complètement isolé l’îlot.

En effet, à Saint-Louis, beaucoup ne connaissent Boppu Thior que de nom.  Peu savent où se trouvent exactement l’île, bien qu’elle soit un peu visible à partir du pont Faidherbe. Ses géants cocotiers et denses mangroves cachent ses imposantes bâtisses modernes.

Située au fond du fleuve Sénégal, l’île manque paradoxalement d’eau douce. Boppu Thior est d’ailleurs devenu tristement célèbre à cause de la soif de sa population. Ici, l’eau potable est un luxe inaccessible. La localité ne dispose pas d’un seul forage, malgré les appels au secours incessants des populations. Pour s’abreuver de cette source de vie, elles s’alimentent à Goxu Mbacc, en transportant des bidons à bord des pirogues. L’eau du fleuve, jadis douce, est devenue trop salée et impropre à la consommation, depuis l’installation du barrage de Diama.  ‘’Notre paradoxe est qu’on vit dans une île, mais on a soif. On est entouré d’eau qu’on ne peut pas utiliser. On s’alimente à partir de Saint-Louis. Que ce soit pour le ménage, l’alimentation ou l’élevage, l’eau utilisée vient de la terre ferme, au quartier de Goxu Mbacc. Le bidon de 20 l d’eau nous revient à 250 F.  Certaines familles dépensent plus de 200 bidons par mois. Rien que pour l’eau, ces familles déboursent plus de 12 000 F par mois’’, regrette Ibrahima Diop, étudiant en Master 2 en sociologie à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar (Ucad) habitant de Boppu Thior.

Pour ravitailler l’île en eau potable, la mairie de Gandon dont elle fait partie administrativement a installé un robinet pour les insulaires au quartier de Goxu Mbacc, en face, sur l’autre rive de Ndar Toute. Toutefois, le transport de l’eau aussi pose d’énormes problèmes d’insécurité. ‘’Pour transporter les bidons d’eau vers l’île, il faut tenir compte des conditions météorologiques. Les embarcations avec des bidons d’eau ne peuvent se faire qu’au moment des marées hautes. En marée basse, certains endroits du fleuve sont creux et avec les charges lourdes des pirogues, on peut heurter le sable et cela peut renverser la pirogue. C’est pourquoi il faut beaucoup d’expérience et de prudence pour faire le trajet avec des pirogues chargées de bidons d’eau’’, renseigne ce pêcheur qui fait le trajet quotidiennement pour ravitailler sa famille en eau potable.

Aux yeux des populations, tout ceci s’explique par le manque de volonté des autorités pour désenclaver l’ile de Boppu Thior. Située à un jet de pierre du quartier de Goxu Mbacc, le raccordement à l’eau potable ne devrait pas, estiment-elles, poser de problème. ‘’Nous sommes à moins de 2 km de Saint-Louis. Donc, raccorder l’île en eau potable ne devrait pas être difficile. Certains quartiers de l’ile de Saint-Louis, à savoir Guet-Ndar, Santhiaba ou Goxu Mbacc sont alimentés à partir de Sor. Or, la distance entre le marché de Ndar Toute et Boppu Thior est plus proche que celle entre Sor et ces quartiers. A défaut de nous brancher à partir de Saint-Louis, on peut aussi envisager des techniques de dessalement de l’eau, parce qu’on est entouré d’eau, mais on ne peut pas l’utiliser à cause du sel’’, réclame l’étudiant.

Le barrage de Diama et la brèche accentuent le problème

Autrefois ilot de bonheur et de beauté, Boppu Thior souffre amèrement, du fait de son délaissement et de l’oubli des autorités. Pire, l’île est devenue le réceptacle des impacts néfastes de certaines infrastructures érigées pour la revalorisation des activités de pêche et d’agriculture au bord de la vallée du fleuve. Erigé pour freiner la remontée des eaux salées et permettre l’irrigation des champs de la vallée, le barrage de Diama a accentué la remontée de l’eau salée à Boppu Thior. L’infrastructure a, collatéralement, tué toute la vitalité de l’île. Avant la construction du barrage, dit-on, l’eau était douce à Boppu Thior. Mieux, les populations arrivaient à faire de l’agriculture et de l’élevage dans les terres fertiles de l’île.  Mais depuis la mise en marche de l’ouvrage, les eaux sont devenues de plus en plus salées, surtout en saison sèche. La fermeture du barrage pour freiner la remontée de l’eau de mer salée vers la vallée en est la principale cause. Ce qui fait que 9 sur les 12 mois de l’année, les insulaires étaient obligés de se ravitailler en eau à Saint-Louis pour tous leurs besoins, y compris pour l’élevage. Quant aux constructions de maisons sur l’ile, elles se faisaient pendant l’hivernage, au moment où l’eau du fleuve est douce sur les rives de Boppu Thior.

La construction de la brèche de la Langue de Barbarie à empirer le problème. Depuis son érection, l’eau du fleuve est salée toute l’année sur les rives de Boppu Thior. Construite pour freiner les accidents de pirogues qui heurtaient la bande de sable mobile de l’embouchure de la Langue de Barbarie, la brèche à renforcer la salinité de l’eau au niveau de l’île. Les quelques mois de l’année où l’eau du fleuve était douce, grâce à l’ouverture du barrage en période d’hivernage et qui constituait une période de soulagement pour les insulaires, sont devenus un calvaire, à cause de la brèche devenue un problème.

Peuplée majoritairement de pêcheurs, l’île avait accueilli avec enthousiasme la construction de la brèche, présentée alors comme unique solution pour mettre fin aux chavirements de pirogues sur l’embouchure de la Langue de Barbarie. Malheureusement, l’ouvrage n’a non seulement pas réduit les accidents de marins, pire, elle a rendu la vie plus dure à Boppu Thior.  ‘’Le malheur est qu’il n’y a aucun espoir. Pour l’instant, il n’y a aucun projet pour trouver une solution face au problème que rencontrent les habitants de Boppu Thior. Il n’y a que des promesses non tenues, pour ne pas dire des paroles en l’air. Et pourtant, toutes les personnalités politiques de la région sont au courant de la situation, que ce soit au niveau régional ou communal, du pouvoir comme de l’opposition. Chaque année, à chaque élection, ce sont les mêmes doléances, les mêmes promesses. Mais jamais de solution’’, regrette M. Diop.

Tout est souffrance à Boppu Thior

Outre le problème d’accès à l’eau potable, l’ile de Boppu Thior manque d’infrastructures. Complément coupée du monde, cette île, belle, mais triste et déprimée, vit sans électricité, ni infrastructures sanitaires, malgré sa proximité avec la ville de Saint-Louis. L’unique structure sanitaire qu’elle compte, à savoir la case de santé offerte en 2003 par l’ONG Plan International, a fini par fermer ses portes, à cause du manque d’eau et d’électricité. Pour mettre au monde, les femmes de l’île vont à l’hôpital de Saint-Louis ou au poste de santé de Goxu Mbacc.  

Assise dans son salon en train de tricoter un drap, Mme Boulou Fall maitrise comme le bout de ses doigts les maux dont souffre sa localité. A ses yeux, tout est urgence à Boppu Thior. Née et grandie à Boppu Thior, la cinquantaine révolue, elle reste pessimisme quant à l’évolution de la situation de l’ile. Boulou Fall ne veut pas se faire d’illusions. Pour elle, la fin du calvaire n’est pas pour demain. Actrice de développement et très engagée dans le village, l’insulaire a été maintes fois déçue par des promesses d’autorités jamais tenues. Elle garde beaucoup d’anecdotes des difficultés, surtout liées au problème d’accès à l’eau qu’elle a vécues dans l’ile. Madame Fall se souvient : ‘’Une de mes filles a accouché ici au milieu de mon salon, en pleine nuit. Je n’avais pas d’eau pour la nettoyer. Ce sont les voisins qui m’ont donné un bidon pour faire le nécessaire. Pire, après l’accouchement, elle a eu des complications avec le bébé et on était obligé de l’évacuer au dispensaire de Goccu Mbac en pleine nuit. Ce jour-là, le climat était défavorable. On a ainsi bravé le vent et la fraicheur du fleuve qui sévissaient pour sauver ma fille et son enfant.’’

En tant qu’actrice de développement et femme engagée, elle indique avoir crié partout au secours pour trouver solution. Mais en vain. ‘’On a tout fait. On a parlé aux médias. Ndar Info a fait des reportages ; Bessel Basse est aussi venue ici pour son émission ‘Horaire Bi’, mais jusqu’à présent, rien. Toutes les autorités sont au courant. Mais il n’y a toujours pas de solution. On se remet maintenant à Dieu avec des prières pour s’en sortir. Tous les jeunes ont migré pour aller à Nouadhibou ou dans les autres quais de pêche. Il ne reste ici que les vieux’’, regrette-t-elle.

La seule infrastructure fonctionnelle à Boppu Thior est l’école. Et elle est faite de deux salles de classe qui menacent de céder. Le reste est fait d’abris provisoires. Pas de mur de clôture, encore moins de toilettes. ‘’Les parents d’élèves vivent dans une angoisse infernale. L’école est dans un état de délabrement avancé. A tout moment, les salles de classe peuvent s’écrouler sur les élèves. En plus, il n’y a ni eau ni électricité. Il n’y a pas aussi de toilettes. Pour faire leurs besoins, les enfants sont obligés de revenir au village’’, renseigne Mme Fall, la présidente de l’association des parents d’élèves de l’ile.  

ABBA BA

 

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