Publié le 20 Sep 2012 - 09:10
LA PLACE DU SOUVENIR

Territoire occupé ?

 

 

 

Ma contribution s’adresse principalement au ministre de la culture cela dit, elle est évidemment d’intérêt général. Cette modeste contribution fait suite à un article du soleil au 9 Aout 2012 recueillant les propos de Mr Alioune Deme, professeur d’histoire à l’UCAD .Ce dernier y fait état d’une volonté d’ouvrir un musée consacré à l’holocauste avec comme domiciliation la place du souvenir, qui par ailleurs devait accueillir un monument à la mémoire des naufragés du Joola.

 

Je tiens par cet article à attirer l’attention des autorités publiques de la dangerosité de ce projet.

En effet Mr Deme est certainement animé de bonne volonté mais il fait une grave erreur en voulant ériger ce musée consacré à l’holocauste avec comme prétexte la prévention des génocides et massacres au Sénégal et en Afrique. Par ailleurs l’idée de nous présenter à nous africains l’holocauste comme référence suprême de souffrance et de génocide est scandaleuse et provocatrice.

Voici les raisons pour lesquelles je considère ce projet comme une aberration.

Travail d’antithèse à l’œuvre de Cheikh Anta Diop .

L’illustre Cheikh Anta Diop pendant une grande partie de sa vie n’a eu de cesse de montrer aux africains qu’ils avaient jadis formé une civilisation. Cette connaissance historique du passé africain selon le professeur, était nécessaire pour nous redonner confiance. En effet Cheikh Anta Diop considérait qu’à force de nous convaincre que nous n’avons rien réalisé dans l’histoire de l’humanité, nous finirons par croire que nous ne pourrons rien réaliser et donc s’installer confortablement dans le cercle vicieux du  bon à rien : « je ne sais rien faire donc je ne fais rien »par conséquent effectivement rien n’est fait.

 

Malheureusement la pauvreté des fouilles archéologiques au Sénégal font que nous ne savons pratiquement pas comment vivaient nos ancêtres. Quelle était leur habitude alimentaire ou comment était organisé un village au 12 eme siècle, autant de questions qui restent sans réponse

 

A défaut de connaitre exactement ce que nos ancêtres ont réalisé, nous connaissons néanmoins ce qu’ils ont eu à subir. C’est d’ailleurs tout ce qui nous reste et le sous- développement chronique de notre continent nous rappelle tous les jours qu’on ne sort pas sans cicatrices de quatre siècles de traite négrière et trois siècles de colonisation suivi de décolonisation avec à chaque étape autant de massacres, et de souffrance.

 

En effet dire que le peuple africain a souffert n’est certainement pas une exagération, raison pour laquelle ce musée de l’holocauste est déplacé parce que la référence en terme de génocide qui nous concerne c’est bien ces siècles d’esclavage et de colonisation.

 

Sacrifices des tirailleurs sénégalais pendant la seconde guerre mondiale

Il faudrait rappeler encore une fois que les sénégalais ont payé un lourd tribut à la seconde guerre mondiale ; Notre sang a coulé pour libérer les camps de concentration et pourtant le peuple juif pour qui la mémoire de l’holocauste est un cheval de bataille (c’est légitime) ne manifeste pas suffisamment de reconnaissance à ce sacrifice.

 

Encore faut-il préciser qu’il y avait des noirs dans les camps de concentration. Entre 10000 et 30000 noirs seraient morts dans ces camps. Vous n’apprendrez pas cela malheureusement dans les manuels d’histoire. J’ajoute même que notre ancien président Senghor à l’étonnement de beaucoup, y a vécu emprisonné de 1940 à 1942.

 

D’ailleurs je manifeste mon étonnement de n’avoir jamais entendu d’association pro-israélienne militer pour que la solde des anciens tirailleurs sénégalais soit la même que celle des français de souche ou encore je n’ai pas connaissance d’un monument ou musée particulier en Israël dédiée à la bravoure et l’héroïsme de nos tirailleurs. Peut être que Mr Deme pourrait militer pour la création d’un musée dédié aux tirailleurs à Tel Aviv, je ne saurais vous dire, ma foi il préfère un musée de l’holocauste ici même.

 

Allez savoir pourquoi…

Souffrance ignorée du peuple palestinien et des immigrés noirs africains en Israel .

Je rends grâce à dieu qu’au Sénégal nous ne sommes pas tombés dans la haine raciale qui pourrait pousser un groupe ethnique à massacrer froidement un autre groupe et je prie le seigneur pour que cela continue ainsi jusque la fin des temps.

 

En effet il y a des régions du monde où malheureusement au 21 ème siècle le génocide est toujours une menace .Paradoxalement, Israël, Etat que nous pensions immunisé de toute possibilité de massacre à cause de l’expérience de la shoah, a ces dernières années commis des crimes contre l’humanité envers le peuple palestinien.Ca n’est pas moi qui l’affirme ,c’est le rapport Goldstone .

En effet ce rapport rédigé par Richard Goldstone, un juge sud-africain par ailleurs juif sioniste (donc on ne peut pas l’accuser d’être pro-palestinien) a été mandaté par le conseil des droits de l’homme des nations unies. Dans ce rapport Richard Goldstone fait état de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre perpétrés par Israël dans la bande de Gaza lors de l’opération plomb durci en Décembre 2008.Toujours selon ce rapport, 1400 palestiniens ont été tués dont 758 civils et 13 israéliens pour la plupart militaire.

 

Par ailleurs, tout le monde a du apercevoir à la télévision et dans les autres médias la chasse aux noirs organisé par l’aile droite israélienne. En effet les immigrés provenant des pays d’Afrique noire ont été violement expulsés, d’autres ont subis des violences graves et ont pris la fuite délaissant le peu de biens qu’ils avaient durement accumulés à la sueur de leur front.

 

Je pense donc que nous sénégalais, n’avons pas de leçons de souffrance à recevoir et je conseillerais à Mr Deme de faire un voyage en Israël et leur rappeler la nécessité de tolérance à l’égard des autres peuples pour justement éviter des massacres et génocides .

 

La place du souvenir, territoire occupé ?

La place du souvenir devait accueillir un monument dédié aux naufragés du joola, voilà que j’apprends qu’ll y a un lobbying important pour ouvrir un musée dédié à l’holocauste à coté ou en lieu et place de celui dédié aux naufragés.

 

Je pense même que l’idée de prendre toute la place du souvenir et d’abandonner le monument des naufragés du joola serait idéale pour le professeur Deme et ses amis. Ce drame du joola n’est certainement pas à la hauteur de celui qu’à connu le peuple juif, pourquoi pas ?A ce moment là nous pourrions aussi prendre une partie de l’ile de Gorée et en faire une exposition sur la Shoa pourquoi pas à ce moment là ?

 

Soyons sérieux, je pense que pour nos enfants comme nos petits enfants il est important de ne pas établir de hiérarchie entre les souffrances des peuples.

 

Si nous analysons le paysage audio-visuel, combien y-a-t-il de films ou documentaires sur l’esclavage des noirs ? Presque pas et pourtant combien y en a sur l’holocauste ? Enormément.

D’ailleurs le terme crime contre l’humanité n’est nait qu’en 1945 au procès de Nuremberg .C’est comme si avant 1945 il n’y avait pas de crime contre l’humanité. Par exemple, le massacre des indiens d’Amérique n’est pas un crime contre l’humanité.

 

Encore plus surprenant, la France n’a reconnu l’esclavage comme crime contre l’humanité qu’en 2001.C’est vous dire ce que nous africains, représentons dans l’histoire de l’humanité .Nous ne sommes ni présents dans les grandes civilisations, ni dans les peuples qui ont soufferts, nous ne sommes présents nulle part ; Nous existons de la même manière que les plantes vertes, les baobabs et les mammifères existent, nous sommes là pour divertir et décorer.

J’ajoute aussi qu’il y a des œuvres culturels qui attirent plus facilement un financement que d’autres ;

 

Demandez-moi de faire un film ou un livre sur la Shoah, je suis sûr de trouver le financement, je vais même être subventionné. Par contre, demandez-moi de faire un documentaire ou un livre sur l’esclavage, sur les tirailleurs sénégalais, la colonisation, la françafrique, la décolonisation ou même de trouver des fonds pour des fouilles archéologiques afin de découvrir comment les serers ou toucouleurs du 18ème siècle vivaient : pour cela, c’est la croix et la bannière. Donc je ne suis pas étonné que M. Dème et ses amis aient le financement pour construire le musée par contre pour le monument du joola nous allons devoir nous adresser à d’autres personnes de bonne volonté, nous ne pourrons malheureusement pas compter sur lui.

 

Pour résumer je demande aux autorités compétentes de ne pas répondre positivement à ce projet qui ne rend service ni au Sénégal ni à l’Afrique.

 

Il faut respecter les souffrances de tous les peuples mais surtout il faut éviter d’imposer sa souffrance aux autres.

 

Abdoul Aziz Sy

BA, Msc, University of London

 

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