Publié le 15 Jan 2021 - 21:51
LE ROMAN DE DIARY SOW

Entre fiction et réalité

 

Paru aux éditions L’Harmattan, le livre de Diary Sow, ‘’Sous le visage d’un ange’’, traite de l’histoire d’une jeune fille énigmatique, égoïste, manipulatrice, insatiable. Elle s’appelle Allyn, et fait montre d’une ambition débordante, mais surtout d’une soif inextinguible de liberté.

 

‘’Sous le visage d’un ange’’. Tel est le titre de son ouvrage publié aux éditions L’Harmattan. Présenté en août 2020 au public sénégalais, Diary Sow y dépeint une jeune fille très complexe. Enigmatique, égoïste, manipulatrice, insatiable, mais en même temps aimante, fragile et pleine d’égards pour les autres. Constamment à la quête d’une liberté qui semble la fuir depuis sa tendre enfance, elle ne cessera de fuguer pour trouver le grand bonheur. Du Fouta à la France, en passant par Saint-Louis et Dakar, que d’espoirs brisés, que de succès insuffisants… Mais Allyn (nom du personnage principal) ne démord pas pour autant. Elle tient vaille que vaille à réussir. Toute seule. ‘’Elle serait forte, narre l’auteure. Elle tiendrait bon. Et ce, envers et contre tout. Sa vie n'avait-elle pas changé toutes les fois où elle avait osé agir. Du Fouta à Saint-Louis, en passant par Dakar, Allyn n'avait cessé de se chercher, d'échapper aux fers de l'amour et de son passé indésirable’’.

Toute petite, Allyn avait été ‘’offerte’’ à une tante diabolique qui lui en a fait voir de toutes les couleurs. Un bon matin, par le chemin de fer, elle s’enfuit de son village où tout semblait la tétaniser, l’asphyxier, en lui ôtant toute joie de vivre. Sa fugue n’a pas été sans la réalisation d’un crime qu’elle assumera sans aucun regret. Elle n’avait plus qu’une envie : aller bien loin de ses bourreaux. ‘’Quand la locomotive retentissait, quand les passagers descendaient, je priais enfin pour qu’on redémarre sur-le-champ, pour qu’on m'entraine le plus loin possible de cet endroit. C'était une peur irraisonnée : qu'on découvre ma fugue, qu'on me recherche, qu'on me rattrape,  qu'on me force à retrouver le village. Allais-je devoir payer mon crime ?’’, s’interroge le personnage principal. Et de répondre : ‘’En moi, en effet, nulle pitié, nulle satisfaction, nul remords. J’avais fait ce qu’il fallait pour survivre. Chaque être humain a le droit fondamental de préserver sa vie, quoi qu'il lui en coûte.’’

Telle une petite embarcation emportée par le courant, elle se laissa ainsi dériver au gré des vagues qui la secouaient. ‘’Où allais-je finalement accoster ? Quel sombre naufrage m'attendait ?’’, ne cessait-elle de se demander. Mais la réponse semblait importer peu. ‘’Quoi qu'il en soit, enchaine-t-elle, je ne veux pas attendre qu'il me soit rendu. Je veux prendre mon bonheur maintenant, car je ne suis pas assurée de le trouver dans deux, trois ou vingt ans, qu'importe la durée de mon sursis. Ma nature exige tout et me demande les moyens de tout acquérir’’. 

A la jeune fille insouciante, mais très ambitieuse, un peu de satisfaction, en attendant mieux, ne saurait, en effet, suffire. Elle assume : ‘’Je veux fouler aux pieds tous les interdits, sortir des sentiers battus, refuser toutes ces règles convenues pour que rien ne bouge jamais. Je veux vivre sans contrainte aucune.’’

Pressée, impatiente, très futée, Allyn ne s’arrêtera plus devant rien, à partir de cet instant. A Saint-Louis, elle atterrit dans une famille très aisée. Le père Alioune Thiandoum, décédé, a laissé derrière lui deux enfants et une veuve cruelle et sans cœur. Un matin de dimanche, elle sonne à la somptueuse demeure et a eu la chance de se faire ouvrir la porte par le cadet de la fratrie qui, dès le premier regard, fut attiré par la beauté naturelle de la jeune adolescente à la recherche de travail. C’est d’ailleurs sous ses caprices que la maman pernicieuse se résolut finalement à recruter l’inconnue. Manipulatrice à souhait, la jeune fille saisit cette chance et éloigna davantage la maman du seul fils qui lui restait (l’autre vivant loin du pays).

Avec le jeune Karim plein de vie, Allyn a presque tout. Elle est traitée comme une reine, se paie même le luxe de poursuivre ses études. Et, cerise sur le gâteau, parvient à décrocher, grâce à son amant, un emploi qu’elle a toujours cherché pour s’émanciper ; tout ce qu'elle avait toujours voulu : une carrière, la fortune. Peut-être même l'amour dont elle doutait encore.

Hélas, il restait encore quelque chose d’incompressible chez la jeune fille : cette soif de liberté et d’indépendance. Un beau jour, alors même que son amant lui annonçait avec enthousiasme qu’il lui avait trouvé un boulot, elle lui sert comme réponse : ‘’Je ne peux plus rester ici. Je ne peux pas te laisser décider de ma vie. Je trouverai un logement, un travail, mais seule. Je sais comment gagner ma vie. Je pars…’’

Allyn avait déjà mûri son plan. Elle avait trouvé la voie pour fuir son pays, aller à l’aventure dans un autre pays qu’était la France. Là-bas, dans le strict anonymat, elle espère enfin trouver ce bonheur qu’elle a toujours vainement pourchassé. ‘’Seule, étrangère, pauvre, vulnérable dans un pays inconnu : telle était Allyn... son existence de nomade s’affirmait avec cette seconde étape. Et elle mènerait cette vie aussi longtemps qu'il le faudrait. On l’avait prévenue contre les risques, mais elle sait se battre. Elle ferait appel à toute sa fermeté’’, décrit l’auteur. 

Cette affirmation témoigne amplement de la détermination sans borne de l’héroïne de Diary Sow. Qui fulmine : ‘’Après n'avoir connu que le côté regrettable de la vie, l'heure est venue pour moi de jouir. A mon tour. Quels que soient les sacrifices que cela implique. A quoi bon une vie sans folies, si un coup de vent peu tout venir bouleverser.’’

Questions autour d’un mystère

Passé le grand émoi des premiers jours, les Sénégalais se posent de plus en plus des questions sur les raisons véritables de cette disparition mystérieuse.

Telle Allyn, Diary Sow est-elle à la recherche du bonheur à tout prix ? Est-elle prise en otage par un environnement trop pesant ? Des hommes ou femmes la tiennent-ils sous leur joug implacable ? Souffre-t-elle de la rigueur de son prépa à Louis Le Grand ? Ou tout simplement a-t-elle été victime du pire ? Les questions foisonnent de plus en plus dans l’esprit de nombre de Sénégalais.

Très inquiets et émus aux premières heures de cette disparition pleine de mystère, certains semblent revenir à plus de sérénité. Selon cette autorité sénégalaise basée à Paris, tout porte à croire que la représentation diplomatique cache la vérité au peuple sénégalais. ‘’Pardonnez-moi, mais pour moi, c’est du foutage de gueule. Les gens savent bien où se trouve la fille. Ils n’ont juste pas voulu le dire aux Sénégalais’’.

Pourquoi ? Mystère et boule de gomme. En tout cas, avant-hier encore, le consulat a démenti une information selon laquelle la meilleure élève du Sénégal en 2017 et 2018 aurait été retrouvée. ‘’Nous démentons formellement l’information selon laquelle nous aurions retrouvé Diary Sow’’, a posté le consulat sur son compte Twitter. Sans plus de précision.

Dans ses précédentes sorties, la représentation diplomatique tenait cette affirmation qui en cachait bien des non-dits. ‘’La bonne nouvelle, soulignait le consul, c’est que la piste criminelle n’est pas privilégiée’’.

En quoi cette évidence peut constituer une bonne nouvelle ? En effet, pour une affaire de ce genre, la piste criminelle ne peut prévaloir, de prime abord. Du point de vue même du droit, on ne saurait parler de disparition. Tout au plus, il ne peut s’agir que d’une absence. Et selon les procédures habituelles, la police ne se bouge même pas, car considérant qu’une personne d’âge mûr a bien le droit de mener sa vie comme bon lui semble. Sauf en cas de ‘’disparition inquiétante’’.

Toujours lors de son point de presse, l’ambassadeur reconnaissait : ‘’Nous avons poussé pour que la déposition soit acceptée, parce que la réglementation ne le prévoit pas.’’

Mais si la diplomatie a pu pousser pour faire activer la police française, elle est un peu désarmée, quand il s’agit de dévoiler des informations personnelles pour une personne majeure qui veut cacher de telles informations. Moustapha Syll est un juriste sénégalais basé en France. Il explique : ‘’Vous savez, en France, il y a même des sociétés spécialisées dans la recherche de personnes disparues ou absentes. Mais même dans ce cas, si elle la retrouve, la société n’a pas le droit de dire à la famille qui l’a payée là où se trouve la personne, si cette dernière est majeure et ne veut pas qu’on sache où elle se trouve. La société va se limiter à leur dire qu’elle est vivante et en bonne santé. Donner son adresse ou son numéro de téléphone, c’est violer ses données personnelles.’’

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Dans l’enfer des prépas

Dans son livre ‘’Le silence du totem’’, Fatoumata Sissi Ngom parle de ces montagnes de difficultés dans les classes préparatoires des lycées français. Avec Ousmane Bocar Diallo, ancien leader dans le mouvement estudiantin, ils racontent le calvaire des étudiants.

Sitoé, personnage principal du livre ‘’Le silence du totem’’, fut une élève brillante. Elle décrocha son Baccalauréat avec la mention ‘’Très bien’’ et fut la première élève du Sénégal à rafler au Concours général les premiers prix dans toutes les disciplines littéraires, écrivait l’auteure Fatoumata Sissi Ngom. Ce qui lui permit d’être récompensée par le président de la République d’une bourse d’excellence pour aller poursuivre ses études en France, et d’être acceptée en hypokhâgnes au lycée Henri-IV.

Sitoé n’est certes pas Allyn ; encore moins Diary Sow, mais elle ressemble, à bien des égards, à cette dernière, du point de vue de ses dispositions intellectuelles au-dessus de la moyenne. Hélas, durant ces deux années de classes préparatoires, le personnage de Sissi Ngom avait toutes les peines du monde pour s’en sortir. Tellement le rythme était difficile, intense. ‘’Elle avait l’impression d’entrer dans un monde parallèle, déconnectée de la vie réelle. La charge de travail était colossale, le rythme intensif, l’atmosphère du lycée lourde et pesante… La pression de réussir était si forte que certains élèves, croulant sous les devoirs à rendre, les œuvres à lire dans des délais record, les recherches à effectuer, avaient recours à des substances illégales qui leur permettaient de tenir’’. Sitoé n’a pas fait exception et a failli sombrer dans la drogue, pour ne pas connaitre l’échec. Difficilement, elle réussit à ses concours et accède à l’Ecole normale supérieure.

Ainsi, la disparition mystérieuse de Diary Sow remet au goût du jour les enseignements de ce roman publié en fin 2018. Même s’il reste une fiction, le roman n’est pas du tout très loin de la réalité des lycées d’excellence de France. Comme Henri-IV, Louis le Grand où est inscrite Diary Sow est l’autre lycée de Paris où les classes préparatoires sont réputées d’enfer. Joint par téléphone, Fatoumata Sissi Ngom, qui a elle-même fait une prépa, explique : ‘’Comme je le raconte dans mon ouvrage, les prépas sont généralement extrêmement difficiles. Il faut vraiment être prêt et robuste pour y réussir. C’est deux années très intensives, infernales. Et ces deux lycées sont les plus élitistes, les plus durs de Paris. On a vraiment envie d’arrêter, de disparaitre à jamais, par moments.’’

A l’instar de Fatoumata Sissi, l’ancien leader dans le mouvement estudiantin, Ousmane Bocar Diallo, affirme : ‘’Oui, c’est très difficile, certes, mais abordables pour nos brillants étudiants. En parallèle, il faut être simplement dans de bonnes conditions et un bon encadrement, notamment psychologique. C’est ce qui fait peut-être défaut à certains.’’ 

Ainsi, selon nombre de témoignages, ils sont nombreux à décrocher à cause des difficultés. Interpellé sur le sujet, l’auteur de ‘’Migration estudiantine et professionnelle en France’’ tient toutefois à préconiser la prudence, dans le cas de Diary Sow : ‘’Je suggère vraiment de faire jouer la carte de la neutralité et de mettre en avant l’éventualité du défaut de préparation mentale que rencontrent souvent les étudiants en France, surtout avec la pression des premières années et l’isolement. Il y a eu des abandons et pertes de niveau de certains étudiants qui n’étaient pas bien préparés psychologiquement...’’ 

A cela s’ajoute, à en croire M. Diallo, la pression énorme qu’exerce la société qui pourrait impacter les jeunes étudiants. Interpellé sur les chiffres de décrochage, il déclare : ‘’C’est compliqué. C’est ce que je disais dans mon livre. Nous n’avons pas ce suivi auprès de nos étudiants. Cette guerre des chiffres n’a toujours pas commencé. Ce n’est pas Campus France qui va nous dire que tant d’étudiants ont échoué ! Ce n’est pas dans leur intérêt, mais on peut extrapoler sur du 30 % qui virent vers d’autres filières la première année, pour défaut d’encadrement ou formation non-adéquate pour eux...’’

 

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