‘’On ne peut pas faire un contrôle systématique de l’ensemble des opérations d’importation’’
Vu la densité du trafic au port de Dakar, la douane ne peut pas faire un contrôle physique sur tout ce qui passe. Chef du Bureau des investigations criminelles et des stupéfiants, le lieutenant-colonel Mamadou Diamé précise que le partage d’informations reste la seule voie de salut.
Comment expliquer le commerce illicite au Sénégal ?
Je pense qu’il faut d’abord définir ce qu’est le commerce illicite. Toute activité commerciale qui déroge aux règles établies revêt un caractère illicite. Le commerce illicite peut concerner beaucoup de secteurs : médicaments, tabac, boissons alcoolisées, contrefaçons… Le commerce illicite se développe parce qu’il génère énormément de ressources financières qui servent au financement des activités terroristes. C’est une source de gain facile : on contourne la réglementation et on arrive à avoir ce qu’on veut.
Comment les gens arrivent-ils à contourner la réglementation ?
Si je prends l’exemple des importations et des exportations, quand vous importez un produit alimentaire, la réglementation prévoit l’obtention d’une autorisation d’importation délivrée par le ministère du Commerce. La douane fait un contrôle de conformité entre la marchandise déclarée et le document délivré par le ministère du Commerce. Si c’est conforme, on laisse passer. La personne qui s’active dans le commerce illicite dissimule le produit prohibé ou elle fait une fausse déclaration ou bien même ne déclare pas du tout. C’est pourquoi on les classifie en deux catégories : les importations sans déclaration et la contrebande.
La contrebande, c’est lorsque la personne, soit ne passe pas par le bureau de dédouanement pour faire une déclaration régulière, soit elle passe, mais elle fait une déclaration surfacturée ou utilise une autre technique pour rendre le contrôle incomplet. Je donne un exemple : vous apportez un produit alimentaire et vous déclarez du savon. Vous apportez des véhicules, vous déclarez des bananes. Si on ne fait pas le contrôle physique (ouvrir le conteneur), ça peut échapper. Et ils savent qu’il y a un volume important d’opérations qui se font et qu’on ne peut pas faire un contrôle systématique de l’ensemble des opérations d’importation. On a une mission fiscale, même si on a aussi une mission sécuritaire. Et comme on ne peut pas tout contrôler, ils vont essayer de passer entre les mailles du filet en usant de fausses déclarations.
Concernant la fausse déclaration par exemple, qu’est-ce qui peut être la solution ?
D’abord, renforcer le contrôle. Mais comment renforcer ce contrôle ? La douane a dit : il faut informatiser. Ça a été fait. Mais il faut surtout avoir l’information avant, faire une analyse, automatiser des risques. La douane a mis en place le Gaïndé qui est le système automatisé des informations douanières, mais également un système d’analyse intégré qu’on appelle le ‘’Tamin’’ (déformation wolof du mot tamis) pour analyser les risques, les évaluer. Si une opération présente des risques élevés, une vérification physique est faite. Le deuxième élément est que les gens sont dans des domaines où ils trouvent d’autres personnes. Si le secteur privé coopère avec l’Administration des douanes et partage l’information sur les suspicions qu’ils ont sur d’autres types de trafic et de fraude, le dossier peut être traité à temps pour qu’on puisse bloquer le produit avant même qu’il n’entre. Mais si l’information n’est pas disponible et que l’analyse ne détecte pas un risque élevé, la personne peut user de subterfuges pour faire entrer son produit.
L’échange d’informations est donc essentiel ?
Ah oui ! C’est fondamental. On dit souvent que l’argent est le nerf de la guerre, mais ici, c’est l’information qui est le nerf de la guerre. Il faut disposer de l’information à temps et la traiter. C’est ça qui permet d’adapter nos contrôles, de mieux les orienter. Contrôler moins, mais de mieux le faire. C’est-à-dire qu’on va orienter les contrôles rigoureux vers les opérations qui présentent des risques élevés. Et ça, nous ne pouvons le faire que quand on dispose de l’information au préalable.
Mais il n’y a pas que le secteur privé, il y aussi les autorités qui délivrent les autorisations…
C’est aussi un autre aspect. A la douane, nous en appelons à 4 niveaux de collaboration. Entre les douanes elles-mêmes, c’est-à-dire entre douanes sénégalaises et celles des autres pays. Mais aussi entre les douanes et les autorités de délivrance. Quand vous prenez les produits alimentaires qui sont soumis à la Dipa (Déclaration d'importation de produits alimentaires) ou les médicaments qui sont soumis à une autorisation de mise sur le marché, il faudrait que ces informations soient partagées entre ces administrations de délivrance des titres et les administrations des douanes. Je dois dire quand même qu’il y a beaucoup d’efforts qui sont en train d’être faits.
Aujourd’hui, on a un système Orbis qui permet la sécurisation de la chaine de collecte des documents. De la même manière, le commerce a un portail qui lui permet de traiter les demandes de Dipa et de les valider. Ce sont des pas qui sont en train d’être faits. Il faudra maintenant renforcer ces dispositifs existants, systématiser le partage d’informations et impliquer le secteur privé. L’informatique est une chose, mais la machine ne pourra jamais remplacer l’homme. Les gens doivent continuer à se parler. C’est pourquoi nous avons une direction spécialisée qu’on appelle la Direction du renseignement et de l’enquête douanière. Nous sommes conscients qu’il faut continuer à collecter et traiter les renseignements et les mettre à la disposition des services de contrôle.
BABACAR WILLANE