Publié le 29 Aug 2022 - 22:36
OUSSEYNOU KASSÉ, DG EXÉCUTIF AUTORITÉ NATIONALE DE BIOSÉCURITÉ (ANB)

‘’L’utilisation des OGM dans le monde actuel impose une stratégie nationale’’

 

Pour l’autorité chargée de la sécurité autour des biotechnologies, le Sénégal ne peut pas rester les bras croisés devant la révolution des OGM qui, de toute manière, n’épargnera pas son marché. Au lieu de les interdire, sans même pouvoir les identifier, il opte pour une gestion régulée de ces technologies. 

 

Quel est le rôle de l’Autorité nationale de biosécurité ?

L’Autorité nationale de biosécurité a une mission de régulation en matière de biosécurité. Elle est le bras technique compétent en matière de biosécurité du ministère chargé de l’Environnement. Elle veille ainsi à une utilisation sécurisée des biotechnologies modernes. L’ANB a également pour mission de recevoir et d’examiner les notifications ou demandes d’autorisation adressées au ministre, en vue de l’utilisation des biotechnologies modernes. Elle a, par ailleurs, entre autres missions, la sensibilisation et l’éducation du public dans le domaine de la biosécurité et des biotechnologies modernes.

Quelle est la pertinence de l’autorisation de la recherche sur les OGM au Sénégal ?

L’utilisation sécurisée des biotechnologies modernes en général, offre plusieurs possibilités. Sur le plan médical par exemple on peut produire des vaccins (vaccins recombinants), des produits pharmaceutiques comme l’insuline utilisés par les diabétiques. Sur le plan agricole, la recherche pourrait aider à développer des variétés d’OGM adaptées au stress hydrique ou permettant de récupérer des terres salées comme dans le Sine-Saloum ou de dépolluer d’anciennes friches industrielles contaminées aux métaux lourds ou pour lutter contre les ravageurs. Et l’une des facettes les plus importantes, c’est l’utilisation possible des biotechnologies modernes dans la recherche.

Dans ce domaine, les chercheurs sénégalais peuvent utiliser les biotechnologies modernes, pour résoudre nos préoccupations en tenant compte de nos réalités, de nos valeurs socioculturelles et économiques pour aboutir à des applications dans les domaines de l’agriculture, de l’environnement, etc.

Au plan politique, le développement des biotechnologies modernes et l’utilisation des organismes génétiquement modifiés dans le monde actuel imposent une stratégie nationale.  Celle-ci sera fondée sur une prise de conscience collective de l’importance des ressources génétiques locales, du principe de précaution et du respect d’un code de conduite. L’objectif étant de sécuriser les populations. Les biotechnologies modernes constituent un enjeu stratégique en sciences fondamentales, dans la mesure où elles contribuent à l’évolution des connaissances.

Quel est le processus qui a conduit à la modification de la loi de 2009 ?

En considérant l’émergence des biotechnologies modernes et leur contribution potentielle à divers secteurs de développement et en partant du principe de précaution, la Convention sur la diversité biologique a mis en place le Protocole de Cartagena pour prévenir et gérer les risques biotechnologiques, dans cette dynamique, le Sénégal a ratifié le Protocole de Cartagena en 2003 et en a traduit les stipulations dans son ordre juridique interne. C’est l’objet de la loi n°2009-27 du 8 juillet 2009 portant sur la biosécurité au Sénégal.

Toutefois, cette loi présentait plusieurs insuffisances qui rendaient difficile son application. Ainsi, un processus de sa révision a débuté sur instruction de Son Excellence le Président de la République fondée sur l’avis scientifique de l’Académie nationale des sciences et techniques du Sénégal (ANSTS).

En réalité, le cadre juridique institué par la loi de 2009-27 s’est révélé, à plusieurs égards, incompatible avec plusieurs dispositions du Protocole de Cartagena et a occulté certains aspects du contexte national. Par exemple, la loi de 2009-27 ne prévoyait pas, conformément au Protocole de Cartagena, des procédures différenciées de prise de décision en fonction du type d’utilisation des OGM. De même, les modalités de participation du public et celles relatives aux procédures d’évaluation et de gestion des risques souffraient de lacunes pour garantir une décision éclairée et appropriée.

Il s’y ajoute que cette loi ne définissait pas le régime de la responsabilité et de la réparation des dommages résultant de l’utilisation des OGM, établi par le Protocole additionnel de Nagoya Kuala-Lumpur. En plus, notre Code de procédures pénales ne prenait pas en charge les infractions liées à l’utilisation des biotechnologies modernes. Il fallait donc régler ce problème en l’intégrant dans la nouvelle loi. A cela s’ajoute l’adoption du Règlement de la CEDEAO sur la biosécurité en septembre 2020.

Étant d’application directe, il fallait donc avoir un cadre juridique adapté qui prend en compte les aspects que je viens d’évoquer plus haut. Et se préparer par rapport à la mise en œuvre du règlement qui, au nom de la libre circulation des personnes et des biens, ce qui est accepté dans un pays le serait dans tous les pays membres, s’ils ne disposent pas de cadre juridique cohérent par rapport aux engagements internationaux. Sur ce point, je voudrais rappeler que le Nigeria à lui seul a accepté plus de 25 demandes d’autorisation sans compter le Burkina Faso ou encore le Ghana et le Mali.

 Enfin, nous pouvons citer comme innovations dans le nouveau cadre réglementaire l’étiquetage, la traçabilité, la documentation obligatoire d’accompagnement pour orienter les choix de consommation en toute connaissance de cause.

Que répondez-vous à toutes ces études alarmantes sur les OGM au Sénégal ?

La perception des risques, au-delà de la dimension émotionnelle ancrée en nous et qui est difficile à changer, devra légitimement se fonder sur un argumentaire scientifique et rigoureux pour mieux nous permettre de discerner le vrai du faux, le réel scientifique de l’irréel spéculatif et parfois subjectif et nous offrir un choix éclairé. Le débat est légitime pour donner des réponses structurées et pertinentes aux défis de sécurité sanitaire des aliments, pour protéger notre biodiversité, pour assurer un accès équitable aux semences, etc.  Cela doit nous conduire moins vers des polémiques de positionnement de pro ou anti OGM, mais plus vers la voie d’utilisation responsable de technologies ou de promotion d’axes de recherche.

A ce titre, la bonne et utile information est incontournable et indispensable, en la dénuant de toute coloration politique ou de lobbies de positionnement de tout bord qu’ils proviennent.

Les OGM sont-ils une solution ou une menace ?

Les OGM peuvent contribuer à améliorer plusieurs secteurs de développement. Les OGM, dans une perspective d’amélioration génétique, sont mis au point pour répondre à un besoin, apporter une solution face à une situation donnée. Au Sénégal la culture de plantes OGM peut permettre de reconquérir les terres marginales (salées, acides, etc.). On peut, par exemple, cultiver des plantes OGM résistantes à la sécheresse, aux hautes températures, aux maladies (aflatoxine dans l’arachide) ou aux ravageurs pour répondre aux défis futurs pouvant résulter des changements climatiques. Ce qui entre dans le registre de menaces relèverait surtout des risques potentiels dont les champs sont largement circonscrits et pris en charge dans une démarche scientifique rigoureuse d’évaluation et de gestion des risques pour en apprécier le caractère acceptable et gérable.

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