Publié le 13 Mar 2015 - 20:33
PR ABDOU NIANG, NEPHROLOGUE

‘’Pourquoi on l’appelle le tueur silencieux’’

 

L’insuffisance rénale est causée par le trio hypertension artérielle, diabète et infections. En prélude à la journée internationale du rein, le professeur Abdou Niang revient dans cet entretien sur les conséquences de cette terrible maladie, le coût du traitement de la dialyse, la nécessité de voter la loi sur la greffe et les avancées notées ces dernières années au Sénégal.

 

On a noté une recrudescence de l’insuffisance rénale. Cela est dû à quoi, selon vous ?

Nous pensons qu’aujourd’hui, il y a une augmentation de l’incidence de l’insuffisance rénale au Sénégal. Mais ceci est secondaire à de multiples raisons. Il y a la raison secondaire à la montée épidémiologique en Afrique qui fait qu’aujourd’hui, les maladies infectieuses sont en baisse, tandis que les maladies métaboliques sont en augmentation. En parlant de maladies métaboliques, je fais référence au diabète, à l’hypertension artérielle, à l’hypercholestérolémie, à l’obésité etc. C’est une raison qui fait qu’aujourd’hui, l’insuffisance rénale, qui prend séquence de ces maladies métaboliques, est en  nette augmentation. L’autre raison est qu’aujourd’hui, nous avons au Sénégal de meilleurs moyens de diagnostic, ce qui permet à des médecins, même dans des zones très éloignées, de pouvoir poser la créatinémie qui est l’examen de référence qui permet de poser le diagnostic d’une insuffisance rénale. Il y a une amélioration du plateau technique, qui fait que, de plus en plus, on fait plus facilement le diagnostic de l’insuffisance rénale qu’il y a de cela 20 ans.

Quelles sont les causes exactes de cette pathologie ?

La cause la plus fréquente au Sénégal, c’est l’hypertension artérielle. C’est indéniable et on connaît aujourd’hui la prévalence de l’hypertension. Les statistiques déférentes montrent que 25% à plus de 60% de nos populations seraient hypertendues. C’est inquiétant, quand on se rend compte que l’hypertension artérielle est la première cause d’insuffisance rénale chronique au Sénégal. Malheureusement, cette hypertension artérielle est largement sous-diagnostiquée et largement sous-traitée. En dehors de l’hypertension artérielle, nous avons le diabète. Celui-ci est en nette croissance dans nos populations, surtout dans les pays à revenus limités. Pendant longtemps, on a pensé que le diabète était réservé aux pays en développement.

Mais maintenant, on se rend compte que dans nos pays, du fait de notre alimentation extrêmement  déséquilibrée, le diabète est en nette progression. L’autre chose importante, ce sont les infections. Les infections au niveau du rein constituent une importante cause d’insuffisance rénale chronique au Sénégal, et cela concerne aussi bien les infections bactériales que les infections virales (hépatite B) ou encore les infections parasitaires. On s’est rendu compte que le paludisme aussi pouvait être à l’origine de ces infections. Il y a une cause non négligeable qui existe dans notre pays sur laquelle il faudrait vraiment insister auprès des populations, c’est l’utilisation des médicaments toxiques traditionnels. Quand quelqu’un est malade ici, le premier recours, c’est le médecin tradipraticien. Malheureusement, il y a plus de charlatans que de vrais tradithérapeutes. Ce qui fait qu’avec l’utilisation de ces médicaments dont ils ne maîtrisent pas la toxicité, nous voyons des malades qui viennent à l’hôpital avec une insuffisance rénale secondaire à la prise de ces produits toxiques. Il y a aussi certaines causes rares.

Comment se manifeste l’insuffisance rénale ?

Le gros problème de l’insuffisance rénale est le fait que cette maladie est sournoise. C’est ce qui montre aussi l’étendue de la tâche des éducateurs, des journalistes, de tout le monde, pour que la population puisse prévenir cette maladie. Cette maladie, au début, ne présente aucun symptôme. On ne sent rien du tout. Lorsque l’insuffisance rénale se révèle avec ses symptômes, le malade va consulter parce qu’il est anémié, fatigué ou parce qu’il vomit. A ce moment, la maladie est à un stade très avancé. Pratiquement, le malade a perdu 50 à 75% de la capacité fonctionnelle de ses reins. Malheureusement, c’est à ce stade qu’on voit les malades à l’hôpital. Donc, il faut faire des efforts pour que les gens puissent avoir la culture d’aller à l’hôpital, sans être malade. C’est pourquoi on l’appelle le tueur silencieux.

Quels sont les dangers auxquels expose cette maladie ?

Quand on a une insuffisance rénale, on est exposé à plusieurs types de complications. Il y a des complications neurologiques. Une insuffisance rénale à un stade avancé met le malade dans un tableau de comas. Elle peut entraîner des complications cardiaques, parce que le cœur et le rein sont extrêmement liés. Le cœur pompe beaucoup de sang et 25% de ce sang pompé va vers le rein. Dès que le rein est malade, le cœur le ressent et vice-versa. Les complications surviennent lorsqu’on n’a pas accès à ces thérapeutiques comme la dialyse.

Le traitement de cette maladie est très coûteux. Qu’est-ce qui a été fait pour aider les malades ?

Il faut reconnaître que dans ce pays, les autorités font beaucoup de choses depuis 4 à 5 ans environ. Avant 2010, la dialyse coûtait dans le public 50 000 francs la séance, et pour faire trois séances de dialyse, il fallait 150 000 francs. Cela faisait environ 750 000 francs par mois. On avait évalué le coût à 9 millions de francs chaque année pour qu’un malade puisse vivre un an. En 2010, on a commencé à subventionner la dialyse à plus de 80%, ce qui ramenait le coût de la dialyse à 10 000 francs. Et depuis 2012, la dialyse est devenue gratuite dans le secteur public. Mais, il y a encore beaucoup de problèmes d’accessibilité. C'est-à-dire qu’il n’y a pas assez de machines, et l’Etat a fait une politique volontariste de décentralisation de la dialyse.

Aujourd’hui, il y a non seulement trois centres publics de dialyse à Dakar, mais il y en a aussi dans les régions. Il y a en un à Saint-Louis, Touba, Tamba, Kaolack et Ziguinchor. Et l’Etat est en train de dérouler un autre programme pour décentraliser de plus la dialyse. Effectivement, la prise en charge de la dialyse est excellente, mais si nous ne faisons pas le travail en amont, c'est-à-dire agir sur la prévention, nous ne pourrons jamais prendre en charge tous les malades qui auront besoin de dialyse. Parce que non seulement c’est coûteux pour l’Etat, mais le rythme de croissance pour ces malades va être exponentiel. Donc il va falloir mettre en place de véritables politiques de prévention, pour arrêter ce lot important de malades qui arrivent au stade de dialyse. Malheureusement, comme la dialyse en public n’est pas accessible pour tout le monde, la dialyse en privé a été partiellement subventionnée par l’Etat, mais les choses restent encore chères pour nos concitoyens qui font la dialyse dans les structures privées.

Pourquoi la dialyse en public n’est pas accessible pour tout le monde ?

C’est un problème de machines. Vous savez, quand on a dans un centre comme Le Dantec par exemple 20 machines. Ces 20 machines peuvent au maximum prendre trois malades par jour. Quand on prend ce nombre de malades, parce que la dialyse dure 4 heures de temps, ça fait 12 heures, plus le temps du repos du malade etc. Donc, la journée est terminée. Il y a aussi le temps de repos de la machine et le respect de l’utilisation. C’est ce qui fait que la capacité est essentiellement limitée. Malheureusement, la demande reste encore supérieure à l’offre. Aujourd’hui, dans tous les centres publics, il y a des listes d’attente. Alors que l’attente n’est pas couronnée de succès dans ce genre de traitement. La seule façon de pouvoir prendre des malades, c’est de créer encore des centres de dialyse.

Les malades veulent le vote de la loi sur la greffe. Pourquoi, on ne le fait pas au Sénégal ? Est-ce un problème de plateau technique ou de compétence ?

Les problèmes sont à plusieurs niveaux. Mais le niveau le plus immédiat, c’est celui de la législation. Dans le monde, les gens sont très regardants sur les programmes de greffe. Quand vous devez opérer une personne qui n’est pas malade pour lui enlever un rein et le donner à son père ou à sa sœur, c’est cet acte juridique qui doit être encadré par la législation nationale. C’est pour cela qu’en collaboration avec les sociétés internationales, l’agence de la biomédecine de France, nous avons beaucoup travaillé au Sénégal pour écrire une loi, qui a été déposée au niveau des autorités, et nous attendons jusqu’à présent que cette loi soit votée à l’Assemblée nationale, pour permettre aux techniciens de pouvoir réaliser la greffe au Sénégal.

Sur le plan des ressources humaines et sur le plan du plateau technique, aujourd’hui, nous sommes, nous techniciens, pratiquement tous d’accord que la greffe peut être aujourd’hui largement réalisable au Sénégal. Nous avons les ressources humaines, matérielles et techniques et nous avons le plateau technique aussi. L’autre aspect important, c’est d’avoir un accompagnement de l’Etat, parce qu’il faudrait qu’un budget soit alloué à la greffe, comme un budget a été alloué à la dialyse. Parce que si nous ne le faisons pas, même si la greffe est autorisée, elle va être réservée à certaines personnes nanties. Parce que la greffe coûte 25 millions en Inde et en Tunisie.

Si vous allez en France, vous payez entre 40 et 50 millions. Donc, si nous voulons le faire ici, c’est sûr que le prix va être largement réduit, mais il faudrait que cette greffe soit subventionnée. C'est-à-dire qu’une partie du budget qui est alloué à la dialyse soit allouée à la greffe, surtout que celle-ci est le meilleur moyen pour sortir les malades de la dialyse. Quelqu’un qui est en dialyse, si on ne le greffe pas, il risque de rester en dialyse jusqu’à sa mort. Alors que s’il fait la greffe, il va sortir de la dialyse et coûtera moins cher à l’Etat.

Une personne greffée, au bout de deux ans, coûtera 2 millions par an à l’Etat, alors que la dialyse, c’est 9 millions par an. Ce sont des économies substantielles que l’Etat peut faire dans sa politique de prise en charge des insuffisants rénaux. Il est extrêmement important que les autorités nous aident à faire progresser le programme de greffe en l’appuyant. Nous avons beaucoup de jeunes qui sont en dialyse, des enfants de 8 ans, 10 ans, 15 ans. Ces derniers, si on les met 20 ans à la dialyse, ça leur amène des difficultés scolaires. Alors que si on les greffe, ils deviennent autonomes. C’est un appel de la part des malades, des techniciens et tous pour qu’enfin au Sénégal, nous puissions démarrer notre programme de greffe. La Côte d’ivoire a démarré un programme de greffe en 2012.

VIVIANE DIATTA

 
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