Publié le 27 Nov 2021 - 21:41
RAPPORT MONITORING DE L’AUTOCRATISATION EN AFRIQUE L’OUEST

Les bons et mauvais points du Sénégal

 

Depuis 2012, des actions gouvernementales menacent certaines composantes, notamment celles ‘’libérale’’, ‘’délibérative’’ et ‘’participative’’ de la démocratie au Sénégal. C’est ce que révèle le 1er rapport de monitoring de l’autocratisation en Afrique de l’Ouest, rendu public par l’Open Society Initiative for West Africa (Osiwa).

 

En 2020, le Sénégal a obtenu le 3e meilleur score de l’Indice de démocratie libérale (IDL) de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). D’après le 1er rapport de monitoring de l’autocratisation en Afrique de l’Ouest rendu public par l’Open Society Initiative for West Africa (Osiwa), c’est le seul pays de la région dont le score IDL s’est amélioré de manière constante depuis l’indépendance. Le document relève que le pays obtient généralement de ‘’bons résultats’’ dans les composantes ‘’électorale’’, ‘’libérale’’, ‘’délibérative’’ et ‘’égalité’’ de la démocratie, mais les scores des composantes ‘’libérale’’ et ‘’délibérative’’ ont ‘’baissé depuis 2012’’.

‘’Le Sénégal dispose d’un environnement participatif solide pour les partis politiques, la société civile et les médias. Ces dernières années cependant, des actions gouvernementales ont menacé cet environnement. Le score IDL 2020 du Sénégal est de 0,58, soit le 3e le plus élevé de la région CEDEAO. (…) En outre, le score du Sénégal sur l’indicateur d’élections libres et transparentes est considérablement plus élevé que celui de la plupart des pays de la région. Pourtant, l’achat de votes et la violence électorale constituent des obstacles à la qualité des élections au Sénégal’’, rapporte notre source.

Avec ses engagements forts en faveur du dialogue politique et des Droits de l’homme, le rapport indique que le Sénégal obtient généralement de bons résultats dans les composantes ‘’libérale’’ et ‘’délibérative’’ de la démocratie. ‘’Depuis 2012, cependant, les scores du pays sur ces composantes ont baissé, en particulier dans les domaines des contraintes législatives et judiciaires sur l’Exécutif et de la consultation de gouvernement avec les groupes civiques, sociaux et politiques. L’utilisation présumée par le président Macky Sall des institutions judiciaires et des forces de l’ordre pour arrêter les opposants et affaiblir l’opposition, a été particulièrement préjudiciable à l’environnement démocratique du Sénégal’’, lit-on dans le rapport.

Il ressort aussi de ce monitoring que les scores du Sénégal sur la composante ‘’participative’’ sont ‘’faibles’’. ‘’Bien que la participation de la société civile soit forte, le choix des citoyens, lors des élections locales, sont souvent détournés pour des compromis politiques facilités par la nature du mode de scrutin.  Bien que le Sénégal obtienne en général de bons résultats dans les indicateurs de liberté d’expression, le rôle des médias dans la démocratie reste controversé. Depuis 2012, certains propriétaires de presse privée sont devenus à la fois puissants entrepreneurs et des acteurs politiques. Ces tendances soulignent l’utilisation des médias à des fins de propagande politique, plutôt que pour des reportages politiques objectifs’’, souligne le document.

L’Afrique de l’Ouest se porte ‘’relativement bien’’ en matière de démocratie

De manière plus globale au niveau sous-régionale, le responsable du Programme de gouvernance politique à Osiwa a fait savoir qu’il y a trois grandes tendances qui ressortent du rapport. ‘’La première, c’est qu’au fond, lorsqu’on compare l’Afrique de l’Ouest, que ce soit aux autres régions de l’Afrique, elle se porte relativement bien en matière de démocratie. C’est d’ailleurs la région qui se porte le mieux en matière de démocratie libérale. Lorsqu’on compare l’Afrique de l’Ouest aux autres régions du monde, à savoir l’Amérique latine, l’Amérique du Nord, de l’Europe de l’Est, de l’Asie, etc., elle se porte également assez bien. Nous rencontrons des difficultés, mais nous nous portons relativement bien’’, précise Mathias Hounkpe qui est par ailleurs politologue.

La deuxième leçon qu’il faut en tirer, selon M. Hounkpe, c’est que depuis 1990, il y a une progression de la démocratie en Afrique de l’Ouest, jusqu’en 2017. Et depuis 2017, la démocratie est en déclin. ‘’La particularité de l’Afrique de l’Ouest est que le déclin est plus rapide que dans les autres régions du monde. La troisième leçon, c’est que dans la sous-région, les pays qui ont été toujours considérés comme des modèles de succès de démocratisation, le Bénin, le Sénégal, le Cap-Vert, le Ghana, sont en train de rencontrer des difficultés. C’est un signe d’alerte qu’il faut prendre au sérieux’’, prévient le politologue.

Toutefois, pour un des assistants de recherche sur le projet de monitoring de l’autocratisation en Afrique de l’Ouest, ce document est un ‘’point de départ’’. ‘’Parce qu’il présente un profil de nos Etats en matière de démocratie et d’autocratisation. Quand on regarde la tendance sur les deux ou trois dernières décennies, on voit que chaque pays sort avec un profil spécifique. Même s’il y a des similarités par endroits. Ce que nous avons constaté est que certains pays ont baissé vis-à-vis des spécificités qui caractérisent leur démocratie. D’autres pays sont restés constants vis-à-vis des prouesses qu’ils font. Le Ghana est resté le deuxième pays le plus fort, en matière de démocratie libérale, après le Cap-Vert, avec un score de 0,61. Mais quand on regarde les composantes qui la constituent, nous avons un léger recul par rapport à ce qu’elle a été au cours des derniers quinquennats. Ces aspects sont interpellant’’, renchérit Romaric Samsom.

A travers ces constats, M. Samsom a suggéré trois recommandations pour renforcer ce qui a été déjà fait. La première, c’est d’apprécier au mieux le rôle que les différents acteurs, notamment les jeunes et les femmes, continuent de jouer dans les processus de démocratisation. ‘’Il faut des données sur le genre qui se lient aux différents profils déjà identifiés. Le deuxième niveau de recommandation concerne le rôle de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest. Elle a la meilleure performance que les autres regroupements régionaux de l’Afrique. Toutefois, il mérite que la CEDEAO soit informée de ce profil que nous avions identifié, pour leur permettre aussi de mesurer les efforts qu’ils ont faits et de voir leur rôle par rapport aux différentes tendances’’, préconise-t-il.

Le troisième point concerne, d’après ce chercheur ghanéen, la reddition des comptes. ‘’Il faut que les citoyens de chaque pays soient informés et soient au courant de l’ensemble des institutions que l’on met en place pour renforcer la démocratie et de savoir quels avantages elles ont et à quel niveau elles peuvent être pénalisées par une institution ou une autre, au regard des priorités et avantages qu’elles donnent aux citoyens. En mettant en synergie ces trois recommandations, on peut continuer à consolider les acquis qu’on a eus dans certains pays ou trouver des pistes pour renforcer le processus dans certains pays’’, dit Romaric Samsom.

Ne pouvant pas parler de démocratie tout en ignorant les challenges sécurités au niveau de la sous-région, M. Samsom reconnait que les questions sécuritaires concernent des défis primaires pour la plupart des pays tels que le Burkina, le Mali, la Guinée, etc. ‘’Mais le rapport que nous avons étudié n’est pas allé en profondeur sur le sujet. Nous avons fait une étude purement descriptive pour présenter des indices. Maintenant, ce qui est important, c’est de faire une analyse contextuelle pour apprécier le rôle des défis sécuritaires, au regard de ce que nous avions observé. Donc, des études approfondies vont être faites’’, informe-t-il. 

MARIAMA DIEME

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