Publié le 17 Jun 2021 - 04:45
RESSOURCES SOUVERAINES DE L’ETAT

La bouée de sauvetage

 

Même s’il n’a pas les coudées franches sur les marchés financés avec le concours des bailleurs internationaux, l’Etat pourrait utiliser les milliards issus des contribuables sénégalais pour doper son secteur privé, à l’instar de tous les pays. Mais ces fonds servent plus à enrichir certaines catégories qu’à développer l’économie.

 

Si les privés nationaux ont généralement des problèmes relativement aux marchés financés sur la base de prêts extérieurs, ils sont souvent privilégiés dans les marchés financés sur ressources souveraines de l’Etat. Lamine Ba de l’Apix explique : ‘’En vérité, pour ce qui est des marchés financés avec les ressources souveraines de l’Etat, ils sont essentiellement exécutés par les entreprises locales. Et c’est une manne qu’il ne faut pas négliger. Par exemple, rien que les dépenses pour le fonctionnement de l’Etat, c’est entre 600 et 900 milliards F CFA. L’essentiel de ces marchés revient au privé national. C’est grâce à cela que de grands groupes comme Umu sont nés dans ce pays. Ça aussi, il ne faut pas l’occulter’’.

Et d’ajouter : ‘’Il faut admettre que si le Sénégal promeut la préférence nationale dans les marchés financés avec les impôts des Sénégalais, il faut concéder aux autres le même droit. Au mieux, l’Etat négocie l’ouverture de tels marchés aux Sénégalais. Mais ils compétissent au même titre que les autres. C’est ce qu’on est en train de négocier avec la Chine également. C’est tout ce qu’on peut avoir.’’

Pour lui, le débat est plus ailleurs. C’est, d’abord, la mise en place d’un système de notation des entreprises. Ensuite, de voir les moyens de booster la production nationale. Appelant de tous ses vœux la mise en place de la Caisse des marchés publics, filiale de la CDC, il insiste : ‘’Il faut que l’on sache qui est qui parmi ces entreprises. Pour ce faire, il faut un système de notation, un comité qui, chaque année, reclasse les entreprises dans le secteur des BTP. Ce classement va permettre de montrer les marchés des uns et des autres, les temps de livraison, la qualité… Ont-ils été cités dans des problèmes de conflit d’intérêt… Nous devons aller dans ce sens. Cela permettrait d’avoir plus de lisibilité.’’

Selon M. Ba, il faudrait surtout miser sur la production nationale, car, estime-t-il, il ne sert à rien de donner des marchés à des locaux qui ne vont faire que dans l’importation pour fructifier leurs revenus. ‘’On parle beaucoup, ces temps-ci, du marché des tenues. Il faut savoir que ce n’est pas une première. Il y a dix ans, le Sénégal avait pris des mesures comme ça. C’était l’une des premières mesures de la stratégie de croissance accélérée. Mais à l’arrivée, ceux qui étaient dépositaires de ces marchés sont partis à Dubaï, en Chine, pour acheter ces tenues. Finalement, l’objectif n’a pas été atteint’’.

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AFFAIRE ECOTRA

Un casse-tête pour l’ARMP et l’Administration

Ce n’est pas fréquent. Mais dans l’affaire Ecotra, la Cour suprême semble s’être érigée en garant de l’intérêt des entreprises sénégalaises. Sa décision surprenante ne manquera pas de faire l’objet de commentaires dans certains milieux des affaires. Annulant la décision du CRD, elle relance le débat autour de ce marché que l’on croyait définitivement clos.

La question qui se pose est surtout de savoir qu’advient-il du marché. Les réponses des spécialistes divergent. Selon ce magistrat, si l’on suit les principes généraux du droit, tout devrait être remis à plat. ‘’On doit revenir à la situation ante, comme si la décision n’avait jamais été prise. C’est ce que prévoient les principes généraux du droit. Maintenant, il faudra voir s’il y a des dispositions spécifiques qui prennent en charge cette question en matière de marché public. Je ne suis pas très au fait de la législation en la matière’’, confie-t-il.

Chez les avocats d’Ecotra, c’est l’omerta. Ni Maitre El Hadj Diouf ni son collègue Aly Fall n’ont donné suite à nos interpellations. Mais selon ce responsable de l’Administration, il serait peu probable de revenir sur la décision d’attribution.

‘’Si je ne m’abuse, l’entreprise chinoise avait même commencé à se déployer sur le terrain. Il faut vérifier, mais je pense bien que les machines avaient commencé à être acheminées sur place’’, rapporte le spécialiste.

En fait, le recours devant la Cour suprême n’étant pas suspensif, il est fort probable que le contractant ait commencé à se déployer. Par ailleurs, il faut relever que les populations des 24 villages concernés n’ont eu de cesse de ruer dans les brancards pour réclamer le démarrage des travaux lancés en grande pompe par le président de la République, à quelques mois de la Présidentielle de 2019, plus précisément en octobre 2018.

Selon nos interlocuteurs, la voie du règlement amiable serait plus probable. Mais quel en serait le coût pour les finances publiques ? Rien n’est encore clair. Nos tentatives de joindre l’Ageroute et la Bad sont aussi restées vaines.

Pour rappel, la boucle des Kalounayes est un linéaire de 52 km qui va désenclaver les zones rurales à fort potentiel agricole et assurer en même temps la circulation des personnes et des biens. Les travaux intègrent également l'aménagement de 95 km de pistes.

Quelques chiffres de la disparité

Dans le dernier rapport de l’Autorité de régulation des marchés publics (ARMP) 2018-2019, les indicateurs suivants ont été relevés à propos des marchés publics. ‘’Au total, 1 407 plans de passation de marchés (PPM) ont été reçus pour les deux années et publiés dans le portail officiel des marchés publics www.marchespublics.sn, pour un total prévisionnel de 52 984 marchés et un budget estimatif de 5 891,261 milliards de francs CFA’’, lit-on dans le rapport.

Il résulte des chiffres de l’ARMP une prédominance en nombre des marchés de fournitures, de services courants et de prestations intellectuelles. Lesquels représentaient près de 87 % du nombre total de marchés prévus.

Terrain de prédilection des privés nationaux, ces marchés, quoique très importants en nombre, sont très peu significatifs en valeur. D’après l’organe de régulation, ils représentent 22 %. Au même moment, les marchés de travaux projetés pour seulement 13 % du nombre de marchés, utiliseraient près de 78 % des montants estimatifs. Généralement, sur ces marchés, les nationaux n’y voient que du feu.

Par ailleurs, lit-on dans le document, ‘’sur les périodes considérées (2018-2019) 90 % du nombre de marchés programmés par les autorités contractantes sont prévus en procédure de DRP (toutes formes confondues : simple, restreinte et ouverte) pour une valeur d’environ 7 % du total des marchés projetés. Par contre, 9 % du nombre des marchés à lancer prévoient la procédure de l’appel d’offres qui représentent 92 % du montant total des marchés estimatifs. En 2018 et en 2019, le nombre de marchés immatriculés s’élève à 6 543 marchés pour un montant cumulé de 2 860 204 828 104 F CFA’’.

Mor AMAR

 

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