Publié le 21 Dec 2018 - 20:12
SIGNATURE DU PACTE MONDIAL AU MAROC SUR L'IMMIGRATION

Exiger tous les engagements soient contraignants !

 

L’émigration internationale est considérée comme un moyen de lutte contre la pauvreté et un gage de sécurité sociale pour les populations demeurant au pays.

Ces dernières bénéficient amplement des retombées économiques de l’émigration.

Ainsi, les montants des transferts de fonds de ces expatriés vers leur pays d’origine ont bondi de 51% − passant de 296 milliards de dollars en 2007 à 445 milliards en 2016 , soit une hausse moyenne annuelle de 4,2%.

Parmi ces 445 milliards de dollars,  seuls 13% ont été envoyés à destination de l’Afrique.

À l’échelle mondiale, l’ensemble des ressortissants à l’étranger cumulent annuellement des rémunérations de 3 000 milliards de dollars dont 15% seulement sont envoyés en direction de leur pays d’origine, et  le reste, allant dans les pays de résidence.

 Donc, malgré les mythes tenaces qui présentent les " émigrés comme des parasites sociaux" qui vivent au dépends des peuples des pays d'accueil, 85%de leurs revenus contribuent directement, à la richesse des pays d'accueil.

L’Afrique a reçu 60,5 milliards de dollars en 2016 de la part de la part de ses ressortissants établis à l’étranger, contre 44,3 milliards en 2007, soit une hausse de 36%, selon toujours le rapport du Fida, contre une moyenne mondiale de hausse de 51% !.

 Ainsi, le continent est troisième en termes de montant reçu, derrière l’Asie-Pacifique donc, mais aussi l’Amérique latine.

Plus de la moitié de l’argent perçu sur le continent par les familles de migrants,  est destinée à la satisfaction des besoins primaires tels que l’alimentation, le logement ou l’habillement.

Ces fonds qui « sortent » des pays d’accueil au niveau mondial  n'est que l'équivalent à 0,7% du PIB des pays occidentaux, sur lesquels 9% sont prélevéspar les entreprises de transferts d'argent pour frais d'envoi vers les pays émetteurs de migrants.

Cependant, pour les pays émetteurs du monde , ces transferts qui constituent  en moyenne de 3% du PIB, sont d'autant plus importants pour les pays africains, dont pour six d’entre eux, ils représentent plus de 10% de leur PIB, notamment pour le Sénégal, où c'est 14% du PIB en 2015.

Au second trimestre de  2018,  les transferts  venant d'Europe,  reçus au Sénégal, ont constitué  65,2% du total, loin devant ceux venant de l'Afrique de l'Ouest avec 19,8% , ou des USA, avec 5,7%.

pour le Sénégal,  en matière de  migration l'Europe constitue  une importance économique  capitale.

La migration est donc  un " moyen de coopération gagnant-gagnant" entre pays émetteurs et pays  récepteurs, qu'il est nécessaire d'entretenir dans uncadre multilatéral,  pour réduire significativement les frais de transferts des migrants vers leurs pays d'origine, et de  veiller  sur leur sécurité et leurs droits économiques et sociaux.

Cependant,  la migration a connu  de graves problèmes  ces dix dernières années qui est dû :

- à  l'aggravation de la crise économique dans les Pays de l'UE, confrontés à des niveaux de chômage de 9% comme en France, et d'endettement devenu insupportable pour nombre de ces pays, qui pose la question de l'emploi et des services publics au cœur d'un crise politique qui fait le lit à l'extrême Droite,

- aux guerres impérialistes au Moyen Orient (Syrie, Afganistan, Irak), et en Afrique subsaharienne qui ont accentué l'immigration de ces populations en direction de l' Europe,

- aux conséquences de la crise économique et politique qui sévit en Amérique Latine qui a fait exploser la migration vers les Etats Unis.  

Ce sont tous ces facteurs qui on  fait qu'en 10 ans,  de 2007 à 2016, le nombre de personnes résidant en-dehors de leur pays a augmenté de 28%, selon le FIDA.

  En 2017, la planète comptait 258 millions de personnes migrantes, dont 68 millions de personnes déplacées de force et reconnues comme réfugiées par les institutions internationales.

Les deux-tiers de ces réfugiés proviennent de cinq pays en situation de guerre : la Syrie, l’Afghanistan, le Sud Soudan, le Myanmar (Birmanie) et la Somalie.

Parmi les dix pays qui en hébergent le plus, un seul est européen , l’Allemagnequi est  en sixième position derrière la Turquiele Pakistanl’Ougandale Liban et l’Iran.

En Europe, selon  Frontex ,  les arrivées, qualifiés  " d'illégaux" , ont atteint 1,8 millions de personnes en 2015,  500.000  en 2016, 250.000 en  2017, et90.000 en août  2018.

Dans ce contexte, l' Allemagne qui avait  accueilli 1,1 million de migrants en 2015,  en  avait accordé  l'asile à près de 150.000 étrangers, puis  à 445.000 étrangers  en 2016, jetant ce pays dans une grave crise interne de sa politique migratoire, qui a fait le lit à l'extrême droite, jusqu'à faire perdre au pouvoir son poids politique à l'issu des récentes élections régionales.

 En outre,  à partir de  l'Allemagne,  des migrants  sont allés dans des pays limitrophes comme la Francela Belgique ou les Pays-Bas, faisant ainsi de ce pays, un pays "émetteur de migrants",  qui  s'ajouter  aux migrants venus directement dans ces pays.

Ce nouveau rôle de l'Allemagne, a donné  ainsi naissance à une nouvelle crise, celle de la "migration secondaire".

 C'est ainsi qu'en 2017, l'Allemagne compte 156.700 étrangers irréguliers, la France, 115.085, la Grande Bretagne, 54.910, l'Espagne,  44.000, et l'Italie, 36.230.

Cette situation nouvelle a  ouvert un nouveau front de lutte contre l'immigration illégale au sein même de l'UE, qui met à rude épreuve  la pertinence des Accords de Schengen sur la libre circulation à l'intérieur de ses  frontières, qui est  exploité  par, le populisme, la droite et l'extrême Droite,  dans ces pays.

C'est de cette manière que le besoin d'embarquer les pays  extra-européens,émetteurs  de migrants, notamment  africains, dans une stratégie de rapatriement massif de leurs ressortissants,  s'est  imposé comme  un impératif  de paix civile et de stabilité dans les pays récepteurs d'Europe, notamment en  Allemagne, en  France , et en Grande Bretagne, et dans une moindre mesure, en Espagne et en Italie, à cause de la montée de l'extrême Droite  qui ébranle les fondements  mêmes des pouvoirs en place.

 C’est pour cela que l'Allemagne et la France, avec l'appui de leurs partenaires de l'U E,  ont porté ce besoin au sein des Nations Unies, pour obtenir une coopération multilatérale de gestion de la crise de l'immigration.

Mais, cette initiative s'est heurtée  à la remise en cause  du multilatéralisme par les Etats Unis sous Trump, même si elle rencontre le soutien des GAFA et des organisations de Défense des Droits humains,  dont le crédo est,  la libre circulation des personnes et des biens.

C'est dans ces conditions,  que le  projet de  «Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières»,   sous la houlette du SG de l'ONU, doit être adopté les 10 et 11 décembre au Maroc par les Etats membres.

 Le Pacte mondial réaffirme le droit souverain des États à déterminer leur politique nationale en matière d'immigration, et leur prérogative de régir l'immigration au sein de sa sphère de compétence nationale. C'est pourquoi il est " Non contraignant". Cela signifie, que «les États conservent un pouvoir souverain de décider quels non-ressortissants sont admis à entrer et à rester sur leur territoire.

Mais le Pacte comporte de nombreux autres aspects, qui tendent àencourager l'immigration plutôt qu'à la contrôler, et qui sont exploités par ses opposants dans la bataille d'opinions sur la question.

 C’est ainsi qu’avec l'objectif 5 du Pacte, les signataires s'engagent à  aménager des options et des filières de migration régulière, accessibles et plus souples, «pour faciliter la mobilité de la main-d’œuvre», et  fait obligation aux États,d'organiser le «regroupement familial» et de fournir aux migrants les mêmes droits à la «sécurité sociale et aux services sociaux»  que les natifs du pays d'accueil, à  la satisfaction des pays émetteurs de migrants, dont l'adhésion est nécessaire pour un accord mondial.

L’objectif est simple,  et clairement affiché : « Créer des conditions favorables qui permettent à tous les migrants d’enrichir les  sociétés d'accueil, grâce à leurs capacités humaines, économiques et sociales ». 

En outre, les signataires du Pacte " réaffirment  l’engagement à éliminer toutes les formes de discrimination, dont le racisme, la xénophobie et l’intolérance à l’encontre des migrants et de leur familles », de «condamner et contrer» les actes de racisme, de discrimination ou encore d'intolérance envers les migrants, par la voie judiciaire,  mais aussi un exerçant un contrôle de l'information.

Il est ainsi de leur responsabilité de promouvoir une «information indépendante, objective et de qualité, y compris sur Internet», en instituant des normes déontologiques pour le journalisme et la publicité, et en cessant d’allouer des fonds publics aux médias qui propagent l’intolérance, la xénophobie, le racisme et les autres formes de discrimination envers les migrants, dans le « respect de la liberté de la Presse ».  Et cela, à la satisfaction des ONG de Défense des Droits Humains, dont le soutien est nécessaire pour rendre crédible ce Pacte.

Et pour satisfaire les GAFA et autres adeptes de la mondialisation capitaliste libérale, le marché du travail se doit de promouvoir «la pleine participation des travailleurs migrants à l’économie formelle», comme le précise l'objectif 18,  qui stipule,  que les Etats  signataires sont appelés à trouver des solutions pour «faciliter la reconnaissance mutuelle des qualifications et compétences des travailleurs migrants».

Ce  sont ces dispositions dans le Pacte, qui sont perçues par certains Etats,  comme un  « appel d'air » à l'immigration, et qui motive leur  mobilisation contre son adoption, au Maroc,  les  19 et 11 Décembre 2018.

Ainsi, huit pays occidentaux ont rejoint les Etats-Unis dans le rejet de ce Pacte, et  la Suisse est au bord de l'implosion, du fait de la ferme opposition des nationalistes qui sont membres de la coalition gouvernementale.

 Donc, pour mieux saisir les enjeux de ce Pacte, il faudrait prendre en compte le contexte mondial où s'affrontent,  pour le contrôle du pouvoir aux Etats Unis,  d'une part, les forces liées à la mondialisation libérale, pilotée par les Multinationales du Digital, les GAFA notamment, qui voient dans la libre migration en direction de leurs pays, une nouvelle source de main d'oeuvre  qualifiée à exploiter, dont elles n'ont pas supporté le coût de la formation, et, d'autre part,  les «  forces souverainistes , anti immigration  et anti mondialiste libérale»,  qui sont  liées aux Multinationales des énergies fossiles, et du charbon,  à la tête desquelles se trouve  Donald Trump . 

 Cependant, pour les pays émetteurs de migrants comme les nôtres, dans ce  Pacte, il leur  est fait  « l'obligation »,   de " rapatrier leurs ressortissants qui n'ont pas bénéficié de droit d'asile »,  au moment même, où les principaux pays européens, notamment l'Allemagne et la France, ont beaucoup de difficultés pour rapatrier leurs " clandestins".

Ainsi, dans ce Pacte, les engagements pris par les pays récepteurs ne sont pas  « contraignants, alors que le seul engagement que prendront les pays émetteurs sera une « obligation », donc, «  contraignant » !

Jusqu’ici, les Etats des pays émetteurs sont récalcitrants à tout projet de rapatriement massif de leurs émigrés, et évoquent plutôt le respect de leurs Droits humains et sociaux dans les pays récepteurs.

 Cela montre que  les engagements alléchants faits vis-à-vis des émigrés, qui ne sont pas « contraignants» pour calmer le mécontentement qu’ils vont susciter dans l’opinion publique des pays récepteurs,  ne sont  donc pas  « d'ordre humanitaire », mais  relèvent plutôt d’un stratagème visant à  obtenir l’adhésion des pays émetteurs à ce Pacte,  qui les  oblige  à rapatrier leurs ressortissants

Le Pacte est donc une réponse subtile  de " politique intérieure" sur la question migratoire dans les pays récepteurs, notamment d’Europe, et en particuliers pour l’Allemagne et la France.

Avec ce Pacte, les pays récepteurs exploitent le désir de fuir la violence, et  d'accéder à une vie meilleure, des populations des pays émetteurs de migrants, dans l’objectif inavoué d’avoir une légalité internationale pour pouvoir  les maintenir  dans leurs pays d’origine, en accord avec l’adhésion de leurs gouvernements!

 En effet, si les pays récepteurs du monde entier  ont, en 2017 autant de problèmes avec 258 millions de personnes migrantes, dont 68 millionspersonnes déplacées de force et reconnues comme réfugiées par les institutions internationales, qu’adviendra t- il pour l’Europe, dans les 20 prochaines années, lorsque, rien  qu’en Afrique, 450 millions de Jeunesrentreront dans le marché du travail ?

C’est ce cauchemar qui empêche de dormir, les dirigeants actuels de l’Europe,  et a motivé le projet Allemand de « Plan Marshall pour l’Afrique », qui peine de recevoir l’adhésion même  des autres pays de  l’U.E.

L’Europe a conscience qu’elle court le risque de connaître la situation explosive que vivent actuellement les Etats, qui sont  entrain de recevoir en pleine figure, comme un boomerang, les conséquences économiques et sociales de leur politique de spoliation des richesses en pétrole et gaz des pays d’Amérique Latine, et l’énorme évasion fiscale que leurs Multinationales ont fait subir l’Economie de ces pays.

Les Etats Unis sont, aujourd’hui,  assiégés à leur frontière avec le Mexique,par une marée d’émigrants jamais vue dans l’histoire,  chassés de leurs pays par le chômage, la vie chère et les violences.

Le drame humain qui se déroule à leur porte,  est l’illustration la plus spectaculaire de l’échec du Capitalisme libéral qu’ils ont imposé au monde entier, comme unique perspective d’avenir du monde.

Donc, en  signant ce Pacte de 23 objectifs,  sans rendre «non contraignant » l’engagement de rapatrier leurs émigrés, les pays africains, vont perdre les transferts dont ils bénéficient, et qui sont sans commune mesure avec « l’Aide Publique au Développement » (APD) qu’ils reçoivent des pays récepteurs de migrants, tout en permettant aux Multinationales  du DIGITAL, de capter à leur profit, chez euxles meilleures ressources humaines du Continent,  en plus d’avoir  renoncé à mettre en valeur ses énergies fossiles pour  se développer et satisfaire son marché de travail, du fait de son engagement dans la COP21

Les mesures d’accompagnement, qui, aussi,  ne sont pas « contraignantes »,  promises à nos pays d’Afrique pour s’adapter aux exigences du développement d’énergie propre, et atténuer les conséquences, économiques et sociales des changements climatiques, de leur engagement dans la COP21, n’ont pas porté les « fleurs » attendues !

Ainsi, l’Afrique, quoi que Continent le moins pollueur du Monde, qui  a pris l’engagement de le sauver, à ses frais en adhérant à la COP21,  ne devrait pas, les 11 et 12 Décembre au Maroc,  adhérer à ce « Pacte mondial », sans que toutes  ses dispositions ne soient obligatoires pour tous, et que des sanctions, en cas de manquement aux engagements, ne soient retenues.

L’Afrique ne devrait pas accepter de payer à ses frais,  les solutions  de sortie de la crise des émigrés des pays d’Europe, ni renoncer à la défense des Droits Humains et Sociaux de ses ressortissants dans les pays récepteurs.

La Commission de l’Union Africaine est interpellée pour faire éviter à nos Etats, une nouvelle descente aux enfers du sous-développement, de la dépendance, et de la misère.

                         Ibrahima SENE   PIT/SENEGAL

                               Dakar le 7 Décembre 2018

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