‘’Je me suis battue pour arriver là où je suis maintenant''
Soukeyna Ndiaye est une mère de famille qui vit, depuis 14 ans, avec le Vih/sida. Grâce à son courage, sa charge virale est devenue indétectable. Actuelle présidente du Réseau national des populations vivant avec le Vih (Rnp), son objectif, aujourd’hui, est de combattre la maladie. Ce, pour qu’aucun enfant ne naisse ou ne meurt du sida. A l’occasion de la Journée mondiale de lutte contre cette pandémie, coïncidant avec le lancement de la compagne de mobilisation pour la prise en charge des enfants victimes, ‘’EnQuête’’ a recueilli son témoignage.
Mariée pour la première fois l'âge de 16 ans, en 1998, et mère de 7 enfants, Soukeyna Ndiaye vit avec le Vih depuis 2005. Aujourd'hui âgée de 43 ans, cette habitante de Guinguinéo, dans la région de Kaolack, éduque seule ses enfants, loin de son mari arraché à leur affection par la mort. Elle filait le parfait amour avec son défunt mari, jusqu'à ce 18e jour, après avoir accouché de son fils cadet.
''J'étais à mon 6e accouchement et à mon 7e enfant, parce que j'ai eu des jumeaux (…). Un jour, pendant la nuit, mon mari me dit de l'accompagner le lendemain à l’hôpital, avec l'enfant. Il ajoute que c'est pour notre bien-être. J'étais au 17e jour de mon accouchement'', raconte Mme Ndiaye.
Le lendemain, ils partent pour la consultation. Le mari a déjà discuté avec le médecin, lui demandant de faire faire à sa femme un test de dépistage. Lorsque les résultats sortent, Soukeyna voit le ciel lui tomber sur la tête. Son mari lui a transmis le virus du sida. ''J'avais vraiment mal. J'en voulais à mort à mon mari. Ce qui m'a fait le plus mal, c'est que ma belle-famille était au courant de sa séropositivité. Et c'est à cause des menaces de son ami et homonyme de mon fils qu'il a accepté de me faire faire le test'', continue d'une voix calme Soukeyna.
La pilule était difficile à avaler. L'objectif principal de Soukeyna Ndiaye était de protéger vite son bébé pour le sauver, car elle allaitait au sein. ‘’Dix-huit mois plus tard, je vivais une psychose dans l'espoir de ne pas contaminer mon enfant. Dieu merci, il a été négatif’’. Son époux lui avait caché sa maladie, deux années durant. En s'en ouvrant à son ami, il avait menacé de se suicider, si ce dernier rapportait la nouvelle à sa femme.
''Le jour de mon accouchement, poursuit-elle, quand mes belles-sœurs sont venues me rendre visite à l’hôpital, j'ai vu qu'elles passaient tout leur temps à pleurer, alors que je n'avais eu aucun problème. J'ai commencé à me rappeler beaucoup de choses''. Finalement, son mari est décédé le jour où son fils a eu 6 mois, en 2006, à cause de la souffrance et de la tristesse que lui a infligées sa famille.
Sa charge virale est devenue indétectable
Le courage en bandoulière, Soukeyna ne s’est pas laissé abattre par la maladie. Elle a intégré l'Association de personnes vivant avec le Vih dont était membre son défunt mari. Aujourd'hui, avec le soutien de sa famille, elle arrive à vivre aisément sa séropositivité. ‘’Ma charge virale est devenue indétectable. Cela veut dire que le virus n’est plus visible dans mon sang. Cela s’est réalisé, grâce à mes traitements que j’ai bien suivis. Je continue d’avancer dans la vie et je suis très heureuse’’, explique-t-elle d’une voix enjouée. Elle est devenue conseillère et médiatrice sur la prise en charge des personnes vivant avec le Vih (Pvvih) au niveau du district sanitaire de Guinguinéo, grâce à son dévouement dans la lutte contre la pandémie. ‘’Je participe à la prise en charge des Pvvih, à la distribution des aliments, des Arv et des Io (les médicaments contre les infections opportunistes)’’, narre-t-elle.
Quand son mari est décédé, elle a refusé de croiser les bras et de pleurer sur son sort. ‘’J'ai cru en Dieu et je suis allée voir l'ami de mon mari, pour lui faire comprendre que je n'allais pas accepter que ma belle-famille me fasse subir ce qu'elle a fait à son fils. Je me suis battue pour arriver là où je suis maintenant'', déclare fièrement la dame, qui reconnaît que c'est difficile de vivre avec le Vih. Le fait que son enfant fut déclaré négatif a été un soulagement pour elle, mais aussi un début d'engagement pour aider la communauté afin qu'aucun enfant ne naisse avec le virus.
Dans l'accompagnement et l'engagement dont elle faisait montre, elle a réuni les membres fondateurs de l'association et a décidé de dépister leurs enfants. Ce jour-là, 3 des enfants dépistés étaient positifs. ‘’Les mamans dont les enfants ont été dépistés positifs et ma famille, nous nous soutenions moralement pour sauver ces petits anges. Ils étaient devant nous souriant et ignorant le poids de la vie qui tombait sur eux. L'association dont je suis la présidente aujourd’hui est partie à la recherche de financement pour leur venir en aide. Malheureusement, un d'entre eux nous a abandonnés en cours de route. Faute de moyens, son papa était obligé de ramener la famille au village où les conditions de vie étaient difficiles pour eux et où la nourriture adaptée à l'enfant faisait défaut’’, raconte-t-elle.
‘’Je n’ai pas besoin de pitié’’
Devant une immense assemblée, tendant l’oreille et fixant les yeux sur cette brave dame, elle précise : ‘’Si je vous dis cela, ce n'est pas pour jouer avec vos émotions ou remuer des souvenirs forts douloureux en moi. Ce n’est pas non plus pour susciter votre pitié. Je pense que je n'en ai pas besoin. Je vous dis cela pour deux raisons essentielles. La première raison est que la question du sida chez l'enfant a été confinée à l'arrière-plan pendant de longues années. Car des centaines, voire des milliers d'enfants sont morts et meurent encore chaque jour depuis l'introduction des antirétroviraux. D’autres sont infectés chaque année, à l'heure où la science et la technologie permettent de limiter considérablement la transmission du Vih de la mère à l'enfant.’’
La deuxième raison est qu’elle est une mère qui oserait tout faire pour protéger son enfant de l'infection à Vih. Une mère qui n'a pas cette chance, mais qui connait le désir d'enfanter quand on est séropositive. ‘’Ma rage de vivre et mon combat m’ont permis de rester vivante et de profiter des progrès scientifiques, grâce aux antirétroviraux. Aujourd'hui, grâce à la science et à la technologie, il est possible, pour les femmes séropositives, d'avoir des enfants et de les protéger contre l'infection à Vih/sida. Malheureusement, beaucoup de femmes ne pourront pas profiter de ces avancées, puisqu'elles ne pourront plus donner la vie. Durant ces années, j'ai vécu une véritable mutilation, comme pour vous en donner une idée. Cela fait plus de 8 ans que j'ai révélé mon statut de séropositive. Mais c'est seulement ce matin que j'ai décidé d'en parler en public’’.
‘’Il n’est pas nécessaire de sortir des millions pour changer la vie d’un enfant’’
Soukeyna Ndiaye a fait du chemin. Ce qui l'a rendue plus forte. Durant ces années de lutte contre le sida, explique-t-elle, elle rendait souvent visite à des malades du sida au district de Guinguinéo. ‘’Je supportais tant bien que mal de voir des adultes souffrir. Mais je ne supportais pas de voir la vie d'un enfant souffrant. Cela me fait revivre la longue et douloureuse agonie de l'enfant de ma collègue. Maintenant, il y a de l'espoir pour les enfants qui ont besoin de traitements antirétroviraux. Aujourd'hui, grâce à cette campagne du Cnls, les 2 000 enfants suivis au Sénégal pourront avoir le transport pour venir à l'école, prendre le petit-déjeuner, une fois au centre de santé, repartir avec un kit alimentaire qui leur permettra de renforcer leurs besoins nutritionnels et pourront grandir normalement’’.
Elle souligne que l'expérience lui a démontré qu'il n'est pas nécessaire de sortir des millions pour changer la vie d'un enfant. Il suffit juste de la volonté. Car le premier concerné de la problématique sida-enfant, c'est l'accès aux antirétroviraux pour les enfants. Donc, il urge qu’une recherche résolue et centrée soit faite pour régler toutes ces questions. Le deuxième aspect, souligne Mme Ndiaye, c'est la mise en place de services d'appui psychosocial et de nutrition pour les enfants. ‘’Les besoins des enfants séropositifs sont complexes et multiformes, et se présentent comme un tout. Nous vous invitons à considérer la problématique dans toute sa complexité, chez les enfants comme chez les adultes’’, sollicite-t-elle.
Aux Médecins, chercheurs, décideurs, activistes, associations, elle précise qu’ils ont la responsabilité morale de travailler pour rendre le sourire aux enfants de ce pays.
VIVIANE DIATTA