Publié le 15 Jul 2023 - 22:03
TOULOUSE

Ibrahim Cissoko, ça vient de la rue

 

Deuxième recrue du mercato estival toulousain, le Néerlando-Guinéen de 20 ans, dribbleur fou, possède à la fois un profil rare et une immense marge de progression. Si tout s'imbrique bien, il pourrait être un cocktail très intéressant à suivre au cours de la prochaine saison de Ligue 1.

 

La France n’avait plus vu ça depuis les années 1950 : 25°C pour un 28 avril, des thermomètres qui explosent partout dans le pays, des crânes transformés en cocotte-minute et des piscines débâchées avant même les ponts de mai. Et pour ne rien arranger, il y a eu ce drôle de mec, venu s’amuser à jouer avec du feu, au beau milieu d’un stade. La scène s’est jouée à Toulouse, sur l’île du Ramier, dans un coin du Stadium, lors d’un match de Ligue 1 opposant le Téfécé au PSG, et le coupable n’a pas fait que craquer des allumettes. Il s’est aussi éclaté à danser avec les flammes, se frayant tout d’abord un chemin entre trois piquets posés sur sa route, en crochetant ensuite un quatrième, puis un cinquième avant d’envoyer le ballon dans les filets de Mickaël Landreau, groggy. Au micro de Canal+, Guy Roux s’est alors envolé : « C’est Messi ! C’est un petit Messi ! Un petit Maradona ! » Ainsi un héros nommé Fodé Mansaré est, un jour de printemps 2007, définitivement entré dans la légende de la Ligue 1 et dans la mémoire des supporters du Toulouse FC.

Qu’ils s’accrochent bien : seize ans plus tard, un nouveau drôle de mec a posé ses valises en Haute-Garonne et s’apprête à, lui aussi, faire du feu avec des bouts de bois. Comme Mansaré, Ibrahim Cissoko fait ça depuis qu’il est gosse. Comme Mansaré, le joueur de 20 ans ne s’imagine pas faire du foot autrement qu’en créant des étincelles. Interrogé au début de sa jeune carrière, le Néerlando-Guinéen a d’ailleurs résumé son approche du jeu avec les mots suivants : « Peut-être que je prends parfois trop de risques dans mon jeu, mais je suis un footballeur de rue. Je m’inspire de Neymar, de Sadio Mané, deux joueurs que je regarde sur YouTube. J’aime bien ce genre de joueurs et je pense que mon jeu est également agréable à regarder. » Forcément enthousiasmant.

L’homme imprévisible

Difficile, en effet, de ne pas être curieux face à un tel profil, qui, cette saison, est vite venu se faire une place sur les hauteurs des tableaux statistiques d’Eredivisie. Ibrahim Cissoko n’y a pourtant disputé ses premières minutes qu’au printemps 2022 lors d’une défaite du NEC Nimègue à Utrecht et n’a été titularisé qu’à neuf reprises en 2022-2023. Cela lui a pourtant suffi pour se faire une petite réputation et attirer les regards des fourmis de la cellule de recrutement du Téfécé, qui ont fait de l’ailier leur deuxième recrue de l’été – la plus chère – après l’arrivée du milieu espagnol César Gelabert et avant celle d’un autre milieu, vénézuélien cette fois, nommé Cristian Casseres Junior. Mais pourquoi nourrit-il autant de curiosité ? D’abord, car comme il l’a dit lui-même, Cissoko est un joueur qui aimante naturellement le regard par son style spectaculaire, son football créatif, percutant, explosif. Dans une époque où la data aide à faire rapidement émerger les joueurs ayant un pouvoir majeur, il n’a pas tardé à se faire un nom dans le milieu du scouting en bouclant la saison d’Eredivisie dans la meute des meilleurs dribbleurs du championnat aux côtés d’Osame Sahraoui (Heerenveen), Mohammed Kudus (Ajax), Vaclav Černý (Twente), Javairô Dilrosun (Feyenoord) et Million Manhoef (Vitesse). Dans ce lot, Ibrahim Cissoko, adepte des passements de jambes par paquet de trois ou quatre, tourne à un peu plus de neuf dribbles tentés par 90 minutes, mais ressort surtout par son taux de réussite très élevé dans ce registre (plus de 67%). Une réussite que l’on peut expliquer par la grande imprévisibilité du bonhomme, qui, après avoir démarré, peut partir aussi bien pied gauche que rentrer pied droit.

Une énorme marge de progression

Autre question : si Cissoko est aussi précieux à la création et aussi bien classé parmi les joueurs qui font le plus avancer le ballon dans son championnat, comment expliquer qu’il a avant tout dû se contenter d’un rôle de joker au NEC ? Première réponse : le gamin de Nijmegen, également passé au cours d’une adolescence turbulente par le VVV Venlo et le Vitesse Arnhem, a eu tout au long de la saison devant lui un bon Elayis Tavsan.

Deuxième réponse : Ibrahim Cissoko possède encore une très grosse marge de progression et balade pour le moment un déficit d’efficacité dans le dernier tiers adverse avec seulement deux petits buts marqués, aucune passe décisive délivrée (il aurait pu terminer avec quelques offrandes au compteur si ses potes du secteur offensif avaient été un brin plus réalistes sur certaines situations), et pas mal de déchets dans la dernière et l’avant-dernière passe. Tout le sel de ce joueur, suivi de longue date par les équipes de Damien Comolli, est là : c’est un pari, qui s’il est bien accompagné et aiguillé, peut se transformer en très grosse prise, mais une structuration est nécessaire. Bon côté de l’affaire, il devrait avoir du temps pour s’adapter et devrait d’abord être utilisé dans un rôle finisseur de rencontres au sein d’un projet de jeu taillé au millimètre que le nouvel entraîneur du Téfécé, Carles Martinez Novell, a présenté ainsi il y a quelques jours : « Tous les coachs veulent à peu près la même chose : avoir le ballon et dominer. Les détails au mètre près sont extrêmement importants. Si on essaie d’éloigner un adversaire à trois mètres, ce n’est pas quatre, c’est trois. J’essaie de pousser chaque détail pour les joueurs. Au Barça, on parlait tout le temps du temps et de l’espace. Si on peut arriver dans les zones importantes avec plus de temps et plus d’espace, c’est encore plus positif. On doit trouver le bon temps et le bon espace, car on a des joueurs talentueux qui sauront les utiliser au mieux. »

Dans ce projet de jeu, Ibrahim Cissoko, qui a laissé entrevoir quelques bonnes pistes dans l’attaque de la profondeur, devrait, sauf surprise et même s’il peut évoluer à droite, être utilisé dans un rôle d’ailier gauche pour étirer et secouer les blocs adverses. Au-delà de ce fait, c’est aussi et surtout sa complémentarité avec son latéral et le relayeur évoluant sur son côté qu’il faudra observer de près, lui qui avait réussi à développer une liaison presque télépathique avec Souffian El Karouani du côté du NEC. Cissoko passant 90% de ses rencontres collé à la ligne de touche pour s’offrir le maximum de temps pour créer – il sait aussi prendre un rôle d’ailier intérieur, et ça a été notamment le cas lors d’un match pétaradant face au RKC Waalwijk la saison dernière (6-1) –, El Karouani n’hésitait alors pas à plonger dans le couloir intérieur pour attaquer la profondeur ou pour lui servir de relais.

À Toulouse, c’est logiquement en compagnie de Gabriel Suazo qu’Ibrahim Cissoko, dont le profil est complètement différent de celui de Farès Chaïbi, risque de collaborer le plus souvent, et cela va être à suivre de près. Le Téfécé a récupéré un poisson fou, qui peut vite devenir un poison fou s’il est bien cadré et s’il réussit (enfin) à amener des stats aux abords des surfaces adverses. Pour cela, Cissoko, qui n’exploite pas toujours avec malice le chemin qu’il a réussi à ouvrir pour lui ou ses coéquipiers, devra notamment progresser dans sa technique de frappe, lui qui n’a cadré qu’un tir sur cinq la saison dernière et dans le choix de zone de ses centres. La base fait envie, le projet sera à surveiller, mais ce type, qui sait s’arracher défensivement quand le déroulé d’une rencontre l’exige, a de quoi offrir quelques éclaircies à la Ligue 1 dans les prochains mois. Dans un foot moderne où les dribbleurs purs se font de plus en plus rares, ce serait bête de s’en priver.

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