Publié le 16 May 2022 - 10:44
ÉDITO PAR MAHMOUDOU WANE

Complotisme

 

29 ans déjà que le juge Me Babacar Sèye se faisait assassiner sur la Corniche ouest de Dakar, en pleine tempête post électorale, au lendemain de la publication des résultats des Législatives de 1993. Un drame qui avait ébranlé le Sénégal dans ses fondements, alors même que le Code consensuel de 1992 avait été scellé entre l’opposition pilotée de Me Abdoulaye Wade et le pouvoir, avec Abdou Diouf comme Commandant à bord du navire Sénégal d’alors. Ce qu’une bonne frange de l’opinion avait perçue comme une manipulation du pouvoir socialiste pour mettre la main sur l’insaisissable Prophète du Sopi s’est révélée au fil du temps, comme le révélateur implacable des mœurs politiques sénégalaises.

Très rares à l’époque, y compris les journalistes les plus chevronnés, étaient ceux qui accordaient du crédit à l’hypothèse que le pouvoir n’avait pas commandité ce crime. Le Diable, c’étaient Abdou Diouf, Jean Collin, Madieng Khary Dieng (ministre de l’Intérieur), Ousmane Tanor Dieng… Et l’Ange, Me Abdoulaye Wade naturellement, adulé par une jeunesse ‘’baay fall’’. Le verdict populaire était sans appel : COMPLOT D’ETAT.

Ces faits, vieux de plus d’un quart de siècle, sont aujourd’hui amnistiés, après que les auteurs de l’assassinat furent lourdement condamnés. Si donc nous les convoquons, ces faits, qui ont lieu alors même que l’actuel maire de Dakar, Barthelemy Dias, n’avait pas encore l’âge de voter et son père Jean-Paul était le porte-parole du PDS, ce n’est sans doute pas pour rouvrir la plaie ou rappeler une vérité connue qui est la récurrence de la violence sur la scène politique sénégalaise.

Tout comme le temps révèle bien la vérité de la vie qui est assurément la mort, ce temps-là doit nous permettre d’apprécier l’instant politique que nous vivons à la lumière des expériences accumulées, pour douloureuses qu’elles soient.

Il s’agit précisément d’alerter sur l’intrusion de plus en plus marquée du tout complotiste dans le jeu politique sénégalais. Chaque fois qu’une mouche bourdonne à l’oreille d’un opposant, on assimile le mouvement de ses ailes aux froufrous des ‘’trois pièces’’ de Macky Sall et de son clan. Sans, par ailleurs, qu’aucune preuve ne soit donnée. Depuis une semaine, à la faveur du dépôt des listes en vue des Législatives du 31 juillet prochain, c’est le même stratagème qui est utilisé avec renforts de réseaux sociaux.

Des acteurs politiques, ceux de Yewwi, déposent dans la plus grande précipitation leurs listes à la limite du délai autorisé, en apposant leur cachet sur le document remis à la Direction générale des Elections. Ils oublient de respecter le principe de la parité, se rendent visiblement compte qu’une grosse bourde a été commise, puis… enfourchent la trompette du complot. Les effets visés sont naturellement d’installer la panique dans le camp du pouvoir, de mobiliser ses troupes, d’habiller la bourde, la maquiller, la rendre le plus sexy possible, pour enfin une consommation massive.

Si la technique a bien fonctionné, dernièrement, dans l’affaire Adji Sarr (même si la thèse du viol est bien difficile à digérer), pourquoi donc changer de stratégie, à partir du moment où ça marche ! Naturellement, très peu de personnes iront vérifier si le dispositif de fer mis en place par la Direction générale des élections (DGE), avec ses hommes et femmes d’un haut niveau de professionnalisme et de conscience citoyenne, est aujourd’hui poreux à des pratiques de manipulations et fraudes d’une autre époque. Et pourtant, c’est le même mécanisme, les mêmes personnels et le même dispositif qui ont permis à l’opposition de gagner Dakar et Ziguinchor, aux dernières élections locales. Les accusations de fraude ont disparu, comme sous l’effet d’un coup de baguette magique, du lexique de l’opposition, après publication des résultats.  

Qu’on nous dise aussi, comment Macky Sall a pu contrôler tout le travail préalable de confection des listes des responsables politiques de Yewwi, les rendre aveugles, au point qu’ils en oublient… la parité. Comment expliquer cela ? 

Complotisme et « Ponce pilatisme » ! Evoquer cela veut aussi dire que la manipulation et le mensonge ne sont pas du seul ressort de la puissance gouvernante. L’Etat, c’est connu, a naturellement ses appareils de brouillage des cerveaux des citoyens. L’opposition aussi sait manipuler les esprits et divertir le cœur. Bien souvent, le fait–elle mieux que le pouvoir, à l’image de Me Abdoulaye Wade, quand il régnait sur la planète Sopi, Macky Sall lorsqu’il convoitait le pouvoir et aujourd’hui Sonko et Barth qui occupent la place. C’est pourquoi, le véritable travail de la presse devrait consister à baisser les masques. Pas seulement de ceux qui sont au pouvoir, mais, de tous ceux qui aspirent à parler à notre nom. Cela devient une exigence de la démocratie, pour éviter de prendre des loups pour des brebis ou de se réveiller comme des idiots au lendemain d’élections.

Ce complotisme outrancier n’est sans doute pas l’apanage du Sénégal, car, aux Etats-Unis, pays dont le statut démocratique n’est pas discutable, les fondements du pacte social ont failli voler en éclats, parce qu’un président populiste, Donald Trump, avait poussé l’outrecuidance jusqu’à inventer des adversaires chimériques à l’intérieur même du système américain et à faire avaler ses salades à une bonne partie de l’électorat blanc américain. On connaît la suite.

Aujourd’hui que la manipulation a pris des atours plus sophistiqués dans l’espace public, avec l’intrusion des Réseaux sociaux dans le jeu, il devient urgent de rendre le commerce politique moins violent et plus serein, dans l’intérêt de tous les acteurs.

Qui donc peut bien suivre la destination d’une balle perdue ?

 

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