Publié le 26 Jul 2021 - 09:57
ÉDITO PAR MAHMOUDOU WANE

Si Babs vivait…

 

Si les malicieux yeux de Babacar Touré s’ouvraient pour quelques minutes sur Ndoumbélane, ne serait-ce que pour capter l’instant qui se joue, on parie bien qu’il n’aurait pas été surpris de ce qu’il verrait. Il verrait sans doute que le redoutable virus qui l’a emporté, il y a un an jour pour jour, est encore là. ‘’Fast and Furious’’, pour reprendre le titre de la célèbre série canadienne. Près de 900 nouvelles contaminations journalières en moyenne, 8 décès par jour, selon les statistiques officielles. Nous savons bien que la situation est de loin plus grave pour un petit pays de moins de 15 millions d’âmes, que les vrais chiffres nous passent sous le nez…

L’ami Babs verrait surtout sur les ‘’sables mouvants’’ de Ndoumbélane, des ‘’monstres’’ beaucoup plus insidieux que la Covid-19. On ne s’en rend sans doute pas suffisamment compte, mais notre pays est devenu comme un conglomérat d’îlots fermés. Les réseaux sociaux donnent une fausse impression d’ouverture, mais en vérité, le cloisonnement est roi. Chaque camp, chaque ‘’ilot’’ utilise ses propres codes, boucle son territoire et refuse l’interaction. La discussion étant le pire ennemi de l’obscurantisme, ces nouveaux censeurs ne vont pas entrer dans le piège mortel de la confrontation d’opinions. Il y a mieux à faire. Il suffit d’indiquer la cible, de la pointer du doigt, pour qu’immédiatement furie et feu s’abattent sur elle. La montée de l’intolérance et le refus de la différence sont, aujourd’hui, les traits dominants de notre société. Cette tendance est, non seulement, alimentée par l’ignorance, mais aussi, elle entretient celle-ci. Comme deux sœurs siamoises.

Que dire de la prise de parole ? N’importe qui peut dire n’importe quoi sur le sujet de son choix. Et lorsque le centre d’intérêt porte sur des questions de santé publique comme c’est le cas avec la Covid-19, bonjour les dégâts. Que n’a-t-on pas entendu à propos de la Covid sur certaines stations FM de la place ? Que la maladie n’existe pas. Qu’elle est une invention des Toubabs dans le but de nous inoculer un produit toxique pour nous effacer de façon méthodique et froide, comme du temps d’Hitler, de la surface de la terre. Bill Gates serait même au cœur du complot mondial contre les populations immunisées d’Afrique.

Dans un Sénégal normal, pour emprunter les termes d’un ami gendarme retraité, c’est le médecin qui doit prendre la parole en priorité, lorsqu’on parle de virus et de pandémie. La maladie est son domaine. Tout comme la religion est le domaine de ceux qui l’ont étudiée et/ou longuement pratiquée. Lorsqu’on doit réparer sa voiture, on n’ira point solliciter l’expertise d’un menuisier. Et il nous semble bien relever du bon sens primaire que privatiste du droit ne peut pas s’épancher à longueur de colonnes de journaux sur des questions qui relèvent du Droit constitutionnel. Ce brouillage systématique des compétences qui, au nom d’une mauvaise compréhension de la démocratie, établit un principe égalitaire de la valeur de la parole, est en vérité l’effet d’une certaine cannibalisation de l’espace public avec comme conséquence une anarchisation continue de celui-ci.   

Ce processus que nous constatons est à la fois puissant et profond. Parce que c’est une dynamique en marche, il est un problème à résoudre hic et nunc pour que les générations futures puissent en bénéficier. L’anarchie ne profite, en vérité, à personne. Même pas à ceux qui pensent en profiter dans l’immédiat. Et bien sûr, toutes les sociétés qui comptent aujourd’hui dans le jeu du monde, se sont construites dans la discipline, l’ordre et la douleur.

Si donc la liberté est une denrée précieuse à préserver jalousement, elle ne saurait être utilisée comme l’arme qui se retourne contre son propriétaire. Notre destin est entre nos mains !

Post scriptum :

Babacar Touré a accompagné la gestation du journal ‘’EnQuête’’. C’est lui qui a sorti, comme sur un coup de baguette magique, le titre du journal et validé sa charte graphique. Il a aussi présidé le lancement du quotidien au restaurant Selebeyoon. Etaient présents Amath Dansokho, El Hadj Kassé, Abdou Latif Coulibaly, Madiambal Diagne, pour ne citer que ceux-là. Ce 26 juillet 2021, premier anniversaire de sa disparition, que nous avons fait coïncider avec nos 10 ans (qui devait être célébré le 7 juin), nous lui rendons ainsi hommage. En ayant, en même temps, une pensée pieuse pour Madior Fall de ‘’Sud’’, disparu lui aussi un certain 15 juillet 2012.  

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