''Il faut des solutions intégrées et concertées pour faire face aux problèmes d'insécurité en Afrique de l'Ouest''
Abdoulaye Fall, spécialiste en sécurité nationale, présente dans son deuxième livre "La CEDEAO face aux défis de la sécurité en Afrique de l'Ouest" une réflexion sur les problèmes d'insécurité transnationaux qui affectent la région. Les menaces telles que les coups d'État, le terrorisme et la criminalité organisée soulignent l'importance de trouver des solutions intégrées et concertées. L'auteur encourage les lecteurs à évaluer l'efficacité des stratégies sécuritaires de la CEDEAO et à remettre en question la valeur intrinsèque de son architecture de paix et de sécurité. Il met également en évidence les progrès réalisés par l'organisation.
Qu'est-ce qui vous a poussé à entreprendre des études en défense et sécurité, après avoir obtenu votre diplôme de droit ?
J’ai toujours nourri de l’intérêt pour les problématiques d’ordre stratégique qui affectent le développement du Sénégal en particulier et de l’Afrique en général. C’est la raison pour laquelle, après mon Doctorat en droit privé obtenu à l’Ucad, à la faculté des Sciences juridiques et politiques (FSJP), je me suis inscrit au Centre des hautes études de défense et de sécurité (CHEDS) pour y suivre un Master en sécurité nationale. Cela m’a permis d’acquérir des connaissances fondamentales en stratégie, des clés de compréhension de l’environnement géostratégique, mais aussi de comprendre les enjeux liés à la défense et à la sécurité.
Pourquoi l'Afrique est-elle confrontée à des problèmes de sécurité depuis son indépendance, comme vous l'avez mentionné dans votre dernier livre ''La CEDEAO face aux défis de la sécurité en Afrique de l'Ouest'' ?
Comme le reste du monde, le constat d’une Afrique confrontée à de nombreux défis sécuritaires ne souffre d’aucune contestation. En effet, entre les premières indépendances et le début des années 1990, un nombre impressionnant de pays africains a été touché par diverses formes de conflits. Par rapport à l’Europe et aux Amériques, l’Afrique a enregistré un nombre plus important de conflits et cela jusqu’en 2002, période à partir de laquelle ils semblent diminuer. L’Afrique de l’Ouest n’est pas épargnée par cette dynamique conflictuelle. Pire, elle est confrontée à la menace des djihadistes, ces marchands de l’apocalypse venus tout droit d’une autre planète.
Les causes de l’insécurité en Afrique sont nombreuses. Il en est ainsi des crises politiques cycliques, des conflits internes récurrents, avec comme dénominateur commun la lutte fratricide pour la conquête ou la conservation du pouvoir par tous les moyens, prétextes et subterfuges, de la mal gouvernance, etc.
Ces fléaux sont exacerbés par des ingérences externes pernicieuses et des influences permanentes de tous bords qui minent les initiatives et efforts de la CEDEAO.
En conséquence, l’organisation fait face à des défis croissants et plus complexes, et à des contraintes et limites objectives dans bien des domaines.
Considérez-vous que le système de sécurité mis en place par la CEDEAO soit un échec ?
Il est vrai qu’aujourd’hui, la CEDEAO est sous le feu des critiques. Toutefois, il ne faut pas jeter le bébé avec l'eau du bain.
En effet, après quatre décennies d’existence, les avancées de l’organisation sur la voie de l’intégration sont réelles, au point de servir par moments et à bien des égards, de modèle inspirant aux autres organisations sœurs du reste du continent. La CEDEAO peut bien se prévaloir d’avoir été un pilier essentiel de la construction de l’Union africaine et un référentiel crédible dans l’édification de l’architecture continentale de paix et de sécurité et l’opérationnalisation de sa Force en attente (FAA).
S’y ajoute que ses acquis substantiels dans le domaine des textes et concepts, et son bilan opérationnel probant en matière de déploiement de forces d’interposition et d’intervention sont indéniables. La CEDEAO a, pendant longtemps, été citée comme le bon élève de l’application réussie du principe de subsidiarité, spécifié, encouragé et encadré par les articles 52 et 53 du chapitre VIII de la Charte des Nations Unies et bien rappelé dans la première partie de l’ouvrage.
La CEDEAO a joué un rôle politique de premier plan lors des guerres civiles au Liberia et en Sierra Leone, en mettant sur pied, en 1990, l'Ecomog (force ouest-africaine de paix), une force de plusieurs milliers d'hommes. Elle a notamment réussi à ramener la paix au Liberia en 1997. Elle est également intervenue en Guinée-Bissau, lors de la rébellion armée de 1998-1999 et après le coup d'État de 2012, en Côte d'Ivoire en 2003, après le déclenchement d'une rébellion, au Mali en 2013 pour aider Bamako à reprendre le contrôle du Nord tombé aux mains des djihadistes ou encore en Gambie en 2017, quand le président sortant Yahya Jammeh, battu aux élections, refusait de quitter le pouvoir.
Quelles solutions proposez-vous dans votre livre pour relever les défis sécuritaires en Afrique de l'Ouest ?
Il est aujourd’hui nécessaire de trouver des solutions intégrées et concertées aux problèmes d’insécurité devenus transnationaux en Afrique de l’Ouest. C’est pourquoi, de réalistes et efficientes politiques de prévention doivent être privilégiées au détriment d’hypothétiques efforts de résolution de crises ou de conflits. Elles tournent principalement autour d’une meilleure gouvernance des États, axée sur l’inclusion et la justice sociale, avec une plus grande attention aux couches déshéritées, aux terroirs isolés et aux minorités négligées.
De plus, il s’avère impérieux d’assurer une répartition judicieuse et plus équitable des dividendes des ressources naturelles nationales, un accès plus facile aux services sociaux de base, notamment l’éducation et la santé. Il faut s’atteler également à la mise sur pied d’armées nationales fortes, inclusives, professionnelles et républicaines.
Au plan communautaire, il est essentiel de doter la force en attente de la CEDEAO d’une autonomie logistique et financière.
Aujourd’hui, la CEDEAO fait l’objet de nombreuses critiques de la part des populations. Il existe même un concept appelé la ‘’CEDEAO des peuples’’. Quel est votre point de vue sur cette défiance envers cette institution ?
Le passage de la CEDEAO des États à celle des peuples est une préoccupation majeure de l’organisation qui, en 2010, a adopté la Vision 2020 qui s’inscrit dans cette logique.
En 2021, la Vision 2020 sera remplacée par la Vision 2050. Au cœur de cette nouvelle vision se trouve ‘’une communauté de peuples pleinement intégrée dans une région paisible, prospère avec des institutions fortes et respectueuses des libertés fondamentales, et œuvrant pour un développement inclusif et durable’’. Ainsi, ce nouveau référentiel prospectif régional pour les trente prochaines années proclame que la CEDEAO doit devenir une communauté de peuples en mettant davantage l’accent sur les jeunes et les femmes qui sont les forces vives de la région.
Toutefois, malgré son ambition de pacification de l’ouest-africain, les conditions d’une intervention militaire de la CEDEAO sont, de plus en plus, difficiles.
Les raisons de ce blocage sont nombreuses. Il en est ainsi de l’hostilité grandissante de populations locales souvent manipulées par des dirigeants populistes et l’influence négative du phénomène des réseaux sociaux qui rendent l’organisation peu crédible aux yeux de l’opinion. Par ailleurs, la conquête ou la conservation du pouvoir par tous les moyens, de la part de certains dirigeants de la sous-région, renforce la défiance des populations à l’égard de l’institution.
Le Mali, le Niger et la Guinée ont été suspendus des instances de la CEDEAO. Quelles pourraient être les répercussions de cette décision ?
La suspension d'un pays des instances de la CEDEAO est régie par l'article 45 du Protocole sur la démocratie et la bonne gouvernance de l’organisation. Si elle est politiquement appliquée, les conséquences qui en résultent pour le pays concerné sont nombreuses. Ce dernier sera privé d’un certain nombre de droits. Par exemple, il ne pourra plus participer aux réunions de la CEDEAO, accueillir les réunions de la CEDEAO, soumissionner à des postes de responsabilités régionales ou sous-régionales.
Dans votre premier livre ''Fake News, la perversion de la vérité'', quelle est votre analyse de ce phénomène ?
Internet et les réseaux sociaux sont devenus des terrains fertiles pour la manipulation des masses. Aucun pays n’y échappe. Certains observateurs inquiétés par l’ampleur du phénomène parlent même de l’entrée dans une nouvelle ère dite de post-vérité. Le fléau des fake news comporte des enjeux sociopolitiques, géopolitiques, sanitaires, financiers, militaires qui exposent nos sociétés à des dangers non négligeables, comme en atteste l’actualité récente.
En effet, les élections américaines de 2016, celles françaises de 2017, la campagne du Brexit et la pandémie de Covid-19 de 2020 jettent une vive lumière sur le phénomène des fake news, ses ressorts et ses conséquences.
En dehors des médias et des pouvoirs politiques, pensez-vous que les populations ont un rôle à jouer dans la lutte contre la manipulation de l'information ?
Il est évident que les médias et les pouvoirs politiques ne peuvent pas venir à bout du phénomène des fake news sans l’implication des populations qui en sont les principaux réceptacles. Il faut que chacun s’y mette pour éviter les dangers des fake news. À ce titre, une bonne politique de sensibilisation sur la question est nécessaire.
Comment percevez-vous le problème du nombre excessif d'étudiants en faculté de Droit ?
Effectivement, il s'agit d'un problème réel qui ne se limite pas à la seule faculté de Droit. On pourrait en dire autant des autres facultés qui font également face au problème de surpopulation. Cependant, il est important de reconnaître les efforts déployés par l'État pour y remédier, notamment à travers des initiatives telles que l'Université virtuelle du Sénégal et la création de nouvelles universités, entre autres.
BABACAR SY SEYE