Publié le 17 Oct 2013 - 18:54
AMADOU BOCOUM, DIRECTEUR GENERAL DE L'OFFICE DU LAC DE GUIERS

 ''Il faut prendre des mesures pour minimiser ces pannes et prévenir des incidents majeurs''

 

 

La dernière crise de l'approvisionnement en eau de la capitale liée aux dysfonctionnements de l'usine de Keur Momar Sarr, les efforts consentis pour l'Etat et la Sénégalaise des eaux (SDE), les mesures stratégiques à prendre pour conjurer dans le futur de tels problèmes, le directeur général de l'Office du Lac de Guiers les aborde en toute liberté avec nous. Amadou Bocoum réflechit d'une façon générale sur un secteur à priori fragile, mais porteur d'espoir pour le développement économique...

 

 

Vous êtes le directeur de l’Office du Lac de Guiers, quel est le rôle de l’Olag dans la politique de maîtrise de l’eau du Sénégal ?

Avant d’en venir à votre question, permettez-moi tout d’abord de situer pour vos lecteurs, la place qu’occupe le Lac de Guiers dans la politique de maîtrise de l’eau du Sénégal. En effet, le lac de Guiers constitue l’une des ressources les plus stratégiques du pays en raison de la multiplicité des usages concurrents qui en dépendent (alimentation en eau potable de Dakar et d’autres centres urbains, irrigation, abreuvement des animaux et alimentation des zones humides). Le lac couvre une superficie de 240 à 350 kilomètres carrés, sur une longueur d’environ 50 km, à cheval sur les régions de St Louis et de Louga.

L’essentiel de l’eau potable consommée à Dakar et sa banlieue vient du Lac de Guiers où sont implantées les deux principales unités de traitement d’eau de la SDE.

La création de l’Office du Lac de Guiers (OLAG) par la loi 2010-01 du 20 janvier 2010 qui en fait un Etablissement Public à Caractère Industriel et Commercial (EPIC), traduit toute l’importance pour l’Etat de préserver le lac y compris pour les générations futures. L’Olag, dépendant du Ministère de l’Hydraulique et de l’Assainissement, a pour missions principales : la planification et la gestion des eaux du Lac de Guiers, la programmation des investissements, la maîtrise d’ouvrage et la maîtrise d’œuvre, la conception et le contrôle des études et des travaux portant sur les infrastructures relatives de gestion du plan d’eau, l’exploitation et la maintenance des équipements et enfin le suivi qualitatif et quantitatif des ressources en eau du lac. Vous comprenez donc l’importance stratégique de l’Office dans le dispositif global de gestion, de planification et de préservation des ressources en eau du pays.

 

Que vous inspire la dernière crise dans l'approvisionnement en l'eau à la suite de problèmes signalés à l'usine de Keur Momar Sarr ?

Cet incident pose le problème de la fragilité du système d’approvisionnement de la capitale, mais il ne faut pas dramatiser. Dans tout système, il peut y avoir des pannes. Tout a été dit sur les causes et les responsabilités, les dirigeants et techniciens des structures en charge du secteur se sont exprimés. Ils sont parvenus à rétablir la situation et pris un certain nombre de mesures pour prévenir ce type d’incidents. A noter qu’aucune œuvre humaine n’est à l’abri de perturbations. Il faut surtout saluer le doigté avec lequel le président de la République a calmé la situation lors de sa descente sur le site de KMS. Saluer également la compétence des ingénieurs et techniciens sénégalais qui sont parvenus à réparer cette portion de canalisation.

Maintenant ce à quoi il faudra sans doute s’atteler, c’est de trouver le moyen de sécuriser l’approvisionnement à long terme de la capitale. Pour ce faire, le président de République a donné des instructions afin que des solutions durables et structurantes soient mises en œuvre.

 

Pourquoi donc l'Etat du Sénégal n'a pas été en mesure de prendre à bras le corps ce problème ? Quel est selon vous la racine du problème ?

L’Etat du Sénégal a bien pris à bras le corps ce problème. Dès les premières heures de l’incident, le ministre de l’Hydraulique et de l’Assainissement s’est personnellement impliqué en rapport avec la SDE et la SONES, pour que la panne puisse être réparée dans les plus brefs délais. En moins d’une semaine, une première réparation a été faite. Malheureusement, celle-ci n’a pas tenu. C’est ainsi que des dispositions ont été prises pour fournir les populations en eau potable à travers une importante flotte de camions citernes. Toutes les explications sur la nature de la panne et le déroulement des réparations, qui ont abouti au rétablissement de la situation, ont été données. Le temps mis pour arriver à ce résultat montre simplement la complexité de l’opération, qui nécessitait un certain nombre de précautions à prendre pour sa réussite.

 

Ne pensez-vous pas que l'Etat devrait donner l'exemple en sanctionnant, sur la chaîne des responsabilités, tous ceux qui ont fait preuve d'incompétence ?

Ce qu’il faut avant de sanctionner, c’est d’abord de situer les responsabilités. Est-ce qu’on peut imputer aux personnes actuellement en charge du secteur la responsabilité de ce qui est arrivé ? Par ailleurs, je ne crois pas qu’il faudrait parler d’incompétence ; en tout cas, concernant la réparation de la canalisation. J’étais sur le site durant toute la phase critique de l’opération de réparation, je puis vous assurer que nous pouvons être fiers de la compétence de nos ingénieurs, techniciens et ouvriers, tous sénégalais. Ils se sont dévoués corps et âmes durant des jours et des nuits sans sommeil, pour arriver à bout de cet incident. J’ai ri quand j’ai entendu dire que des experts de tel ou tel pays sont venus à la rescousse, ou qu’une pièce venant de tel ou tel autre pays aurait été acheminée sur le site. La réalité est que rien de tout ça n’était vrai, les pièces comme les hommes sont sénégalais. Cette parenthèse n’est pas pour fouetter un quelconque ego, mais simplement rétablir la vérité.

 

Quelles sont les mesures à prendre pour éviter que pareil problème ne se reproduise ?

Il n’y a aucune mesure qui puisse empêcher qu’une panne ou des incidents plus ou moins graves ne se produisent sur un système de transfert d’eau de cette importance et de cette nature. Dakar est approvisionné à près de 60% par les usines de Ngnit et de Keur Momar Sarr sur le ‘’Lac de Guiers’’ à plus de 250 km. Ce qu’il faut, en revanche, c’est de prendre des mesures pour minimiser ces pannes et prévenir des incidents majeurs. A ce propos, il y a lieu de reconnaître que, depuis que ce système existe, c’est la première fois qu’une panne d’une telle gravité se produit. Nous devons être un peu plus tolérants, en admettant les difficultés vécues par les populations dakaroises. Mais est-ce que les gens réalisent également que la très grande majorité des populations vivant autour du Lac de Guiers (pour certains la conduite passe à quelques mètres du domicile), n’ont jamais eu de l’eau potable ? Presque personne n’a entendu leurs voix s’élever. Bien sûr l’un ne justifiant pas l’autre. J’ai dit presque personne, mais le président de la République lui, avait déjà, lors du Conseil des ministres décentralisé de Louga, dénoncé cette injustice et promis d’y mettre fin. L’Office du Lac de Guiers a reçu les instructions pour participer à la résolution de ce problème et dès le mois prochain, les travaux de branchement sur le réseau SONES/SDE de 31 villages sur les 110 de la zone vont démarrer. La couverture complète des autres villages se fera progressivement sur 2014 et 2015.

 

La question des bailleurs est plusieurs fois apparue dans la crise de l'approvisionnement en eau, vécue ces derniers jours par l'Etat, le rôle de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international (Fmi) vous semble-t-il positif ?

Durant cette crise, je n’ai pas du tout entendu une controverse quelconque ayant trait au rôle des bailleurs de fonds et plus particulièrement celui de la Banque Mondiale. Je crois qu'il ne faudrait pas mélanger les rôles encore moins les responsabilités. Je ne sais pas si la Banque Mondiale a participé au financement de Keur Momar Sarr, mais si c’est le cas, c’est sûrement à la demande de notre pays. La Banque n’intervient pas si une requête en bonne et due forme ne lui est pas adressée, donc je ne vois pas ce qui pourrait relever de sa responsabilité dans une pareille affaire. Le FMI, quant à lui, n’intervient pas dans le financement direct des infrastructures, il a un rôle de conseil et d’appui aux gouvernements membres, dont le Sénégal, dans la définition et la conduite de leurs politiques économiques. Le Fonds n’est pas, comme la Banque, une agence de développement. Quel que soit le procès qu’on puisse faire à de telles organisations, critiques qui peuvent se justifier, il faut convenir que c’est à nos pays et à eux seuls de définir leurs politiques de développement et de se donner les moyens de les mettre en œuvre en toute souveraineté, même s’ils peuvent et doivent, si besoin est, faire appel à ces organisations.

 

En tant qu'ancien ambassadeur du Sénégal en Inde, pouvez-vous nous dire quelque chose sur comment l’agriculture s’est développée dans ce pays et quels enseignements le Sénégal peut en tirer pour parvenir à une autosuffisance alimentaire? 

Aujourd'hui l'Inde est l'une des quatre plus grandes puissances agricoles au monde de par sa production de lait, de thé, de riz et de blé. Pourtant, en 1947, au moment de l’indépendance du pays, le système agricole indien connaissait de grandes difficultés car il ne permettait pas de nourrir l’ensemble de sa population.

La politique mise en œuvre par le ministre de l'Agriculture de l’époque, Shree Chidambaram Subramaniam, s'est appuyée sur l'incitation à l'utilisation des semences à haut potentiel de rendement, un important programme de développement de l'irrigation et une recherche agronomique. À la fin des années 1970, le rendement du riz avait augmenté de 30%, permettant à l'Inde de faire face à la croissance de sa population sans subir les famines récurrentes qu'elle avait connues dans les années 1960 et particulièrement celle de 1966 qui fit des milliers de morts. La révolution verte assura des récoltes abondantes dans les États semi-désertiques tels que le Pendjab. Ce dernier, qui était dans les années 1950 un état aride et pauvre, est aujourd'hui l'un des plus riches d'Inde.

Donc, il apparaît évident que la volonté politique a été déterminante, mais aussi et surtout des investissements massifs dans les engrais, la mécanisation, l'irrigation, les infrastructures de communication (routes et pistes), les centres de recherches agronomiques, les subventions aux agriculteurs et les crédits à faible taux d’intérêt. Tout ceci a permis d'accroître les rendements et par conséquent le développement de l’agriculture. L’aide internationale, notamment le concours massif de la Banque Mondiale, ont également contribué au développement de l’agriculture indienne.

Ainsi, la production agricole a doublé. Ce qui a engendré d’importants excédents de production, permis une autosuffisance alimentaire et par conséquent la disparition des famines récurrentes. L’Inde est devenue un pays exportateur de produits alimentaires et connaît un développement significatif des campagnes.

Il faut cependant noter que le développement de l’agriculture indienne n’a pas engendré que des effets positifs. Elle a aussi entraîné des dégâts écologiques importants (pollution à une grande échelle, érosion des sols), mais aussi, la baisse des nappes phréatiques dans certaines régions, des inégalités sociales et l’augmentation des suicides en milieu paysans du fait surtout de l’endettement très important des petits paysans pauvres. La malnutrition demeure aussi, malgré tout, largement répandue dans l'ensemble du pays, autant dire que le développement fulgurant de l’agriculture n’a pas tout réglé.

Les enseignements que nous pouvons tirer d’une telle expérience sont multiples. Sans être exhaustif, on peut citer l'utilisation de semences à haut potentiel de rendement, le développement de l'irrigation par une meilleure maîtrise de l’eau, la revitalisation de notre recherche agronomique par la mise à sa disposition de moyens conséquents et enfin la disponibilité des engrais et pesticides et leur utilisation appropriée. Toutes ces indications ont d’ailleurs été largement développées dans les plans successifs de développement de notre pays. Mais ce qui a peut-être manqué jusque-là, c’est une forte volonté politique et une mobilisation exceptionnelle des énergies et des moyens dans une approche intégrée, pour ne pas dire systémique.

 

 

 

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