Publié le 13 Dec 2017 - 18:57
ASSEMBLÉE NATIONALE

Sonko, la révélation de la 13e législature

 

Parti pour être la bête noire du régime à l’hémicycle, Ousmane Sonko pourrait bien ne pas être un député ordinaire. Presque sans aucune responsabilité à l’Assemblée nationale, le leader du Pastef est, pour le moment, le parlementaire le plus médiatisé, ravissant la vedette même aux présidents de groupe.

 

Le 29 août 2016, Ousmane Sonko a été radié du corps des inspecteurs des impôts et des domaines par décret présidentiel. L’opposant est accusé d’avoir violé le secret professionnel. Le pouvoir en place croyait s’être débarrassé ainsi d’un adversaire gênant. Mais, apparemment,  le régime de Macky Sall est loin d’en finir avec le leader du Pastef. A la faveur des dernières élections législatives, Sonko a été ‘’réhabilité’’ par le peuple. Une victoire dont il entend, sans doute, bien profiter.

Aujourd’hui, à la fin de la session budgétaire 2018, il n’est pas exagéré de dire que l’ancien fonctionnaire a été la révélation de la 13e législature, faisant nettement la différence par rapport à ses collègues députés. Même les présidents des groupes parlementaires qui disposent de plus de temps de parole font pâle figure, face à lui.

Percutant, l’homme n’a jamais ménagé le pouvoir Exécutif durant tout le marathon budgétaire. Il suffit juste de s’en référer aux comptes rendus des médias pour s’en convaincre. Ses interventions sont presque  systématiquement relayées par la presse. Le jour J dans les radios et les sites, comme le lendemain dans les journaux, les propos d’Ousmane Sonko sont les plus rapportés. La réaction des journalistes à l’hémicycle en dit long d’ailleurs.

En effet, lorsque les autres députés prennent la parole, les reporters se contentent d’une prise de notes, ceux de l’audiovisuel coupe leur micro. Mais dès que le président de séance donne la parole à Ousmane Sonko, les journalistes mettent en marche leur enregistreur. ‘’Tout le monde l’attend à chaque plénière. C’est un homme qui maitrise son sujet. Raison pour laquelle les journalistes ont tendance à le prendre. Quand il se met à interpeller les ministres, on ne peut pas ne pas relayer ses propos. Il est taquin, mais surtout il a les informations dont nous avons besoin. Il développe, interpelle et fait des révélations’’, déclare Bassirou Dieng, reporter au quotidien ‘’Le Témoin’’.

Son confrère du site d’information ‘’Seneweb’’ ne dit pas autre chose. Samsedine Sané estime que Sonko est pertinent, parce que son discours est basé sur des arguments tirés des documents en sa possession. ‘’Il sort du lot parce qu’il est un inspecteur des impôts et des domaines. Qui dit budget, dit prévision, et Sonko maitrise la chose. Quand il prend la parole, il explique en fait. C’est pourquoi les journalistes le reprennent’’. Karamba Ndiaye de ‘’Vox Populi’’ et Adama Coulibaly de ‘’Walf Quotidien’’ ont les mêmes mots. ‘’La principale raison est que des gens comme Ousmane Sonko sont rares. Aujourd’hui, il est le chouchou à l’Assemblée nationale, parce qu’on parle de budget. Cela veut dire qu’on parle d’économique, de fiscalité. C’est un sujet dans lequel il se sent à l’aise’’, souligne Karamba.

‘’Vous n’avez pas répondu à mes questions’’

Selon ce dernier, l’homme est d’autant plus pertinent ‘’qu’en pur produit de l’Administration fiscale’’, il est au courant des pratiques, il sait ce qui marche et ce qui ne l’est pas. ‘’Là où il met le doigt, c’est là où ça ne va pas, et c’est ce dont on a besoin. On n’a pas encore vu un ministre tenter de le démentir’’, souligne-t-il. Cette absence de réponse est aussi relevée par Adama Coulibaly. ‘’Il a interpellé le Premier ministre, le ministre de l’Economie et celui du Budget sur le coût du Ter ; personne n’a encore démenti. On s’attendait à ce que le Pm dise que le Ter c’est tant, mais il n’y a rien de tout ça’’, fait remarquer le reporter du quotidien ‘’Wal Fadjri’’.

Il faut reconnaitre que le gouvernement ne se montre pas pressé de répondre à ses remarques. Si ce n’est pas silence radio, c’est un semblant de réponse pour mieux éviter la question. A titre illustratif, quand Sonko a invité le ministre des Infrastructures sur le coût du Ter et de l’autoroute Ila Touba, Abdoulaye Douada Diallo répond sur l’utilité en esquivant le montant. Et il n’est pas le seul.

 Sur un autre registre, le leader des Patriotes a révélé que les députés payent 1 500 F Cfa d’impôt, alors qu’un enseignant qui perçoit 400 000 F en paye 70 000. Le ministre de l’Economie et des Finances, Amadou Ba, n’a  pas trouvé mieux que de lui suggérer de faire un chèque, s’il a envie de payer. Ce même Sonko dira au Mefp que ce sont les pauvres qui supportent les taxes de l’Etat, pendant que les riches bénéficient d’exonération. Une interpellation à laquelle le ministre n’a pas réagi.

Réponse privée à une question publique

Comme les ministres, leur patron aussi a eu son quart d’heure.  Mardi 5 décembre, lors de sa Déclaration de politique générale (Dpg), le Premier ministre Mahammed Bou Abdallah Dionne a vu Ousmane Sonko battre en brèche les chiffres du gouvernement, non sans lancer un défi. ‘’Vous n’avez pas de courage politique. Votre politique infrastructurelle est inopportune, déséquilibrée et scandaleuse. J’en veux pour preuve le Ter qui coûte plus de 1 200 milliards, au lieu des 568 milliards que vous avez annoncés’’, déclare-t-il, ajoutant au passage qu’il a les documents pour prouver ses affirmations. Comme toute réponse, le Pm lui a suggéré un tête-à-tête. ‘’Je t’invite à un café, mois aussi j’ai mes chiffres qui pourront vous rassurer’’, rétorque Dionne d’un ton comique. Autrement dit, le Pm propose une réponse privée à une question publique.

Mais le député ne s’était pas arrêté sur ce point. Très virulent, il avait ajouté : ‘’La dette croît de 23,5 % sur 2018, là où les recettes fiscales ne croissent que de 10 %. Surtout dans un environnement de gouvernance sombre et vicieuse. Il n’y a jamais eu autant de scandales dans ce pays. M. le Ministre, vous ne dites pas la vérité aux Sénégalais sur la situation du pays. Les chiffres que vous donnez ne sont pas bons.’’ Le même problème sera relevé par le président du groupe parlementaire Liberté et démocratie, Madické Niang, qui parle de statistiques différentes entre les documents du gouvernement.

Cette question, non plus, ne trouvera pas de réponse. Face au silence  de Dionne, Sonko prend à témoin l’opinion. ‘’M. le Premier Ministre, vous n’avez pas répondu à mes questions, mais les Sénégalais jugeront’’, lance-t-il.

Vu ces interventions chiffrées, se pose une question : faut-il prendre tout ce qu’il dit pour argent comptant ? Réponse de Bassirou Dieng : ‘’Il m’arrive de me poser la question de savoir d’où est-ce qu’il tire ses informations. Mais il a travaillé dans l’Administration, en occupant des postes de responsabilité. Il a été le secrétaire général du syndicat des impôts et des domaines. Nul doute qu’il a des réseaux au sein de l’Administration qui peuvent partager avec lui certaines informations qui lui permettent de dénoncer et de faire des révélations.’’

En fait, il est difficile de dire que les propos du parlementaire sont dénoués de fondement. Même lorsqu’ils sont démentis par le pouvoir (rarement), la suite de l’histoire peut lui donner raison. A titre indicatif, samedi dernier, il avait dit au ministre des Transports aériens que la zone fret de l’Aibd n’est pas encore opérationnelle. Il a été contredit par Maïmouna Ndoye Seck. Seulement, les informations relayées par la presse, avant-hier lundi, semble le conforter. Des interlocuteurs à visage découvert ont affirmé que l’aéroport n’est pas encore  prêt sur ce point.

Outre les chiffres, il y a les pratiques. Lorsque ses collègues, notamment de la majorité, ont permis à certains membres du gouvernement, comme Moustapha Diop et Pape Gorgui Ndong, de bénéficier d’un vote sans débat, Sonko déclare que c’est pour ‘’protéger les carences de leurs ministres’’. Quand des ministères comme ceux de l’Industrie, des Mines ou du Pétrole et Energies passent au-delà de 22 h, l’homme ne manque pas d’attirer l’attention de l’opinion. Il accuse : ‘’La programmation des ministères sensibles à des heures tardives est délibérément faite pour être à l’abri de la presse qui relaie les critiques acerbes bien fondées des députés de l’opposition.’’ Le leader du Pastef fait remarquer qu’à certaines heures, ‘’la presse a déjà quitté l’hémicycle, le budget du ministère est voté sans débat. Donc leurs combines peuvent passer comme lettre à la poste, les Sénégalais ne connaîtront jamais la vérité’’, regrette-t-il.

 Une chose est sûre : de l’inspection des impôts à l’hémicycle, l’épine est toujours restée dans le pied de Macky Sall et son régime.  N’est-ce pas Me El Hadj Diouf ?      

BABACAR WILLANE

 

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