Publié le 1 May 2015 - 09:24
COMMENTAIRE PAR MAME TALLA DIAW

In memoriam: Ci-gît l’Ecole!

 

Dans un état comateux avec pronostic vital engagé, comme disent les médecins quand l’irréparable risque de se produire, l’Ecole sénégalaise est un grand malade. Quand on se penche sur son cas, l’optimisme ne peut être de mise. Ici, c’est un crime sans coupable car tous les protagonistes sont innocents au fond. Mort sans cause. Epitaphe au tableau noir.

La chape de plomb qui pèse sur cette année scolaire annihile toutes les perspectives, heureuses ou non, qui se dessinaient pour le pays, que ce soit la vie des institutions et le jeu politique ou les grands projets, la nouvelle Constitution qui s’annonce, la lutte contre la pauvreté sans oublier, bien sûr, le Plan Sénégal Emergent (Pse), ‘’le Sésame ouvre-toi’’  du régime issu de l’alternance de février-mars 2012. L’éventualité d’une année blanche anesthésie l’élan que l’on sentait depuis trois ans. La grève des enseignants est une longue et sinistre oraison funèbre qui révèle la compréhension différente que les uns et les autres se font du bien public au Sénégal. Un grand malentendu.

On s’achemine vers une année blanche car les négociations entre le gouvernement et les syndicats d’enseignants achoppent toujours sur le relèvement de l’indemnité de logement, principale doléance, qui occulte les autres, à savoir les avancements et la formation. Mais l’on retient que c’est pour faire augmenter leurs revenus que les syndicats ont initié ce qui est parti pour laisser des blessures profondes. Incurables ? Dans tous les cas, professeurs et instituteurs ont perdu la bataille d’une opinion aussi scandalisée qu’impuissante. C’est dramatique, une année blanche. L’Etat campe sur sa position : elle ne peut en l’instant satisfaire l’exigence financière des grévistes au risque de mettre la clé sous le paillasson.

Un grand malentendu alimente la crise du système scolaire car l’idée que se font la plupart de nos compatriotes de l’argent public est différente de la norme. Pour beaucoup, c’est un gâteau à partager. Il est maintenant clair que la scolarité des élèves ne préoccupe outre mesure leurs maîtres. Egoïsme et cupidité. Inconscience et impunité. Ces revendications portées par les syndicats d’enseignants ne sont pas nouvelles. Mais elles sont entretenues par ‘’le vocabulaire des milliards‘’ qui embaume la vie publique. Détournements de milliards, augmentation portant sur des milliards du train de vie de l’Etat, plans économiques à milliards, maisons à milliards…

La boîte de Pandore a été ouverte il y a quelques années, quand le régime libéral de Me Wade a procédé à une hausse substantielle des revenus des membres de certains corps de l’Etat (magistrats, forces de sécurité, diplomates…) et fait saliver les autres après la publicité des ‘’largesses ‘’ du ‘’Sopi ‘’. Les premiers à ‘’monter au front’’, comme d’habitude, seront les enseignants, pourtant pas mal lotis à côté de la grande masse des Sénégalais. L’Etat a consacré beaucoup d’argent à l’Education nationale, en tendance croissante depuis la fin de l’ajustement structurel et inversement proportionnel aux résultats obtenus.

Les crédits alloués aux salaires des fonctionnaires et des corps émergents (volontaires et maîtres contractuels) de ce département s’élèvent à 320,2 milliards de francs Cfa pour l’exercice 2015, soit 86,9% du budget du ministère. La somme restante, qui s’élève à 50,4 milliards, est insuffisante pour financer la réalisation des projets de ce département, alors que dans la région de Kédougou, il y a encore des écoles qui ferment dès fin mai avec les premières pluies car les classes sont des abris provisoires en crin tin…

On affecte la quasi-totalité des 370,74 milliards de francs Cfa de l’Education nationale au paiement des salaires de fonctionnaires déjà privilégiés devant la grande partie de leurs compatriotes. Le salaire, les trois mois de congés payés, l’assurance-maladie, la retraite sont des avantages certains dans un pays pauvre comme le Sénégal. Les enseignants ne le rappellent pas assez souvent quand ils disent que ce n’est pas leur faute si l’Ecole se meurt. Le Sénégal a vécu ‘’une année blanche’’ en 1988, suite à des grèves consécutives aux événements électoraux avec couvre-feu à Dakar et affaires politico-judiciaires. Il a aussi vécu, en 1994, une année universitaire invalide, toujours dans le sillage de la crise politique des années 1993/1994. Sans parler de 1968. Donc, tous les traumatismes du système éducatif ont été jusqu’ici le fait de contradictions politiques. Cette fois-ci, ce sont les enseignants qui ont adopté le ‘’rien à perdre, tout à gagner ‘’ comme méthode de combat.  

La crise de la vocation enseignante aidant, la notion de partage et l’élan de générosité s’étiolent. Ils ne donnent plus de connaissances ; ils tarissent la source du projet national ; ils donnent finalement l’air de coupeurs de route légaux. C’est grave une année blanche...

 

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