Publié le 5 May 2015 - 12:32
COMMENTAIRE

Tergiversations

 

Le feuilleton Karim Wade comme figé dans un bloc de glace, c’est l’intervention ‘’Jambaar’’ en Arabie Saoudite, confirmée hier par le ministre des Affaires étrangères parlant au nom du chef de l’Etat, qui vient occuper la place. On ne parle plus que de cela. Et les experts, spécialistes en tout, comme on en trouve à la pelle au Sénégal, sortent de l’ombre pour décortiquer, dénouer, disséquer ce qui est présenté comme une erreur monumentale du Sénégal. Les pourfendeurs de l’envoi de troupes ne manquent pas d’arguments et les égrènent bien.

Il y a risque d’enregistrer des représailles de terroristes sur la terre sénégalaise, si nous franchissons ce Rubicond. Autre argument, les pays voisins ne comprendront pas qu’on envoie autant de troupes en Arabie Saoudite, alors que le Mali pays plus que frontalier, ombilical, n’a pas eu un tel clin d’œil. C’est dangereux, notre armée nationale risque d’enregistrer des pertes humaines à l’image de celles enregistrées lors de la première opération militaire du Golfe, en 1991. Une vraie soupe chinoise. Mais se pose-t-on les bonnes questions ?

Les Etats n’ayant en effet que des intérêts malgré toute la belle littérature sur les amitiés multiséculaires, la question principale ne devrait-elle pas consister à demander l’intérêt que le Sénégal tire de cet engagement ? Qu’est-ce qu’on y gagne donc ? Qu’est-ce que ça rapporte à court, moyen et long terme ? La formulation n’est pas du tout… mercenaire. C’est la même musique qui accompagne toutes les  guerres, qu’on y mette les formes ou pas. Comment comprendre que les Etats-Unis perde de ‘’précieux’’ soldats dans le désert du Golfe, qu’on les explose en Afghanistan, si ce n’est parce que l’Amérique a une bonne intelligence de ses intérêts presque ‘’sacrés’’.

L’intelligence est de servir ces intérêts-là sans que la société civile, surtout pas la presse, ne vienne jeter du sable dans ce couscous-là… Et même pour la France, comment comprendre que ce pays vienne faire la guerre aux ‘’terroristes’’ jusqu’à nos frontières, perde des soldats dans le lointain désert du Sahel, si ce n’est pour défendre ses intérêts bien stratégiques ?L'Assemblée nationale française a été assez ‘’sage’’ pour bénir à l’unanimité l’opération Serval, engagée le 11 janvier par le président François Hollande pour chasser les islamistes qui occupaient alors le nord du Mali. Mieux, sa prolongation a été approuvée par 342 voix contre zéro au Palais-Bourbon, alors que l'UMP a voté, avec des réserves.

Est-ce donc mal de défendre les intérêts de son pays ? Si faire la guerre au Yémen peut permettre à un pays comme le Sénégal de côtoyer les grandes puissances de ce monde, de compter dans le festival des ‘’pays importants’’, pourquoi ne pas y aller ? Si cela peut permettre de s’équiper pour rendre notre armée plus forte, pourquoi donc devrait-on rester dans une posture de neutralité ? Cette guerre étant en réalité un bras de fer entre l’Arabie Saoudite et l’Iran, que pèse donc notre partenariat avec la terre de Khomeiny ? Quelles sont les retombées réelles des ‘’fiançailles’’ mi-figue, mi-raisin entre le pays des Ayatollah et nous ? L’Arabie Saoudite peut-elle faire mieux ? Ce sont là des questions qui méritent d’être posées.

Le Sénégal a déjà perdu beaucoup de son influence ces dernières années. Car, en développant une politique non agressive, pacifiste jusqu’à la lie, il a déserté ses propres sphères d’influences au profit d’Etats comme le Tchad et même le Niger. Les lenteurs enregistrées dans notre engagement au Mali nous ont d’ailleurs valu quelques problèmes avec le Président IBK. Dans cette affaire, il est question de jeter une échelle sur ce que nous voulons en tant qu’Etat. Qui voulons-nous être ? Il ne s’agit pas de perdre sa dignité comme Me Wade l’a fait avec la Libye, engageant sa personne et son statut de chef d’Etat dans une opération honteuse de liquidation physique d’un homme qui a beaucoup fait pour l’Afrique, malgré ses pulsions souvent sanguinaires. Bref… Bien avant les Indépendances, le Sénégal a joué sur la scène internationale un rôle phare grâce à son armée qui ne manque ni de courage ni d’expertise. Les anciens combattants revenus de guerre ont été de bons catalyseurs dans la conquête de la souveraineté nationale.

Le Sénégal indépendant a fréquenté bien de théâtres d’opération, sur tous les continents ces 50 dernières années. En 1991, le Sénégal a perdu 92 militaires dans le crash d'un C-130, alors qu’on était à la fin de la guerre. Cette tradition ‘’guerrière’’ doit survivre, malgré la tendance de plus en plus affirmée de notre société à ne point chercher d’histoire à personne. L’Etat a le devoir de s’occuper avec tous ses moyens des victimes et de leurs familles, comme les pays cités en référence le font si bien, mais il ne sert absolument à rien de ‘’parquer’’ nos troupes dans les casernes, de les cantonner entre les parcours sportifs, réfectoires et messe. Ça donne des excroissances… Une Armée doit pouvoir faire la guerre ; la sieste peut attendre. Et le fait de penser qu’en restant cloîtré dans son pays, on échappe au terrorisme est illusoire. Aucun pays au monde n’est à l’abri du terrorisme. Youssou Ndour devrait à nouveau nous chanter…Wommat !

Post scriptum : un petit sondage dans les casernes, pour savoir qui est pour ou contre cette opération, peut révéler de grosses surprises, tant nos soldats veulent mouiller la tenue. N’est-ce pas plus digne pour nos jeunes que de se noyer dans la Méditerranée, qui mérite bien d’être rebaptisée…mer rouge ? 

 

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