Publié le 29 Mar 2021 - 23:48
DIOURBEL

Les ânes à l’épreuve de la formalisation  

 

La collecte des ordures ménagères a été et demeure encore une problématique au niveau des villes du Sénégal. Au refus de paiement des taxes municipales par les habitants, vient s’ajouter le transport de ces déchets domestiques. A Diourbel, depuis quelque temps, des initiatives locales comme ‘’Sénégal environnement’’ sont notées pour régler de façon durable la gestion des ordures ménagères.

 

Dans la capitale du Baol, les décharges non-contrôlées constituent des lieux d’attraction par excellence de certains animaux. Vaches, moutons et cochons aiment aller y paitre, malgré tous les problèmes de santé publique que soulèvent ces endroits. S’y ajoute que les ménages, dans certaines zones, ont toutes les peines du monde pour l’évacuation de leurs déchets.

C’est dans ce contexte qu’il a germé dans la tête de Bara Diop, plus connu sous le nom de ‘’Bara Baké’’, l’idée de mettre sur pied Sénégal Environnement. Le promoteur explique : ‘’L’idée nous est venue à partir d’un constat : lorsque je quittais le quartier Keur Goumack, chaque matin, pour venir en centre-ville, je voyais souvent des femmes creuser des trous pour y enfouir des ordures ménagères. J’avais aussi remarqué que les tout-petits qui échappaient à la vigilance de leurs parents fréquentaient les ordures. Ce qui pouvait constituer un danger et des nuisances sur leur santé. Je me suis dit que cette pratique nuit à l’environnement et n’est pas propice à l’hygiène. J’ai tout de suite réuni mon staff pour leur faire part de mes constats. Ensemble, nous avons ensuite réfléchi et avons concrétisé cette idée en un projet de lutte contre les déchets domestiques, les ordures ménagères et la gestion de l’environnement.’’

Selon lui, c’est l’association Les jeunes de Médinatoul qui est devenue Sénégal Environnement, pour pouvoir prendre en charge cette question qu’ils considéraient comme vitale. Il déclare : ‘’Nous avons convenu d’acquérir des charrettes et d’enlever les ordures ménagères, pour ensuite les recycler. J’ai décidé de contracter un prêt de 2,250 millions de francs CFA, afin d’acheter les ânes et de faire fabriquer par des artisans locaux les charrettes. Le prix des charrettes est de 135 000 F et les ânes sont acquis entre 30 000, 40 000 et 50 000 F. Ce sont mes enfants qui partent en brousse chercher de l’herbe pour nourrir ces équidés.’’

Aucun franc remis pour le moment

Ainsi porté sur les fonts baptismaux depuis 2000, l’association Les jeunes de Médinatoul devenue Sénégal Environnement a pu obtenir, en 2016, une reconnaissance juridique et disposer de tous les documents réglementaires pour pouvoir postuler sur certains marchés de l’Etat et des particuliers. Son directeur Bara Diop : ‘’Je dois préciser, à l’attention de tous les Sénégalais, que nous n’avons pas pour le moment reçu le moindre centime de l’Etat du Sénégal. C’est en 2020 que nous avons acquis, sur fonds propres, 10 charrettes et 10 ânes. Vers la fin de cette année, lorsque nous avons entendu parler de la décentralisation de la convention Etat-employeur, nous nous sommes rapprochés des services de la Direction de l’emploi. Nous avons ensuite envoyé au ministre de l’Emploi, de l’Enseignement technique et de la Formation professionnelle l’agrément de notre structure. Le ministre nous a répondu favorablement en posant des conditions. Ces dernières consistent à nous appuyer dans la prise en charge salariale des employés. A ce jour, je vais me répéter : aucun franc ne nous a été remis. Nous avons convenu que c’est par trimestre qu’un montant qui n’est pas encore précisé nous sera remis.’’

A Sénégal Environnement, soutient-il, chaque charrette est gérée par une équipe de deux personnes. Ce qui fait un total de 20 personnes et il faut y ajouter 4 superviseurs. Soit 24 prestataires de services, tous des jeunes dont 9 filles. Grâce à la convention signée avec la Direction de l’emploi, les prestataires sont dans des conditions de travail assez satisfaisantes. Dotés de gants, de masques, ils reçoivent du lait et sont même enrôlés au niveau des mutuelles de santé avec leurs familles. Pour l’instant, les populations n’ont pas encore adhéré en masse à la structure.  Mais Bara Diop justifie : ‘’C’est parce que nous n’avons pas encore maillé tout le territoire communal et aussi, nous venons juste de débuter. Nous avons contracté avec 50 personnes, qui paient chaque mois 1 500 F. Ces personnes habitent, pour l’essentiel, le quartier Médinatoul, mais nous recevons des appels venant des autres quartiers pour des adhésions.’’

D’ailleurs, exhorte-t-il ses concitoyens, ‘’nous pensons que les populations vont adhérer massivement et que d’autres partenaires vont venir pour que le projet puisse survivre à l’accompagnement de l’Etat’’.

Artiste, comédien, acteur de théâtre, le promoteur de Sénégal Environnement vit mal les moqueries et autres railleries de certains Diourbellois. Mais il n’entend pour rien au monde lâcher prise.

Un moyen de fixer les jeunes sur leur terroir

Au-delà d’offrir des emplois, Sénégal Environnement a permis le retour au bercail de certains jeunes qui avaient quitté Diourbel pour aller monnayer leur savoir-faire sous d’autres cieux. Babacar Mbaye témoigne : ‘’J’étais un marchand ambulant avec toutes les contraintes. Je courrais derrière les véhicules. J’étais hors de Diourbel, dans des villes comme Tambacounda et Kolda. Maintenant, je suis revenu avec un emploi qui me permet de subvenir aux besoins de ma famille, tout en restant près des miens. Je travaille trois jours pour l’entreprise et le reste de la semaine, j’exerce une autre activité. Je peux aussi m’occuper de l’éducation de mes enfants.’’

A sa suite, Khaly Diop, conducteur de charrette et ancien batteur de tam-tam, bénit ce projet et prie pour sa pérennisation ‘’Tout ce que je souhaite, c’est que le projet continue d’exister, car s’il continue, ce sera tout bénéfique pour nous. Non seulement mes enfants et ma femme sont enrôlés dans une mutuelle de santé, mais en plus, je dispose d’un salaire mensuel. Le travail n’est pas très contraignant, parce que je finis avant 13 h et je peux m’adonner à d’autres activités comme battre le tam-tam. Nous demandons au président de la République de continuer à soutenir les initiatives locales.’’ 

PAPE MODOU FALL, DIRECTEUR DE L’EMPLOI

‘’Il est malhonnête de vouloir accabler le projet Sénégal Environnement…’’

Directeur de l’Emploi, Pape Modou Fall dénonce les critiques qu’il pense injustifiées et revient sur la vocation de cet outil méconnu qu’est la Convention Etat-employeurs.

Qu’est-ce qui a prévalu au partenariat entre la Direction de l’emploi que vous dirigez et le projet Sénégal Environnement de M. Bara Diop ?

D’abord, permettez-moi de préciser que nous, on ne finance pas de projets. Au niveau de la Direction de l’emploi, il y a un dispositif, notamment le Fonds national d’action pour l’emploi. L’une des composantes de ce fonds est la Convention nationale Etat-employeurs privés pour la promotion de l’emploi des jeunes. Le rôle de cette convention est de permettre un partage des charges salariales entre l’entreprise et l’Etat. Pour y adhérer, il faut faire une demande d’adhésion. Et nous recevons des centaines de demandes, dont celle de M. Diop. On a trouvé sa demande pertinente et c’est pourquoi nous avons décidé de l’accompagner.

Quelles sont les modalités de ce partenariat ?

La direction accepte de prendre en charge une partie du traitement salarial de son personnel. Maintenant, nous ne pouvons pas lui exiger comment il gère son personnel. Notre rôle, dès le moment que nous avons décidé de l’accompagner, s’arrête au paiement d’une partie de la masse salariale sur une période bien déterminée.

Pour ce qui est du montant de la contrepartie, elle varie en fonction de beaucoup de critères. Il y a l’âge de l’employé, son salaire, son niveau de qualification… Maintenant, en fonction de ces critères, le montant peut varier entre 30 et 60 %. Et comme l’Etat ne paie pas directement, il y a un système de remboursement qui est mis en place. C’est-à-dire, parfois, l’entreprise partenaire peut payer des mois avant que les fonds ne tombent.

Quid de la durée de l’accompagnement ?

Ça dépend. Certains recrutent des personnels pour trois mois ; d’autres six mois ; un an ou même deux ans. Nous pouvons aller jusqu’à quatre ans. Mais quand c’est le cas, chaque année, la contrepartie de l’Etat est revue à la baisse. Par exemple, si on prend en charge 60 % la première année, la deuxième, on peut descendre à 50 %, ainsi de suite.

Pouvez-vous rappeler l’enveloppe financière prévue dans ce cadre ?

Sur la foi de finance initiale, il est prévu un milliard de francs CFA. Et sur le milliard, il y a des gens que l’on doit rembourser pour l’année passée. C’est effectivement trop petit. Il y a un temps où c’était de l’ordre de quatre milliards de francs CFA. Comme le président de la République a parlé d’une enveloppe de 350 milliards pour l’emploi dont 150 milliards pour 2021, on espère que le fonds sera renforcé pour permettre d’accompagner davantage d’entrepreneurs.

Y-a-t-il des critères pour bénéficier de ce fonds ?

D’abord, je dois préciser qu’en ce moment, nous sommes dans une dynamique de décentraliser ce fonds sur l’étendue du territoire. D’ailleurs, j’ai fait le tour du pays pour installer des bureaux un peu partout. Avant, la convention restait surtout à Dakar. On a donc commencé à la porter dans des régions de l’intérieur comme Tamba, Kaolack, Diourbel…

Maintenant, quand on reçoit les demandes, on fait le tri en fonction des fonds disponibles et des capacités financières des uns et des autres.

Comment jugez-vous toute cette polémique autour du projet Sénégal Environnement ?

Je vais simplement vous signaler le paradoxe. Au moment même où les gens sont en train de critiquer, nous recevons beaucoup de demandes. D’autres nous saisissent pour demander la même chose dans leurs localités. Parce que la gestion des ordures par les hippomobiles existe presque partout. Et Bara a eu le mérite de vouloir se formaliser. Je ne comprends vraiment pas pourquoi ce projet est stigmatisé, surtout qu’il n’est pas le seul à avoir été accompagné. Actuellement, il y a 100 bénéficiaires. Certains sont dans la restauration, d’autres dans l’élevage, l’agriculture, l’artisanat, dans tous les secteurs. Il y a même des sites Internet.  Je pense que c’est malhonnête d’accabler ce projet. Encore que, même à Sacré-Cœur où j’habitais, ce sont les charrettes qui ramassent des ordures dans beaucoup de maisons. Là où je suis en ce moment, je paie 3 500 F par mois à des charrettes.

Est-ce que vous avez eu à accompagner des projets similaires ?

Pas du même genre. Mais il y a un projet qui est un peu connexe. C’est le projet Ecopav Sénégal qui collecte les déchets plastiques pour le pavage des rues. Les deux projets sont à Diourbel et ils travaillent en étroite collaboration. Eux aussi ont pris 70 jeunes.

La Direction de l’emploi n’envisage-t-elle pas de dupliquer le partenariat dans d’autres zones, si l’on sait que dans beaucoup de localités, il y a des charretiers qui font le travail de manière informelle ?

Ce n’est pas exactement le rôle du programme. Maintenant, s’il y a d’autres acteurs qui sont dans les autres localités qui font la demande, nous pourrions accompagner en fonction des disponibilités financières. C’est notre mission. Au-delà, je pense que c’est des emplois verts et d’intérêt communautaire qu’il faudrait valoriser et moderniser au besoin. D’autant plus que c’est des projets rentables et viables. 

Boucar Aliou Diallo

 

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