Publié le 30 Apr 2021 - 02:50
DOCTEUR ASSANE DIOP, SECRETAIRE GENERAL DU SYNDICAT DES PHARMACIENS PRIVES DU SENEGAL

‘’Il y a un manque de volonté politique d’arrêter ce phénomène’’

 

Farouche défenseur de la santé des populations, le docteur Assane Diop n’a jamais déposé les armes dans la lutte contre le trafic des faux médicaments. Dans cet entretien, il donne les pistes pour arrêter ce deal, avant de fustiger l’Etat, qui manque de volonté, selon lui, pour mettre fin à ce commerce qui tue le peuple.

 

Des produits ont été saisis au Sénégal. En tant que privé, quelle est l’appréciation que vous avez de la situation, d’autant que l’autorité est indexée ?

C’est d’abord dire que cette saisie entre en droite ligne avec notre combat. C’est d’ailleurs le Syndicat des pharmaciens privés qui a signalé à la Direction de la pharmacie et du médicament la circulation de produits non-autorisés, des médicaments, de surcroît. Il y a effectivement beaucoup de polémiques. Mais ce qu’il faut retenir d’important, est que parmi les produits saisis, il y a bel et bien de faux médicaments. Il s’agit de solutés. Des produits destinés à être injectés dans l’organisme, pour corriger des désordres hydro-électrolytiques, ou au cours d’opérations chirurgicales ou après une opération chirurgicale et même pour véhiculer des médicaments dans l’organisme. Les produits comme ça, partout dans le monde, répondent à la définition de médicaments et doivent bénéficier d’une autorisation de mise sur le marché avant d’être mise à la consommation.

La deuxième chose est que ces produits n’ont pas l’AMM. C’est-à-dire qu’ils n’ont pas été autorisés à être mis à la consommation au Sénégal, donc distribués en tant que médicament. Et ils sont entrés frauduleusement dans le pays. Ces deux éléments font que ces produits répondent bel et bien à la définition de faux médicaments. C’est l’Organisation mondiale de la santé (OMS) qui le dit. L’OMS dit qu’un produit fabriqué et distribué dans un pays sans l’autorisation préalable de l’autorité en charge de la santé, est un faux médicament. C’est des précisions que nous voulons apporter, parce que c’est très important. Cela entre en droite ligne avec notre combat, parce que, depuis des années, vous entendez le Syndicat des pharmaciens privés dire qu’il faut que l’Etat du Sénégal supprime tous les points de vente illicite et veille sur ce marché. Il doit surtout aller jusqu’à la criminalisation du trafic de faux médicaments. 

La réactivité que nous avons constatée dans la prise en charge de ce dossier, on attend la même réactivité, aujourd’hui, pour agir sur les autres points de vente illicites dont le plus connu aujourd’hui au cœur de Dakar, est Keur Serigne Bi. En tout cas, il faudrait que l’Etat manifeste cette même réactivité pour supprimer tous les points de vente illicites des faux médicaments.

La problématique perdure depuis des années. On parle et le trafic continue. On a vu Keur Serigne Bi, il y a les dépôts de Touba. Ne pensez-vous pas qu’il y a un laisser-aller de l’Etat ?

Bien sûr ! C’est ce que j’appelle toujours un manque de volonté politique manifeste pour régler ce problème.  Parce que personne ne peut dire que ces activités se passent à l’insu des autorités. C’est des activités illicites qui se font au vu et su de tout le monde. On a une entreprise qui a fait venir dans le pays, de manière frauduleuse, de faux médicaments ; on a une réaction très forte de la Sûreté urbaine. Cette même Sûreté urbaine et les autres postes de défense et de sécurité, et même l’Administration, ne manquent pas, aujourd’hui, de moyens juridiques et matériels pour agir contre Keur Serigne Bi et contre tous les dépôts illégaux de Touba et même tous les points de vente illicites. Parce qu’il faut considérer qu’on a des marchés au Sénégal où l’on peut trouver des tonnes et des tonnes de médicaments. Des marchés qui servent, à la limite, de grossistes aux revendeurs, aux colporteurs. Nous pensons que c’est une volonté politique qui manque.

On se souvient de la restitution des médicaments à Darou Mousty, de la libération d’Amadou Woury Diallo. Avez-vous espoir que ce trafic va être arrêté ?

Nous avons espoir. Parce que nous pensons qu’une République forte fonctionne selon des règles. Et que l’Etat a l’obligation de préserver la santé des populations. Parmi les éléments à mettre en place, il faut lutter efficacement contre le trafic des médicaments. L’autorité a posé quelques actes, il faut le reconnaître. Parce que, si on regarde déjà l’administration douanière, il y a énormément de travail qui est fait un peu partout. Rien que sur l’année 2020, la douane a saisi plus de 1 milliard 500 en valeur de médicaments. Ce sont des actes visibles. La gendarmerie aussi a fait un travail noble. Même le Conseil des ministres a adopté, il y a bientôt un an, le projet de criminalisation du trafic de faux médicaments.

Maintenant, ce qui reste, c’est des actes et des actions fortes. Cela, il faut une volonté manifeste pour prendre des mesures fortes, afin d’arrêter ce marché. Nous restons optimistes qu’un jour, ces médicaments vont disparaître du Sénégal.

Des pharmaciens sont accusés de se ravitailler dans ce marché noir. Est-ce vraiment la réalité ?

Je ne pense pas. Et je serai très surpris, demain, si les faits montrent qu’effectivement, il y a des pharmaciens qui s’approvisionnent chez ces marchés. Il faut distinguer deux choses. Il y a ce qu’on appelle les dispositifs médicaux. Tant que le produit est disponible chez les grossistes répartiteurs agréés pour cela, le pharmacien est orienté pour acheter les dispositifs médicaux là-bas. C’est-à-dire tout ce qui est seringues, gants, masques, entre autres. Maintenant, quand ça sort des dispositifs médicaux et que c’est des médicaments, le pharmacien n’a pas le droit, vraiment pas du tout, de s’approvisionner ailleurs que chez les quatre grossistes répartiteurs agréés au Sénégal. Parce que pour ce qui est du médicament, c’est très différent. Donc, je serai très surpris de voir cela.

Maintenant qu’il y ait des cas particuliers, à la limite des brebis galeuses, peut-être bien.  A ce niveau, je précise que nous, Syndicat des pharmaciens privés, on n’est pas d’accord et on ne protégera aucun pharmacien qui va s’approvisionner sur le marché illicite. Parce que ce n’est pas du tout la mission du pharmacien d’officine de faire cela.

 Beaucoup pensent que la monopolisation du médicament par l’Etat est la cause de ce trafic. Ne pensez-vous pas qu’il faut un peu élargir les choses à d’autres entreprises ?

Je ne sais pas ce que vous entendez par élargir. Mais je ne l’explique pas comme ça. Il s’agit peut-être de failles dans le système et d’insuffisances de contrôles et de sanctions. Parce que ces quatre grossistes répartiteurs mettent en place plus de 5 mille références. C’est-à-dire plus de 5 mille médicaments différents à la disposition des pharmacies et de la population. Ils font un travail excellent, à côté de la Pharmacie nationale d’approvisionnement (PNA). Je ne pense pas qu’il s’agit d’un problème d’approvisionnement. C’est plus un problème de marché illicite qui n’est pas suffisamment contrôlé et combattu par les autorités.

Qu’est-ce qui pourrait expliquer le fait que ces gens s’adonnent à ces pratiques ?

C’est pour de l’argent facile. Quand vous lisez les médias, souvent, on dit que le trafic du médicament est beaucoup plus lucratif que le trafic de drogue, avec moins de risques. C’est-à-dire un peu partout dans le monde, le trafic de drogue est criminalisé. Mais quand il s’agit de médicaments, surtout dans nos zones, ce sont des peines assez légères qui vont de quelques mois à maximum une à deux années de prison et une amende de quelques millions. Alors que le trafic de drogue étant criminalisé, les sanctions sont beaucoup plus fortes.

L’autre élément, c’est qu’on a souvent des autorités de régulation faibles dans nos pays. Cela veut dire que dans la capacité de contrôler et de maîtriser la circulation des médicaments, on a des soucis. Et que tout ce qui est hors-circuit, ils ont du mal à le gérer. Par contre, tout ce qui est maîtrisé dans nos pays, c’est le circuit officiel de distribution. Pour cela, tout passe par l’autorité. Mais tout ce qui est des structures parallèles, elles ne maîtrisent pas. J’ai donné l’exemple de Keur Serigne Bi, cela n’échappe à personne. Mais quand l’Etat laisse faire, c’est des situations comme ça qui favorisent la circulation des faux médicaments. Parce que ces gens gagnent énormément d’argent, alors que ce qu’ils vendent, c’est du poison.

Comment distinguer le vrai du faux médicament ?

Parfois, c’est extrêmement facile, surtout dans nos zones. Parce que, d’abord, tout médicament qu’on retrouve hors du circuit normal est déjà un faux. Tout médicament trouvé en dehors des officines, des structures publiques agréées, considérez que ce sont des faux ! Parce que, très souvent, ils n’ont pas l’autorisation de mise sur le marché, ils sont entrés frauduleusement dans le pays et c’est des médicaments contrefaits pour 90 à 99 %. Quand on voit un colporteur ou quelqu’un qui a sa table et qui vend des médicaments, c’est des faux. Quand vous retrouvez des médicaments au marché Ocass, au marché Thiaroye, entassés, c’est des faux. Ce sont des choses tellement simples.

Par contre, dans les pays développés, on vend sur Internet surtout, souvent des médicaments faux certes, mais qui ressemblent aux vrais.  Parce que les trafiquants font tout pour reprendre le vrai. Pour ces médicaments, il faut des moyens souvent technologiques pour distinguer le vrai du faux.

On a vu, par exemple à Touba, des dépôts identiques à des pharmacies, installés devant les structures de santé, à côté même des pharmacies. Dans ces cas, comment le patient peut distinguer réellement la bonne pharmacie ?

Au niveau du syndicat, lorsqu’on nous demande de sensibiliser la population sur l’usage des faux médicaments, nous rétorquons qu’on sensibiliserait si les gens allaient s’approvisionner dans des structures cachées. Mais comme vous dites, dans certaines zones, surtout à Touba, on laisse des boutiques se permettre d’avoir des enseignes ou même une croix. Après, on nous dit de laisser là-bas les boutiques et que l’on continue de sensibiliser les populations pour qu’elles n’aillent pas là-bas ? Cela pose problème ! Nous répondons qu’il faut d’abord fermer ces structures et, après, on sensibilisera. Parce qu’on ne peut pas laisser ces structures proliférer de sorte qu’on a du mal à distinguer le vrai du faux.

Cette situation a poussé les pharmaciens régulièrement installés à Touba à mettre leur nom sur l’enseigne, alors qu’on ne devrait y indiquer que le nom de la pharmacie. En plus de cela, les pharmaciens sont obligés de faire des spots pour informer la population des pharmacies officielles, régulières, autorisées. Cela pose problème et cela suppose qu’il y a des soucis. Au moment du Magal, les pharmaciens étaient obligés, pour informer la population, de donner la liste des 45 pharmacies officielles qui existent à Touba.

Quand un pharmacien vient d’avoir son diplôme, il n’a pas la possibilité d’ouvrir une pharmacie tant qu’il n’est pas autorisé. C’est impossible. L’autorisation suit des conditions bien précises. Il est obligé d’attendre l’autorisation du ministère de la Santé et de respecter beaucoup de conditions. Comment se fait-il qu’une autre personne non autorisée puisse ouvrir sa boutique, mettre une enseigne sans être inquiétée ? Alors que nous, pharmaciens, chaque fois que nous recevons les inspecteurs du commerce, de la pharmacie et autres, ils demandent d’abord notre autorisation.

De la même manière qu’un pharmacien ne peut pas exercer sans autorisation, comment se fait-il que d’autres personnes puissent le faire ? Rien que cet élément pourrait permettre de fermer ces vendeurs illégaux. Cela traduit encore un manque de volonté politique. L’Administration a tous les moyens pour régler le problème. Le plus facile et efficace, c’est d’aller dans toutes ces boutiques, leur demander leurs autorisations. Personne ne va leur en présenter une. C’est un moyen de fermer d’abord, avant de faire d’autres poursuites. Parce que l’exercice illégal de la pharmacie, la mise en danger de la santé d’autrui, le trafic de faux médicaments, c’est autant d’infractions. Mais on se rend compte qu’on laisse faire. Il est très difficile de sensibiliser la population face à un phénomène aussi fréquent, au vu et au su de tout le monde.

Section: