Publié le 9 Mar 2021 - 12:18
DOCTEUR FATOU MBAYE SYLLA, DG DES ÉTABLISSEMENTS DE SANTÉ

Le sacrifice d’une vie

 

De la base (les districts) au sommet de la pyramide (le Msas), le docteur Fatou Mbaye Sylla aura gravi tous les échelons. Femme de terrain infatigable, cette passionnée de l’hôpital public, longtemps dans l’ombre, a été portée à la tête de la Direction générale des établissement de santé, depuis un peu plus d’un an. Un poste bien mérité par cette femme de défis, toujours au service des hôpitaux et au chevet des malades.

 

Elle fait partie des révélations de l’année 2020. Sa relation avec les hôpitaux est d’une étroitesse rarement égalée. Docteur Fatou Mbaye Sylla adore le terrain. Directrice générale des Etablissements de santé, elle est rarement dans son bureau. Depuis sa nomination à la tête de cette direction, elle fait presque tous les matins le tour des structures sanitaires. Son plus grand défi, c’est le relèvement de la qualité de service dans les hôpitaux, les établissements de santé en général.

Sa nomination, elle la considère comme un honneur, en même temps une lourde charge. La Direction générale des établissements de santé est une nouvelle création. Avant, c’était une direction simple, logée au niveau de la Direction générale de la santé publique que gère actuellement le docteur Marie Khemesse Ngom Ndiaye.

‘’Tout le monde sait que l’hôpital est la vitrine du système. Tout ce que vous voyez, quand on parle dans la presse, en termes de récrimination, on pense directement à l’hôpital. Lequel mobilise beaucoup de ressources et le volume d’activité y est extrêmement important’’, confie le Dr Mbaye Sylla.

Cette direction dont elle a la gestion s’occupe aussi bien des structures publiques que celles privées. Native de Louga, sa région d’origine, elle passa toute son enfance et son adolescence à Thiès, parce que son père, enseignant de profession, servait dans cette région en tant que directeur de l’école de Diaxay. C’est d’ailleurs dans cet établissement que la petite Fatou passa presque tout son cursus élémentaire, avant de partir à Diamagueune pour le CM2. Puis, elle regagne le collège Camp Faidherbe pour quatre ans, avant d’être affectée au lycée Malick Sy où elle décrochera son baccalauréat scientifique.

‘’J’étais une élève très turbulente, très taquine, mais très studieuse. Au collège, certains de mes professeurs étaient mes amis. J’ai tout le temps aimé le français, les sciences naturelles et les mathématiques. Certains me disaient que j’étais distraite, surtout à l’école primaire’’. Après le Bac, Fatou est orientée à la faculté de Médecine de l’université Cheikh Anta Diop de Dakar.

‘’Je n’ai pas droit à l’erreur’’

Engagée et très déterminée à servir le système, le docteur Fatou Mbaye Sylla estime n’avoir pas droit à l’erreur dans ses nouveaux habits. Car, dit-elle avec beaucoup de fierté, ‘’je suis un pur produit du système. Je connais plus ou moins les contraintes liées à ce système. Les défis sont multiples, les attentes nombreuses. C’est d’ailleurs ce qui explique que le président de la République y est revenu à trois conseils des ministres. Je n’ai donc pas droit à l’erreur.’’

Contrairement à une perception bien ancrée, elle ne fait pas partie des médecins qui aiment rester dans les bureaux douillets de la capitale. Après 10 ans passés dans les profondeurs du pays, l’ex médecin-chef du district de Linguère a d’une parfaite connaissance du système. Sur ces terres du Djolof, elle était dans les consultations, les accouchements, les références…

Après Linguère, le Dr Sylla occupe le poste de médecin-chef du district Youssou Mbargane Diop de Rufisque. Quand celui-ci fut érigé en hôpital, elle en devient l’administrateur hospitalier. ‘’L’avantage est que j’ai fait le terrain et progressivement après, j’ai fait les hôpitaux. Je suis revenue au niveau central, le niveau stratégique. C’est la prise de décision pour l’autre niveau. L’expérience permet de prendre des décisions équitables appropriées à notre vécu. Ce qui est extrêmement important. On ne peut pas prendre de décisions pour des choses qu’on ne maitrise pas, du point de vue agent, du point de vue personne de terrain’’, précise-t-elle.

Dans l’exercice de sa fonction, cette mère de famille ne réfléchit jamais en tant que femme. Mais plutôt en tant que manager, cadre de l’Administration. Elle est arrivée à ce poste où tout est urgence, il y a plus d’un an.

Le travail au détriment de la famille

Ce rythme infernal n’est pas sans déteindre sur le management de la famille. Bien au contraire, reconnait-elle, tout en saluant le soutien indéfectible de celle-ci : ‘’Je gère au détriment de la famille. Depuis quelques mois, c’est vraiment dur. Heureusement, le mari est très compréhensif et les enfants ont grandi. Déjà, ce n’était pas évident quand j’étais en service dans les districts, puis dans les hôpitaux. Il n’y a pas eu du tout de repos. Avec ce nouveau poste qui est un double défi, tout le monde s’attendait à ce que je sois absorbée par le travail. Quand la pandémie est venue s’ajouter aux tâches, mon agenda est devenu plus que chargé. C’est vraiment compliqué. Mais on fait tout par devoir et par passion.’’

 Heureusement, se réjouit-elle, elle peut compter sur le soutien sans faille de ses enfants et de son époux, avec qui elle va bientôt fêter plus de 25 ans de mariage.

‘’Imaginez, trois ans durant, ma vie se résumait aux moments passés dans ma chambre, mon bureau et le terrain. Je ne connais rien de la maison. Si je n’avais pas une famille qui me comprend, cela deviendrait compliqué. Ma fille (la dernière) me disait un jour : ‘Maman, tu peux me donner le numéro du ministre pour que je l’appelle, parce que je ne vois plus ma mère.’ On ne se voit, à la limite, que le matin, au moment où ils vont à l’école. Nous sortons ensemble de la maison. Quand je rentre, ils sont déjà au lit’’, raconte-t-elle.

Elle n’est jamais chez elle, le week-end. Elle ne dort pas assez, ne mange presque pas. ‘’On le fait pour le pays. C’est exaltant. C’est inédit, donc, je transforme cette mission en opportunité ’’.

Au terme de ses études, le docteur Fatou Mbaye Sylla n’a jamais pensé un jour occuper ce poste. D’ailleurs, elle ne voulait même pas faire santé publique. Elle optait pour la médecine d’entreprise, parce qu’elle est une femme fashion. Elle avait même obtenu une bourse pour continuer ses études en Belgique. Mais comme le dit l’adage, on ne peut échapper à son destin. Elle n’est finalement pas partie. Non seulement parce que son mari n’était pas d’accord, mais aussi parce qu’elle venait d’accoucher.

C’est dans ces circonstances que feu le docteur Dramé lui a conseillé de faire santé publique. Aujourd’hui, elle ne le regrette pas. ‘’C’est comme ça que je suis entrée dans la santé publique. J’ai fait mon DES puis je suis partie à Linguère pour mon stage. Il y eut un problème de ressources humaines ; le médecin m’a demandé de faire mon stage. C’est comme ça qu’est né mon amour pour cette ville Linguère.  Le médecin qui était sur place a fait plus de 10 ans de service sans congé. A mon arrivée, il a demandé un congé de trois mois. Six mois après, il a demandé une disponibilité. On m’a confirmé comme médecin’’.

‘’J’ai fait toute ma scolarité au Sénégal. Je ne suis jamais sortie, sauf pour aller faire quelques cours de renforcement et d’autres certifications, habilitations, management, la vaccination. J’ai fait beaucoup de formations complémentaires’’.

Trop perfectionniste

La santé publique, à son avis, est une spécialité qui permet de régler des problèmes de la population dans sa globalité. ‘’Quand tu es dans un bureau, tu règles un problème ponctuel par rapport à un malade donné. Je n’aurais jamais imaginé, même dans mes rêves les plus fous, être au niveau décisionnel’’, confie-t-elle. Une des choses qui inquiète beaucoup dans son entourage c’est son énergie dans le travail. Elle-même ne sait pas d’où lui vient toute cette force. ‘’La passion que j’ai pour ce système, je n’arrive pas à me l’expliquer. Quand je travaille, je ne sens pas la fatigue. Quand j’étais en zone périphérique, le district de Linguère, avant le découpage, faisait deux fois et demie la région de Thiès. C’était plus de 12 mille km ; je faisais le tour à chaque campagne de vaccination. Je faisais les supervisions sur le terrain. J’aime aller sur le terrain, travailler pour avoir des résultats. C’est une satisfaction morale personnelle’’, dit-elle. 

Mais il n’y a pas que cela qui la motive.  Elle est perfectionniste. Elle aime les choses bien faites. ‘’A la Direction générale, à la limite même, j’empiète sur les plates-bandes de mon collaborateur des hôpitaux, parce qu’on est tout le temps sur le terrain. Rien ne vaut l’expérience vécue. C’est bien d’avoir des rapports, des données, mais il faut voir s’il y a une corrélation entre ce qu’on dit sur le document physique et ce qu’il y a sur le terrain. Parfois, j’ai l’impression que je fais du tort à mes collaborateurs. Souvent, il y en a qui ne supportent pas le rythme. Mais c’est ma nature et les gens ont appris à travailler comme ça avec moi’’, sourit-elle.

En plus d’être courtoise, le Dr Mbaye Sylla est très élégante. Sûrement, elle tient cela de sa mère. Pour elle, sa fille n’est jamais bien habillée ou bien coiffée. ‘’Quand j’étais à la Fac, c’était pareil. Souvent, les gens disent que ma maman est beaucoup plus belle que moi. Qu’elle est plus élégante que moi. Peut-être, je le tiens d’elle. Autant je suis passionnée de mon travail, autant j’aime me sentir bien, en m’habillant correctement. C’est naturel. C’est comme se lever le matin et aller au travail. J’adore être assez correcte, pas de maquillage extravagant’’, soutient-elle.

D’ailleurs, elle pense qu’une ‘’autorité’’, c’est un tout. Il doit avoir la tenue. Quand un médecin est devant ses malades, il doit être correct. ‘’Je n’ai jamais aimé ce cliché des intellectuels avec des lunettes, des boutons au visage. Bien qu’on ait fait la médecine et c’est très dur, il n’empêche, on sait se mettre en valeur. Il est vrai qu’il y a des moments où on n’avait pas la tête à ça, mais quand on les dépasse, on retourne à nos bonnes vieilles habitudes’’.

Même si elle est très occupée, le docteur Fatou Mbaye Sylla se crée le temps de se divertir. Son dada ? La musique, les restaurants. ‘’J’adorais sortir, aller au restaurant. Surtout après les examens, on allait en boite, en concert. Mais depuis quelques années, je suis complètement déconnectée. Quand j’étais plus jeune, j’écoutais les Bob Marley, Whitney Houston, le mbalakh avec Youssou Ndour... J’aime bien la musique sénégalaise. J’aime les plats biens faits, la bonne cuisine. J’aime recevoir. Quand le temps me le permet, j’adore m’entourer de ma famille et des amis de mon mari’’, partage-t-elle.

En tant que femme, elle n’a jamais connu la discrimination au travail.  C’est pourquoi elle est convaincue qu’au Sénégal, il n’y a pas de discrimination professionnelle. Que les hommes acceptent de plus en plus les femmes qui ont le profil de l’emploi et qui occupent des postes de responsabilité. ‘’Je n’en doute pas, parce que j’ai gravi des échelons.

J’ai travaillé avec des hommes et des femmes qui m’ont respectée. Je n’ai jamais senti cette différence. Maintenant, dans la santé, la tendance commence à se féminiser. Il y a beaucoup de médecins femmes’’.  D’ailleurs, précise-t-elle, le MSAS est le seul ministère où il y a trois directeurs généraux femmes. Pour elle, le Sénégal ne peut se développer sans les femmes qui constituent plus de la majorité de la population. Elle affirme : ‘’Les femmes portent les flambeaux à l’école. On n’a plus rien à envier aux autres pays développés. Si on donne ce pays à des femmes, on se développera mieux. C’est une tendance qui le dit. Je demande à toutes les femmes de persévérer. Ce pays ne se fera pas sans nous.’’

VIVIANE DIATTA

 

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