Publié le 18 Aug 2025 - 12:08
À LA DÉCOUVERTE DE MAME THIERNO IBRAHIMA FATY MBACKÉ

L’agriculteur, l’éleveur frère de Bamba

 

Dans ce numéro d’En route vers le Magal, ‘’EnQuête’’ vous parle de Mame Thierno Ibrahima Faty Mbacké, l’agriculteur et l’éleveur.

 

Mame Thierno Ibrahima Faty Mbacké a vu le jour le 30 novembre 1865 à Porokhane, date qui coïncidait avec la bataille de Pathé Badiane (Paos Koto). Il porte le prénom d’un saint (walî) d’ethnie toucouleur, Thierno Ibrahima Kane, camarade de promotion de Serigne Mame Mor Anta Sali à l’école de Cheikh Ahmadou Bamba Sall, à Bamba-Salléen. Serigne Mame Mor donna le prénom de ce maître, qui avait lui-même fait ses classes à Taïba Bép, à son fils Cheikhoul Khadim et fit de Mame Thierno l’homonyme de son camarade et ami. Thierno Ibrahima Kane était un grand saint et ses descendants continuent de vivre en Mauritanie. Sa mère, Sokhna Fati Issa, était la fille de Serigne Koki Ndiaga Issa, fils de Serigne Ahmadou Fa Khoudia, lui-même fils de Serigne Matar Ndoumbé. Elle était aussi la fille de Sokhna Absa Mbacké, fille de Serigne Ahmadou Sokhna Bousso, fils de Mame Marame Mbacké.

Le frère de Serigne Touba, Cheikh Ahmadou Bamba, était un agriculteur hors pair.

Dans son livre intitulé ‘’Aperçu sur la vie & l’œuvre de Borom Darou’’, Mbaye Guèye Syll soutient que Mame Thierno était un fidèle dévoué. Il avait beaucoup œuvré pour Cheikh Ahmadou et avait fait ce qu’aucun autre n’aurait pu faire. Ce qui en apparaît extérieurement en est, certes, une preuve irréfutable. Qui vient à Darou Mouhty et admire cette ville avec sa grande mosquée se rend compte de la grande rétribution qu’a obtenue Borom Darou. Et cela n’est que la partie visible de la rétribution de Sokhna Fati Issa, comme le Cheikh le lui avait bien signifié.

Cheikh Abdou Khoudoss révélait que, selon lui, la grande disposition de Mame Thierno pour l’agriculture était due à un vers que Serigne Touba Cheikh Ahmadou Bamba lui dit à son départ en exil, et par lequel il lui expliquait en substance que la solidité de la foi des êtres et leur subsistance provenaient du travail de la terre. Mame Thierno était un prodige, surtout dans le domaine agricole. Le constat est que, pendant que le Cheikh combattait l’ennemi au Gabon, Mame Thierno avait rencontré beaucoup de difficultés au début et s’était juré de ne plus manquer de graines, sachant qu’il lui fallait juste travailler la terre. Il avait agi comme il se l’était promis, défiant les records de récolte en récolte.

En 1938, par un décret signé du président de la République française, la puissance coloniale reconnaissait les immenses mérites de Mame Thierno dans le secteur agricole.

En effet, Mame Thierno fut décoré de l’Ordre national du Mérite agricole par décret présidentiel, le 14 juillet 1938. Le dirigeant français avait choisi parmi deux cent cinquante personnes, issues de toutes les colonies, protectorats et de l’Algérie française. Le ‘’Journal officiel’’, n°265 du 11 novembre 1938, avait publié in extenso le décret et l’on pouvait y trouver le nom de Mame Thierno à la 129e place de la liste, et celui de Muhammad Moustapha à la 160e. Il n’y avait que deux Sénégalais sur la liste des récipiendaires.

Avant cela, dès 1935 (j’ai vu l’article publié dans le journal ‘’Le Temps’’, qui paraissait en France métropolitaine), le gouverneur du Sénégal en faisant part de ses craintes au ministère des Colonies, soutenait que seul Thierno Ibra Faty pouvait leur venir en aide face au risque de récoltes peu abondantes dû à un manque de semences d’arachide. Les cultivateurs avaient vendu toutes leurs récoltes, omettant de garder des graines pour l’hivernage suivant. Monsieur Syll rapporte que l’administration, après avoir fait les projections nécessaires, avait estimé le besoin en semences à 60 t.

Et comme il l’avait pensé et écrit dans sa lettre au ministre des Colonies, le gouverneur fut soulagé de trouver à Darou Mouhty Mame Thierno, qui les lui offrit.

Plus tard, quand on envoya le commandant de Louga pour signer avec Mame Thierno un échéancier dans le cadre du remboursement de ces 60 t de semences, Mame Thierno ne signa aucun document. Il leur avait offert les graines et l’avait fait exclusivement pour la face d’Allah. Mame Thierno répondit au commandant : ‘’Vous êtes des indigents qui passez d’un État à un autre. Comment pourrai-je accorder du crédit à des créatures dont la capacité à rembourser est aléatoire ? C’est à Allah que je confie les dépôts et Lui seul sait combler son serviteur.’’

Nous savons aussi que, lors de la grande famine, les chefs de canton qui complotaient contre lui et le mettaient en mal avec les administrateurs coloniaux étaient revenus à Darou Mouhty lui demander des graines, qu’ils repartaient distribuer dans leur canton afin d’aider la population. De même, lors de la Seconde Guerre mondiale (1939-1945), le gouverneur avait écrit une lettre à Borom Darou, lui soumettant son besoin de trouver des céréales pour nourrir la population carcérale, le riz qui leur était destiné étant épuisé. Cheikh Abdou Khoudoss nous informait que le lieutenant Yoro était l’agent commissionné à cet effet. Ne comprenant pas très bien la langue wolof, il s’était exclamé à la vue de l’énorme quantité de mil rassemblée par Mame Thierno : ‘’Ah ! Tout ce mil, on dirait du sable. Tu en as assez, vraiment, pour nous vendre les 30 kilos à 5 F.’’

Cette saga agricole, Mame Thierno l’avait entamée en quittant Darou Marnane pour s’installer à Khabane. Il l’avait continuée partout ensuite. À Darou Kosso, village que Mame Thierno fonda en 1923, les situations étaient encore plus difficiles, surtout la première année. Mais, naturellement, Mame Thierno aimait la bravoure et l’esprit de sacrifice, qui lui donnaient une capacité de dépassement qu’il transmettait à ses fidèles disciples. Serigne Mawade Wade et Serigne Modou Diop Témour racontaient que Mame Thierno disait, à chaque fois que les travaux étaient divisés et attribués, qu’ils finiraient sans nul doute, connaissant leur courage et leur ardeur au travail.

Aux champs, les disciples cultivateurs apportaient un fauteuil sur lequel Mame Thierno s’asseyait, leur faisant face, encourageant et supervisant le travail jusqu’à la fin de la journée. Une fois, une tornade s’abattit en plein champ, mais Mame Thierno ne bougea pas du lieu où il se trouvait, alors même qu’il avait permis aux disciples qui ne disposaient pas de vêtements de rechange de se mettre à l’abri de la pluie.

Mame Thierno chérissait les disciples. Il les appelait ‘’mes enfants de cœur’’. Ses propres enfants, il les appelait ‘’mes fils de sang’’.

Les premiers instants de Mame Thierno à Darou Kosso n’avaient pas été de tout repos. Les disciples avaient souffert avec lui. Ils sculptaient les troncs d’arbres qu’ils abattaient et s’y allongeaient comme sur un lit pour dormir. Ils allaient jusqu’à Touba pour chercher de l’eau et passaient les deux tiers de la nuit à psalmodier le Coran et les saints poèmes du Cheikh.

Mame Thierno, un grand éleveur

La renommée de Mame Thierno dans l’agriculture a atteint un niveau tel que ses performances dans l’élevage en sont presque passées sous silence. Cependant, Mame Thierno s’occupait de plusieurs espèces, contrairement aux éleveurs contemporains qui ne disposent que de quelques ovins et bovins. Borom Darou possédait plusieurs équidés, dont des chevaux et des ânes. Les ânes, sur lesquels le mil était transporté à Diourbel, pouvaient se compter jusqu’à trois cents. Il y avait des disciples à qui la charge de pourvoir à leurs soins était spécialement dédiée.

Parmi ces disciples chargés de s’occuper des troupeaux d’ânes, il y avait Baye Mandoumbé Dieng. Baye Mandoumbé avait été envoyé par le Cheikh à Borom Darou, mais, ayant eu vent de la belle ambiance qui régnait à Thiéyène, il fuyait pour y retrouver le Cheikh. Thiéyène était constitué, selon les archives de 1908, seulement après l’arrivée du Cheikh, de quatre-vingt-quinze cases et deux tentes. Il y avait cent cinquante hommes et une vingtaine de femmes.

Mame Thierno avait réussi à être autosuffisant avant même la fondation de Darou Mouhty, en 1912. Tout ce dont il avait besoin pour nourrir sa famille et les fidèles était produit par eux-mêmes, et en quantité.

Déjà, lorsque Borom Darou était à Mbacké Kajoor, il avait offert deux chevaux pur-sang à Mbakhane Diop, fils de Lat Dior. Il prenait soin des chevaux comme des autres espèces.

Monsieur Syll rapporte : ‘’Mame Thierno s’était rendu à Tivaouane. Il souhaitait obtenir des cartouches de fusil parce qu’il venait de fonder Darou Mouhty et que la brousse environnante était remplie de bêtes sauvages, sans compter la violence qui s’était invitée, causant la mort de deux disciples. Le commandant du cercle de Tivaouane, tellement fasciné par la prestance et la beauté des chevaux de Mame Thierno, ne put s’empêcher de lui en demander un. Mame Thierno lui proposa d’aller lui-même choisir les deux qui lui plaisaient le plus.’’

Mame Thierno était généreux. À Mbacké Kajoor, il donnait aussi des surnoms aux chevaux qu’il montait pour se déplacer. L’un s’appelait Himmadu, un autre Imaan, un autre Islam. Il y avait Nuur aussi, et Dawaamu. À Darou Mouhty, il avait un cheval distingué qu’il avait surnommé Mourwadatou.

Mame Thierno alliait le spirituel et le temporel. Il adorait le Seigneur comme personne ne l’a pu, mais travaillait avec ardeur et science, obtenant, dans ces deux domaines, des résultats qui dépassaient toute espérance. Il était un fervent homme de sciences.

L’écrivain conclut : ‘’L’exemple de Mame Thierno doit être revivifié et suivi pour atteindre l’autosuffisance alimentaire, qui est un vœu si cher à notre pays. Il est temps de vulgariser le modèle et de connaître la façon dont Mame Thierno exerçait. Les moyens sont plus nombreux de nos jours. Il y en avait bien peu au temps où Borom Darou faisait ses prouesses, mais la volonté, l’abnégation et la détermination lui permettaient d’obtenir des résultats exceptionnels. Mame Thierno avait développé le concept d’indépendance au point d’avoir des stocks de toutes les denrées alimentaires dont ils auraient besoin, ainsi que l’ensemble des matériaux nécessaires à l’activité agro-sylvo-pastorale et à la construction de ses habitations. Il aidait la puissance coloniale dans divers aspects, mais n’avait sollicité leur soutien en rien. Mame Thierno personnifiait l’autonomie.’’

CHEIKH THIAM

Section: 
SAINT-LOUIS HIVERNAGE 2025 : La psychose des inondations perturbe la quiétude des populations
Le séjour du Cheikh Ahmadou Bamba à Daroul Manaan en 1903
MATAM : Dans l'attente des moutons mauritaniens pour casser les prix 
CRISE DE COMMERCIALISATION DANS LA ZONE DES NIAYES : Diagnostic d’un mal profond
PRODUCTIONS AGRICOLES : Le casse-tête des pertes post-récoltes
ABUS ET VIOLENCES CONTRE LES ENFANTS : Ce que dit le Code pénal
AGRESSIONS SEXUELLES ET MALTRAITANCE A SAINT-LOUIS Des fléaux qui détruisent la vie de milliers de jeunes enfants
ENTRETIEN AVEC KHADIM NDIAYE, CHEF DU SERVICE REGIONAL DU COMMERCE DE THIES ‘’Assurer un approvisionnement stable et contrôlé durant le ramadan’’
SAINT-LOUIS : SITUATION DU MARCHÉ À LA VEILLE DU RAMADAN : Entre préoccupations des populations et assurances des autorités
HAUSSE DES PRIX DES DENRÉES DE PREMIÈRE NÉCESSITÉ Une préoccupation croissante à l'approche du Ramadan
ÉTHIQUE ET DÉVELOPPEMENT DURABLE : La pensée de Baye Laye sur la question
QUÊTE DE POIDS CHEZ LES FEMMES : Belles à tout prix
MEISSA DIÈYE - COMMISSAIRE EN SERVICE À LA DIVISION DE LA CONSOMMATION : “Ces produits sont généralement introduits de manière frauduleuse”
THIÈS - IMPACT DE LA GRÈVE DES TRAVAILLEURS DES COLLECTIVITÉS LOCALES : Tout le monde trinque
DÉCLARATIONS DE NAISSANCE, MAIRIE DE SICAP MBAO : Le calvaire des parents
LINGUÈRE – GREVE DES AGENTS DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES : Les agents n’excluent d’entrer dans la danse
SAINT-LOUIS : POUR SE PROCURER UN ACTE ADMINISTRATIF : Les usagers galèrent dans les centres d’état civil
PIROGUE AU LARGE DE DAKAR : Plusieurs indices mènent à Mbour  
DRAME DE L’ÉMIGRATION IRRÉGULIÈRE : Le drame de trop !
DRAME ÉMIGRATION CLANDESTINE : La police de Saint-Louis interpelle 20 candidats et 4 présumés trafiquants