Publié le 8 Mar 2016 - 19:13
EN VÉRITÉ AVEC ME AÏSSATA TALL SALL

‘’La situation au Parti socialiste est tendue’’

 

C’est une femme très décontractée, le sourire aux lèvres, qui nous accueille chez elle. Juste au lendemain des échauffourées à la maison du Parti socialiste, Aïssata Tall Sall a repris le cours normal de sa vie. En ce dimanche, elle revient du sport et compte profiter de sa journée. Issue d’une fratrie de 9 filles et deux garçons, cette femme que certains appellent affectueusement ‘’la tigresse de Podor’’ est au cœur des remous politiques au sein de son parti. Mais l’avocate prévient qu’elle ne veut pas aborder ce sujet même si elle finira par lâcher quelques mots.  Aïssata Tall Sall  préfère plutôt parler de cette journée (8 mars) dédiée à la femme. Dans une ambiance bon enfant, le maire de Podor revient dans cet entretien sur sa vie d’avocate, sa vie de mère et d’épouse, son statut de femme politique … Bref de sa condition de femme.

 

Vous êtes l’aînée de votre famille et la première à faire des études à part votre père. Comment se sont passées les choses à l’époque pour vous ?

Ça n’a pas été du tout facile pour moi. Malgré le fait que cette famille soit maraboutique, mon père a décidé qu’il nous mettrait à l’école. Nous sommes une famille nombreuse où nous comptons neuf (9) filles et deux (2) garçons et mon père a estimé qu’il fallait nous mettre tous à l’école. Mon grand père qui tenait le foyer religieux voulait que l’on apprenne coûte que coûte le Coran. L’école n’étant pas très loin de la maison, on était toujours libéré à un quart d’heure de la rentrée des classes. Ensuite, comme j’étais l’aînée, il fallait que je sois vraiment trempée dans un caractère, presque une camisole de force parce qu’il y a beaucoup de choses que je n’avais pas le droit de faire comme toutes les autres petites filles.

Une fois, mon père m’a giflée parce que je mangeais des cacahuètes à l’entrée de l’école. Chez nous, une femme ne mange pas en public, encore moins en dehors de la maison. Voilà des choses qui m’ont beaucoup marquée, le fait tout le temps de vous faire comprendre qu’il y a des gens derrière vous, que vous devez montrer le bon exemple. Ça, à la limite, c’était même du traumatisme car, aujourd’hui encore, avant de faire quelque chose, je me pose beaucoup de questions sur ce que les gens vont penser ; est-ce que ça colle à mon image d’aînée. ? Ça, on grandit avec, on vieillit avec et on meurt avec. Etant une grande famille, on avait aussi nos distractions, notre intimité et tout cela contribuait à notre équilibre.

Vu votre enfance et l’éducation que vous dites avoir reçue de vos parents, comment en êtes vous arrivée à la profession d’avocat ?

Rien au départ ne me prédestinait à ça, compte tenu des pratiques de la tradition de notre famille et compte tenu du fait que sur la profession d’avocat, mes parents, particulièrement mon père, avaient une opinion, je ne dirais pas négative mais, assez réservée. Parce qu’ils considéraient que nous, enfants de marabouts, nous n’avions pas à aller dans ces professions où on peut être tenté par des choses un peu vénales telles que l’argent, le confort matériel, etc. Mon père lui, il disait non, ce n’est pas un métier pour toi. De surcroît, parce que je suis une femme, qui était appelée à se marier, à fonder une famille, que ça ne pouvait pas être mon métier. Il me voyait plutôt enseignante et d’ailleurs, c’est ma vocation ratée. Je n’ai pas réussi à l’être.

Mais moi, j’ai découvert la profession d’avocat avec mes études de droit. En deuxième année, avec l’exercice que l’on appelle le commentaire et où on commente la décision de justice, on la critique, on la rend même en lieu et place du juge, j’ai trouvé que c’était une profession extraordinaire. Elle vous forge un esprit critique, elle vous forge au dépassement et à la raison discursive.

Ce que craignait votre père pour vous, vous semblez l’avoir réussi. Vous êtes avocate, épouse et mère. Comment conciliez-vous tout ça ?

Ça n’a pas été facile et je dois de ce point de vue une fière chandelle à mon mari qui est lui aussi magistrat et qui comprend un peu les enjeux de la profession d’avocat, qui m’a épousée alors que j’étais déjà avocate. Donc il savait déjà à quoi s’attendre. Ensuite, il m’a encouragée à évoluer dans cette profession, en me disant : ou tu fais partie des meilleurs, ou tu vas faire autre chose. Le reste, je le dois à mon caractère. Moi, je n’aime pas faire les choses à moitié, peut-être parce que je suis l’aînée et qu’on m’a fait comprendre très tôt ma posture et ma responsabilité. Donc, je me suis lancée à fond dans ce métier, presque en m’y confondant. Et j’ai eu beaucoup de plaisir à exercer ce métier car, pour moi, la vie est un éternel recommencement de défis multiples. Et chaque fois que je réussissais à en mettre un de côté, surtout de mon côté, j’en étais très contente. Chaque fois que je constatais que c’est un échec, je me disais qu’il faut encore recommencer. Cela m’a beaucoup aidée dans ma profession. Le reste est venu s’ajouter à tout cela, que ça soit ma vie de famille, de politique ou sociale.

Vous vous êtes mariée à quel âge ?

(Elle sourit) Je me suis mariée étant vieille fille pour une ‘’Haal Puular’’ car j’avais 30 ans. Je me rappelle que mon grand père disait à mon père qu’il faut nous mettre dans un couvent, ma petite sœur et moi parce que personne ne va épouser une fille qui a le baccalauréat. Ça, c’est la société ‘’Haal pulaar’’ avec sa manière de voir et de concevoir les choses. Toutefois, c’était clair pour moi. Il fallait d’abord terminer les études avant de se marier et mon père était d’accord.

Peut-être que vos enfants ont grandi aujourd’hui. Mais à l’époque, vous étiez sur plusieurs fronts. Comment vous avez fait pour vous en sortir comme mère ?

J’ai dû sacrifier pas mal de choses auprès des enfants. Mais, dans la vie, il y a des choix à faire. Quand on dit mère de famille, il y a un minimum qu’on donne aux enfants. Passé ce minimum, il y a un temps consacré à son épanouissement personnel et à celui des enfants. La vie est un tout, chaque chose en son temps. L’essentiel, c’est de comprendre l’enjeu de toute chose, en son temps précis. Aujourd’hui, ils sont grands et j’entretiens avec eux une relation extraordinaire. Ce sont des enfants qui comprennent le monde dans lequel je suis, qui parfois même veulent me corriger sur le plan politique. Ils acceptent ma vie.

N’y en a-t-il pas parmi eux certains qui seraient tentés de suivre vos traces, que ce soit politique ou professionnel ?

Il y a les deux. Il y a ma fille qui souhaite être avocate ; elle a fait des études de droit et elle se prépare à ça. Et, il y a les garçons qui aiment discuter de politique, parfois même ils me critiquent. Ils ont un œil très passionné de ce que je fais et de la scène politique en général. Je crois que forcément, l’un d’entre eux va finir dans la politique.

Etre avocate n’était déjà pas évident mais comment êtes-vous entrée en politique ?

Par accident. Moi, au départ, absolument rien ne me prédestinait à cela, d’abord à cause de la tradition familiale, quoique mon père ait embrassé la politique. Il a été dans les jeunesses du Bloc démocratique sénégalais (BDS). Quand Senghor l’a créé en 1948, c’est Mame Thierno Seydou Nourou Tall qui était venu à Podor demander à nos pères de faire de la politique. Donc, mon père s’y est lancé jusqu’à un âge avancé. Pour autant, il ne souhaitait pas que moi, j’en fasse. Ce, peut-être parce qu’il a compris les difficultés et cruautés de la politique.

`Il préférait que je m’en arrête à ma profession. Ceci, jusqu’au jour où, en 1996, feu Pape Alioune Ndiaye a proposé que j’entre au Club nation et développement. Il y avait lui, Pierre Goudiaby Atepa, Djibo Leyti Kâ, entre autres, qui discutaient de toute chose politique, économique, culturelle. J’y suis restée pendant deux ans et Ousmane Tanor Dieng m’a repérée. Il a décidé de mettre un nouveau groupe de réflexion au parti socialiste. Il m’a cooptée et j’ai commencé mes activités politiques, sans pour autant avoir la carte de membre du Ps. J’ai été dans ce groupe de réflexion de 1996 à 1998, année à laquelle je suis entrée dans le Gouvernement comme ministre de la Communication, porte-parole du Gouvernement.

C’est en 2000, lorsque nous avons perdu le pouvoir, que j’ai décidé que mon engagement politique dans le Ps et auprès d’Ousmane Tanor Dieng devait être déterminant. D’abord, parce que je n’aime pas perdre. Quand je perds, je continue de me battre. Ensuite, parce que je me suis dit que la démocratie, ce n’est pas seulement le pouvoir, c’est aussi l’opposition. Et quand j’ai vu le spectacle grandiose de cette transhumance, j’ai dit qu’il y a quelque chose à faire. Peut-être que je me suis surestimée mais, je me suis dit, dans mon cabinet d’avocat, que ce serait lâche pour moi de continuer mon petit train train pour moi, comme si rien ne s’était passé, sous prétexte que je n’ai pas la carte du parti, que je ne suis responsable de rien, continuer à gagner ma vie et oublier ce qui s’est passé. J’ai dit non, je vais me battre car, si moi, étant dans une profession libérale, je ne m’engage pas dans l’opposition, qui va le faire ? Ce n’est pas le fonctionnaire qui va craindre tous les jours pour son poste.

Et vous ne regrettez pas d’être entrée en politique

Pas du tout. Je ne le regrette pas. C’est une vie dans la vie, c’est même plusieurs vies dans la vie. La politique nous apprend beaucoup de choses. Elle vous apprend à dominer vos pulsions, à éteindre vos passions, à porter un combat auquel vous croyez uniquement pour l’avènement de vos idées, à abandonner vos intérêts personnels, à voir les gens qui étaient avec vous aujourd’hui se remettre demain à être presque vos ennemis le lendemain et surtout à comprendre que c’est le jeu, à le supporter et à réussir à le vaincre.

Et tout ça, vous y arrivez ?

Je ne sais pas si j’y arrive mais je peux vous dire que je suis rarement perturbée en politique. Et c’est la politique qui me l’a apprise. Senghor disait qu’en politique, il faut apprendre à souffrir. C’est cette souffrance qui vous permet d’aller de l’avant. La politique m’a transformée, elle m’a apportée un plus dans le façonnage de ma personne. Il y a des choses que je faisais avant que je ne fasse la politique et qu’aujourd’hui je ne ferai pas. II y a des choses qui m’ébranlaient qui ne m’ébranlent plus. J’en ai tout vu, je suis revenue de tout donc, il n’y a plus de problèmes.

Il y a quelques jours, vous avez annoncé que vous allez voter ‘’NON’’ au référendum, position contraire à celle annoncée par le Secrétaire général du Ps, Ousmane Tanor Dieng. Depuis lors, les sorties se multiplient sur votre cas mais on ne vous voit pas réagir

Je pense que c’est à cause de mon métier d’avocat, allié à ma petite expérience. Finalement, c’est ça la vie. C'est-à-dire que quand vous vous livrez et que vous donnez votre parole, cette parole ne vous appartient plus. Vous l’avez jetée sur la place publique mais, vous devez donner la liberté aux autres de dire ce qu’ils en pensent. C’est une déformation professionnelle. Quand je suis à la barre d’une Cour et je plaide, une fois que j’ai fini, je laisse à mon contradicteur la parole. Et le plus dur pour l’avocat, c’est de parler le premier, de s’asseoir et d’écouter les critiques objectives, parfois même subjectives de l’autre confrère qui est en train de démolir toute cette thèse que vous avez montée avec beaucoup de grandiloquence. Et après, on va voir le juge qui décide. Je supporte tout ça.  Et je pense qu’inconsciemment, c’est ce que je transfère en politique.

Seulement, une chose est sûre, c’est qu’en politique, je ne dirai jamais les choses pour être méchante. Quand je dis quelque chose, c’est que j’en suis convaincue. Et une fois que je l’ai dit, je laisse aux autres le soin de critiquer, d’apprécier, de rejeter. Mais en tout cas moi, c’est ma vérité et ma conviction. C’est la raison pour laquelle je ne suis pas ébranlée par tout ce qui se dit, ces critiques.

Vous dites ne pas être ébranlée par tout ce qui se dit mais après ce qui s’est passé ce samedi, quelle est la situation au parti socialiste ?

C’est vrai que la situation au parti socialiste, elle est très tendue. Ça, je vous le concède. Mais, à l’instar des avocats et des magistrats, tout ça, c’est une question de caractère et de personnalité… Je suis pour que les gens s’expriment librement mais, qu’ils s’expriment aussi dans la courtoisie, avec de la décence. C’est ce qui est attendu de nous. Le plus difficile en politique, c’est de parler sans blesser les gens et quand je parle des gens, je parle de ces camarades.

Quels sont vos rapports avec Khalifa Sall et Ousmane Tanor Dieng ?

Moi, je n’ai pas de problèmes personnels avec mes camarades socialistes. Quand je les vois, tous autant qu’ils sont, on se salue, parfois même on se fait l’accolade et on a même quelques mots de civilités. Maintenant, quand vient le moment du débat et des idées, je porte mes idées car, elles sont miennes. Je crois que tout ça fait que chacun vient dans la politique avec son tempérament, son éducation. La vocation d’un parti politique, ce n’est pas de refaire l’éducation des gens. Juste pour vous dire que nous les responsables, nous avons encore énormément de choses à faire, indiquer la politique est peut-être le champ des hostilités et non le champ de l’invective, de la violence.

Justement, ce n’est pas habituel de voir une telle violence au Ps…

Je suis sûre que ça a choqué parce que le Ps est un parti de débat. Vous savez, quand on laisse les gens parler, ils ont fini d’être mécontents. Mao Tse Toung disait qu’il vaut mieux faire bla-bla que boom-boom. Le bla-bla en politique, c’est une thérapie. Il faut organiser le temps de parole et même de la parole critique. Quand on ne le fait pas, les choses se cristallisent. Donc, il faut que le Ps continue cela, d’autant plus qu’aujourd’hui, c’est une lourde responsabilité car, les débats se mènent à l’intérieur, dans les médias. Pas par les socialistes eux-mêmes mais, par ceux que l’on appelle les chroniqueurs, les politologues. Moi, parfois, je vois quelqu’un parler de moi à la télé, je me demande si c’est de moi qu’il s’agit. Tellement, ils racontent des choses fausses. C’est cela qui accentue notre responsabilité de tenir ces débats, même si c’est difficile. Il faut le tenir libre et responsable sinon, on assiste à des tensions inutiles, dont on peut se passer.

De quoi s’agit-il réellement ?

Il s’agit seulement d’aller au référendum ; il faut comprendre les idées, être d’accord ou ne pas l’être. L’enjeu n’est pas ailleurs. Il ne s’agit pas de choisir un président, ni d’élire un député, ni un maire. C’est quoi l’enjeu ? Mais, quand je vois comment le pouvoir a mis la barre de façon électoraliste, je me demande si ces gens-là ont compris c’est quoi le référendum. Est-ce que le Président peut dire à des ministres d’Etat, à des directeurs généraux, qu’à partir de ce moment, allez dans vos bases et quiconque aura perdu, sera renvoyé ? C’est quoi cette façon de faire ? Pour moi, c’est de l’électoralisme alors qu’il y a des idées qui sont portées par ce référendum, les a-t-on comprises ? Si oui, est-on d’accord ? Si non, on vote non. C’est fini. Il n’y a pas un autre enjeu.

Que pensez-vous du contenu des réformes soumises au référendum ?

Le meilleur service qu’on aurait pu rendre à ce référendum, c’est d’expliquer son contenu. On ne l’a pas fait. Aujourd’hui, on est sur des postures politiciennes et le référendum est dévoyé. C’est vraiment désolant et il faut avoir le courage de le dire, c’est le camp du pouvoir qui l’a commencé.

Tout à l’heure, vous avez dit que vous êtes une personne qui n’aime pas perdre. Pourtant, vous avez failli perdre la mairie de Podor. Comment avez-vous vécu cela ?

Je n’ai jamais failli perdre la mairie. Moi, je l’avais gagnée et je l’ai bien gagnée. Mais il se trouve que ça aussi, c’est la politique, il faut l’apprendre. Il est beaucoup plus important d’apprendre à perdre qu’à gagner. Il se trouve que quand vous avez en face quelqu’un, qui ne sait pas ce que c’est que perdre, qui ne sait pas ce que c’est la politique, à qui on n’a pas appris ce précepte élémentaire, le combat après, il se transforme. C’est la raison pour laquelle on a quitté le terrain politique où j’avais fini de gagner pour nous transplanter sur le terrain judiciaire. Et un juge qui a voulu faire ce que bon lui semblait a décidé que j’avais perdu. Moi, à Podor, il est arrivé que je perde.

Et quand j’ai perdu, j’ai regardé les populations en face et je les ai remerciées et j’ai souhaité bonne chance à ceux qui avaient gagné. Ensuite, je suis repartie à la base pour retravailler encore. Parce que la défaite, elle vous apporte quelque chose, elle vous apprend des choses sur vous-même, sur les autres. Elle vous corrige et vous oriente. Pour moi, la défaite en politique n’est pas une catastrophe. On s’en relève et on continue. A Podor, ce qui s’est passé, c’est que moi j’ai gagné. On était dans des positions très tendues, où deux camps se font face, les décomptes se rétrécissent. Et il ne faut pas oublier que moi, à Podor, je n’avais pas seulement un vis-à-vis. Contrairement à ce que les gens disent, j’avais le Pds de Podor contre moi, l’Apr de Podor contre moi et quelqu’un qui avait des moyens financiers que moi je n’ai pas. C’est tout cela qu’il fallait surmonter. Mais en démocratie, les victoires les plus belles se gagnent ainsi.

Parlons à présent de cette tension entre avocats et magistrats. Que pensez-vous de cette situation et avez-vous joué un rôle pour essayer d’apaiser les esprits ?

Les tensions entre avocats et magistrats ont toujours existé. C’est deux professions qui cohabitent et en même temps, qui se tournent le dos. Il n’y a rien que les avocats dans leur métier font pareil que les juges dans leur métier et pourtant, ils sont condamnés à vivre ensemble. C’est comme une médaille, on ne peut pas les avoir ensemble sur une même configuration. Toutefois, jamais les choses n’ont atteint ces proportions. Quand j’ai prêté serment, j’ai trouvé qu’un juge avait suspendu un avocat et les avocats étaient sidérés. Ils se sont même battus après pour qu’on enlève au magistrat la prérogative de pouvoir suspendre automatiquement. Mais on est toujours resté sur les principes en disant : battons-nous pour que les règles changent. On n’a pas cristallisé, on n’a pas invectivé. Ce sont ces proportions que les différends prennent. Vient s’y ajouter que c’est médiatisé et ça a fait encore porter des circonstances aggravantes.

Quand cela s’est passé, Dieu et quelques magistrats me sont témoins, je suis partie voir le président de l’Ums qui, à l’époque, était au cœur de cette affaire-là avec notre confrère Me Mame Adama Guèye. Je ne l’ai pas trouvé. Moi je considérais que je devais faire partie de ces gens de justice, qui ont une parole à porter de réconciliation, de responsabilité,  d’apaisement, en considérant que nous sommes d’une même famille. Et qu’aujourd’hui, vu l’état dans lequel la politique se trouve, vu le regard que les gens portent sur les acteurs politiques, le seul rempart de sérénité, de stabilité, c’est celui judiciaire. Mais, si ce qui se passe en politique gangrène la justice, alors c’en est fini. Nous les acteurs de la justice, nous devons être au-dessus de tout ça, nous devons éviter ces querelles pour que les populations continuent d’avoir foi en la justice. Parce que quand ils ont tout perdu, c’est vers la justice qu’ils se tournent. Je n’ai pas trouvé le président de l’Ums, après j’ai voyagé mais heureusement, les choses se calment. Toutefois, il faut en tirer des leçons. La leçon, c’est que nous avons des organes, Ums et bâtonnier, que la communication soit plus fluide entre eux car, tout ça part d’un défaut de communication. Il y a régulièrement ce qu’on appelle une assemblée générale du Palais et cela permet que les deux faces de la médaille soient mises ensemble, que chacun dise ce qu’il pense. Mais tout ça est une question de personne, de caractère.

Mais on est allé jusqu’à soulever un problème de corruption dans la magistrature …

Nous les avocats, on a toujours pensé, à tort ou à raison, que parfois la justice connaît des travers et des distorsions. Mais tout ça, on en parlait entre nous. On se plaignait auprès du bâtonnier et celui-ci allait se plaindre auprès du premier président de la Cour d’appel ou auprès du président de la Cour suprême. Et c’est ce qui a changé. Je crois que des fautes ont été commises par les avocats, d’autres par les magistrats. Je pense qu’il faut qu’au niveau  des deux corps, que chacun prenne de la hauteur pour pouvoir dissiper tout ça. Le spectacle que ça a donné du justiciable a été particulièrement effrayant.

Podor est l’une des villes les plus propres du Sénégal. Comment avez-vous réussi une telle prouesse ?

Je pense que c’est parce que je suis une femme. Nous les femmes, nous portons un destin de propreté. C’est notre premier réflexe le matin, par rapport à nos maisons, nos enfants. C’est un réflexe, c’est notre penchant. Donc j’arrive à Podor en 2009 et je découvre sur le papier qu’il y a un projet financé par le Duché de Luxembourg sur le ramassage et la transformation des ordures ménagères. Je prends ce dossier, je vais à l’Ambassade et on décide de le mettre en place. C’est ce qui fait qu’à Podor, vous ne verrez pas un dépotoir d’ordures dans la rue, vous ne verrez pas un tas d’immondices ni interdit d’uriner parce que personne ne le fait. Chaque maison dispose de deux poubelles : une pour celles poussiéreuses et une autre pour celles solides. Nous avons utilisé les ânes pour les charrettes et elles ramassent les poubelles chaque matin. Une partie va dans un centre de tri et le reste dans un centre d’enfouissement. Le système a marché parce que nous avons impliqué les femmes. Nous avons beaucoup communiqué là-dessus et ce sont les femmes qui portent le système de propreté à Podor.

Revenons à la femme que vous êtes. Vous arrive-t-il de cuisiner ?

Elle rit. Ce n’est pas du tout ma tasse de café parce que je ne me souviens plus depuis quand je n’ai pas cuisiné. D’abord parce que je ne suis pas très gourmande, ensuite parce que mon mari est très facile de ce point de vue. J’ai une excellente gouvernante qui fait bien la cuisine.

En ce 8 mars, que dites-vous aux femmes, surtout aux jeunes qui aspirent à un bel avenir ?

De donner un sens à leur vie. Savoir choisir, à partir de qui on est, ce qu’on va faire. Il ne faut jamais, quand on est jeune fille, être hésitante sur le choix de sa carrière, sur le choix de son mari. Il faut se décider et se déterminer de façon claire sur ses choix. Une fois ces choix faits, travailler pour l’avènement de leur réussite. Il faut qu’elles comprennent que dans le monde où nous sommes, le courage, la détermination, l’abnégation sont des valeurs importantes. Qu’elles comprennent aussi qu’elles portent l’avenir de ce continent. Il y a moins de 15 jours, j’ai pris part à un séminaire à la Sorbonne sur un thème : les femmes africaines portent le continent. Comment ça se fait que c’est la société occidentale qui est en train de réfléchir sur le développement de l’Afrique à partir de la gent féminine ? Je ne souhaite pas que nous rations ce train-là. Je veux que les femmes le comprennent.

Quel est votre avenir politique ?

Pour moi, c’est mon présent politique qui compte ?

Et c’est quoi ce présent politique

(Elle sourit) C’est ce que je suis en train de vivre…

PAR AISSATOU THIOYE

 

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