Publié le 17 Dec 2014 - 14:10
FAMARA IBRAHIMA CISSE, (PRÉSIDENT DE L’ACSIF)

‘’Aujourd’hui, les banques sont devenues des prisons pour les clients’’

 

Dans cet entretien accordé à EnQuête, le président de l’association des clients et sociétaires des institutions financières (ACSIF), Famara Ibrahima Cissé, revient sur les motifs qui ont poussé son association à décréter la journée de ce mercredi ‘’journée banque morte’’. Des raisons qui sont, entre autres, le refus des institutions financières d’appliquer les 19 mesures de gratuité prises par la BCEAO et qui devraient entrer en vigueur depuis le 1er octobre dernier, les taux d’intérêts usuriers appliqués par les banques.

 

Aujourd’hui, l’ACSIF décrète une ‘’journée banque morte’’. Qu’est-ce qui explique une telle décision?

Nous avons décrété la journée d’aujourd’hui, ‘’journée banque morte’’. C’est pour protester contre le refus des institutions financières, en l’occurrence les banques et les microfinances d’appliquer les mesures édictées par la Banque centrale (BCEAO, Ndlr).

Quelles sont ces mesures prises par la BCEAO ?

La Banque Centrale, les Chefs d’Etats des pays de l’UEMOA, les associations des clients de banques ainsi que l’association des professionnels de banques avaient signé un document comportant 19 mesures. Entre autres mesures, il y avait l’ouverture du compte qui devait être gratuit, les frais de fermeture de compte devraient être aussi gratuits, les relevés de compte gratuits, les Sms envoyés aux particuliers-clients devraient être aussi gratuits. Tout un arsenal de mesures ; au total 19 dispositions que la BCEAO avait  édictées, pour que, à compter de la date du 1er octobre 2014, ces services bancaires soient gratuits.

Et jusqu’à présent ces services que vous avez cités ne sont pas gratuits ?

Du 1er octobre à nos jours, les banques ont manifesté un refus catégorique d’appliquer les mesures de gratuité. C’est en protestation contre ce refus que l’association des clients de banques a décidé de décréter la journée du 17 décembre 2014, ‘’journée banque morte’’. Demain, nous allons faire une évaluation. Si toute la population reste chez elle aujourd’hui, les banques vont perdre énormément de sous. Il n’y aura pas de transactions, il n’y aura pas d’opérations, de telle sorte que les banques vont perdre énormément de gains. Nous devons tout faire  pour amener les banques à appliquer les mesures de gratuité.

Pensez-vous que les clients de banque vont observer le mot d’ordre ?

L’association est représentée dans tous les départements du pays. Nous sommes partout. Aujourd’hui même, nous raisonnons en termes de communes. Partout, nous avons des représentants qui sont en train de sensibiliser les populations pour qu’aujourd’hui, qu’aucun client n’aille à la banque. Je pense que les populations vont suivre massivement, pour que les banques arrêtent de s’entêter et, en fin de compte, appliquent les 19 mesures de gratuité. Ce sont des acquis qu’on doit consolider et ces acquis sont le fruit d’âpres combats que nous avons eu à effectuer depuis des années. Donc, il faudrait que les banques arrivent à les appliquer.

Si l’on vous comprend bien,  aucune banque de la place ne respecte ces mesures de gratuité ?

Il n’y a aucune banque qui applique ces mesures à 100%. Certaines banques appliquent les mesures à 20%, d’autres à 10% et d’autres refusent catégoriquement d’appliquer les mesures. Il y a une banque de la place qui est en train d’appliquer, d’après nos études, les mesures à 80%. Mais aucune d’entre elles ne les applique à 100%.

C’est pourquoi nous nous sommes dit qu’il est temps de mettre un terme à ce désordre. Pour y arriver, il faut que les populations se soulèvent pour que les banques puissent les appliquer parce qu’elles étaient signataires de la gratuité de ces services. Elles ont eu tout le temps parce que la Banque Centrale a eu à publier le document de gratuité 6 mois avant la date d’application des mesures. C’est pourquoi il nous échoit de pousser les institutions financières à respecter les différentes mesures de gratuité prises par la BCEAO.

Au-delà de la gratuité, les usagers de banque ont toujours dénoncé les ponctions qui leurs sont toujours opérées par les banques. Est-ce que cette pratique est toujours courante ?

Au-delà de ces mesures de gratuité, il y a énormément de tracasseries bancaires. Lorsque nous avons eu vent de l’applicabilité de ces mesures, nous avons été animé par un sentiment ambivalent, partagé entre inquiétude, soulagement et insatisfaction. Soulagement, oui. Tant soit peu, ces mesures viennent soulager les populations. C’est une prise de conscience de la banque centrale, qu’il y a beaucoup de produits que les clients sont en train de payer et qu’ils ne devraient pas payer. Un sentiment d’inquiétude parce que jusqu’à présent, les banques ne sont pas en mesures d’appliquer les mesures. Mais surtout d’insatisfaction parce qu’il y a beaucoup d’autres produits qui devraient entrer en vigueur dans cette gratuité au-delà des 19 mesures.

Il y a l’exemple de la date de valeur, les paiements par anticipation, l’attestation d’engagement et l’attestation de non-engagement. Aujourd’hui, les banques sont devenues des prisons pour les clients. Vous voulez adhérer à une institution financière, toutes les portes vous ont ouvertes. Vous êtes amadoué par la banque. Parfois le compte vous est donné gratuitement. Vous y entrez, vous découvrez tout le fonctionnement usurier de l’institution, vous émettez le vœu de quitter, elle vous créée tous les problèmes du monde.

Elle vous demande de payer l’attestation d’engagement qui n’est rien d’autre qu’un simple papier. Ce papier coûte 58 500 F à la banque. Vous remboursez l’intégralité de votre prêt avec des pénalités à l’appui ; avant de quitter, la banque vous demande encore l’attestation de non-engagement qui est aussi de 58 500 F. C’est de l’arnaque, c’est du vol. Aujourd’hui, les libertés du client d’adhérer à la banque de son choix sont inhibées, sont éteintes. C’est pourquoi nous nous sommes dit : il faudrait que l’attestation d’engagement, comme l’attestation de non-engagement soit supprimée.

Les taux d’intérêts appliqués par les banques sont aussi jugés élevés par les clients. Que compte faire  l’ACSIF pour amener les banques à faire baisser ce taux ?

Le taux d’intérêt est un taux exorbitant. La banque fait du commerce. Le banquier est un grand commerçant qui achète de l’argent pour le revendre moyennant des intérêts. Cet argent, la banque l’achète quelque part à un taux de 2,5% au niveau de la Banque Centrale. C’est inacceptable, inadmissible de le revendre à des taux de 10% voire 12%. C’est des taux exorbitants, des taux prohibitifs, des taux qui plombent aujourd’hui l’agriculture, l’élevage, des taux qui ne font pas la promotion humaine.

C’est pourquoi nous pensons que face à cette situation, il faut que l’on attire l’attention des autorités pour que les banques puissent revoir leurs taux d’intérêts. Lors du symposium marquant le cinquantenaire de la BCEAO, le président de la République était monté au créneau pour demander aux banques de revoir leurs taux d’intérêts. Malheureusement, rien n’a été fait pour que ces taux d’intérêts baissent.

 Comment faire alors pour pousser les banques à baisser leurs taux d’intérêts ?

Il suffit que les populations soient bien organisées pour boycotter toutes les banques qui appliquent des taux d’intérêts au-delà de 5%, 6%. Il faut que les banques se soumettent à la volonté populaire. Il y a plus de 21 banques dans ce pays. Et ces institutions financières sont mues par l’esprit de concurrence. La clientèle doit bénéficier de cette situation. Il suffit à nous clients de demander que les clients n’adhèrent plus dans les banques qui ont des taux d’intérêts usuriers. C’est une question d’organisation. Et avec l’aide  des clients, on peut arriver à ces résultats.

 Est-ce que les taux ne sont pas plus exorbitants chez  les microfinances ?

Effectivement. Certaines structures appliquent  même  des taux de 24%, ce qui est paradoxal. L’Etat a favorisé la création des microfinances pour permettre aux couches les plus défavorisées, qui n’ont pas accès au crédit des banques légalement constituées, de pouvoir accéder au crédit, grâce aux microfinances qui étaient même exonérées de taxes. Les microfinances sont faites pour les petites et moyennes entreprises, pour le marchand ambulant, les petits entrepreneurs. Malheureusement, le paradoxe est que, les microfinances appliquent des taux usuriers, des taux plus élevés que les taux bancaires, alors que l’esprit des microfinances, c’était de venir en aide aux populations démunies. Malheureusement, cet esprit a été trahi par les acteurs de la microfinance qui appliquent des taux allant même jusqu’à 24%.

Au-delà des microfinances, il y a des particuliers qui font ce qu’on appelle du ‘’Soul Bouki, souli Bouki’’, (de l’usure). Ces usuriers sont en train d’évoluer dans la clandestinité et ils sont même de connivence, il faut le dire, avec des acteurs de la solde. Car, ils ont la possibilité de ponctionner des salaires à la source. Ce qui est extrêmement grave. Ce qui fait que des fonctionnaires restent un an, deux ans sans percevoir de salaires. Nous avons interpellé le directeur de la solde et les autorités étatiques sur cette question parce qu’un salarié qui n’est pas à même de recouvrer son dû à la fin du mois sera dans son lieu de travail improductif.

PAR ALIOU NGAMBY NDIAYE

 

 

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