Publié le 9 Sep 2021 - 20:46
HYDRAULIQUE RURALE AU SENEGAL

Des réformes à l’application contrastée

 

Calquée sur le modèle urbain, la gestion de l’hydraulique rurale au Sénégal peine encore à produire les mêmes résultats satisfaisants.   

 

Apprendre de ses expériences positives. Tel est l’idée noble des réformes profondes engagées par le gouvernement du Sénégal dans la gestion du secteur de l’hydraulique rurale. Les réussites constatées avec la réforme antérieure du secteur de l’hydraulique urbaine ont servi de référence aux pouvoirs publics dans le processus qui a abouti à la création d’un nouveau cadre institutionnel pour la gestion de l’eau dans le secteur rural en 2014. Si la formule a des réels motifs de satisfaction à plusieurs niveaux, elle trimbale cependant quelques incohérences et difficultés, face à la différence des populations cibles et au copier-coller qui n’est pas conforme au modèle de base.

C’est en 1996 que le gouvernement du Sénégal a réellement acté l’implication du partenariat public-privé (PPP) dans la gestion de l’eau. D’abord, en instaurant une réforme dans le secteur urbain. Dans le rapport 2015 ‘’Leviers de changement dans le secteur de l’hydraulique rurale au Sénégal’’ du Programme eau et assainissement (WSP), du groupe de la Banque mondiale, le chercheur Oumar Diallo l’explique : ‘’La réforme du secteur de l’hydraulique urbaine a réparti les obligations financières et les fonctions entre deux entités : la Société nationale des eaux du Sénégal (Sones), en tant que détenteur du patrimoine chargé de financer le développement, la réhabilitation et le renouvellement du patrimoine, et un opérateur privé sous contrat, la Sénégalaise des eaux (SDE, remplacée par la Sen’Eau) chargée de l’exploitation et de la maintenance des infrastructures ainsi que de la gestion des services d’approvisionnement en eau.’’

Fort du constat que ce modèle a permis une allocation optimale des capitaux et une amélioration de la viabilité financière du secteur de l’hydraulique urbaine, le gouvernement du Sénégal a cherché à reproduire la même chose dans le secteur rural qui connaît beaucoup de difficultés dans la gestion et la distribution de l’eau, souvent issue de forages. Un nouvel établissement public, l’Office des forages ruraux (Ofor), a ainsi été créé en 2014 pour contrôler, gérer, réhabiliter et déléguer l’exploitation du patrimoine d’hydraulique rurale à travers le pays, pour le compte de l’État. La gestion et la réhabilitation des infrastructures d’hydraulique rurale ont été retirées des fonctions dévolues à la Direction de l’exploitation et de la maintenance (DEM) au sein du ministère de l’Hydraulique et de l’Assainissement (MHA).

Ofor, comme la Sones

Avec la création de l’Ofor, les principales fonctions de gestion de l’hydraulique rurale ont été réparties comme suit : le ministère de l’Hydraulique et de l’Assainissement (MHA) définit la politique du secteur, l’allocation des ressources en eau, le développement de l’investissement à travers la Direction de l’hydraulique (DH) et met en place le cadre de régulation. Il signe un contrat de performance avec l’Ofor dont la mission couvre la gestion du patrimoine, le renouvellement et l’extension des infrastructures, le contrôle et le suivi de la qualité de l’exploitation. À travers des contrats de délégation de service public (contrat d’affermage), les opérateurs du secteur privé sont chargés de l’exploitation, de la maintenance et du recouvrement.

Tout en calquant son modèle sur la Sones, la création de l’Ofor a également été motivée par le désir de tenir compte de la pauvreté en zone rurale. Pour sauvegarder la stabilité financière du sous-secteur sans surcharger les ménages ruraux par l’augmentation rapide des prix, il convenait de mettre en place une institution capable de gérer les coûts à l’aide des subventions de l’État. Créé pour les populations rurales, l’Ofor présente des similitudes et des différences avec la Sones, dans la fonction d’investissement.

Selon le rapport, les deux entités sont toutes des structures de gestion du patrimoine et des autorités contractantes pour l’État : ‘’Elles suivent un modèle financier approuvé par le gouvernement pour prévoir le développement de leurs activités et leurs zones d’expansion. L’objectif du modèle financier et des plans d’affaires est de préserver un équilibre financier optimal à court et à moyen terme, et atteindre l’autosuffisance à long terme. Les deux entités passent des contrats avec les opérateurs privés pour les tâches d’exploitation et de maintenance, et le renouvellement de la petite infrastructure’’.

Des similitudes et des différences

A la différence de la Sones qui travaille en zone urbaine avec un gros opérateur privé (Sen'Eau) pour plus de 6 millions de personnes, l’Ofor signe des contrats avec plusieurs opérateurs pour gérer plus 1 500 réseaux éparpillés dans différentes zones et périmètres ruraux (pour plus de 7,5 millions de personnes).

De plus, ajoute Oumar Diallo, ‘’la Sones est responsable de la mise en œuvre de son programme d’investissement, alors que pour l’Ofor, cette responsabilité revient à la Direction de l’hydraulique (DH) du ministère’’.

Dans l’application des réformes, les contradictions émergent. Le prix de l’eau dans les zones urbaines  est moins cher que celui des zones rurales à l’indice de pauvreté bien plus important. Si cela s’explique par le fait que le secteur de l’hydraulique urbaine bénéficie d’une subvention de l'État à travers le tarif social, l’on en attend de même dans les zones rurales.

Des griefs sont aussi à mettre sur le compte du gouvernement. En effet, beaucoup d’opérateurs privés dénoncent de grands retards dans la réhabilitation et la construction d’infrastructures.  

La réforme induit souvent le remplacement des Asufor (associations des usagers des forages ruraux) par les organismes privés en contrat avec l’Ofor. Ces derniers doivent, en principe, passer de la fonction d’exploitation à celle de représentants des consommateurs. Mis en place dans le cadre du projet sur la réforme de la gestion des forages ruraux (Regefor : 1999-2005), ce système a montré beaucoup de limites. Parmi elles, ‘’le non-respect, par les Asufor, des principes fondamentaux de gouvernance (séparation des fonctions entre la représentation des usagers, la gouvernance et l’exploitation) qui a contribué à l’installation d’une culture de l’incurie et compromis la durabilité des services’’, évoque Oumar Diallo dans son rapport.

La place des Asufor

La réforme a tout de même permis, dans des zones où existait une Asufor, des dispositions transitoires fixées de commun accord pour que l’entreprise privée vende de l’eau en gros à l’Asufor qui se charge de la distribution, de la facturation et du recouvrement. ‘’Dans ce cadre, explique M. Diallo, un contrat de performance est signé entre l’Asufor et l’opérateur privé, sous la supervision de l’Ofor qui veille au respect des indicateurs clés de performance par les deux parties. Le gérant des systèmes de distribution d’eau au sein de l’Asufor signe un contrat de sous-traitance avec l’opérateur privé dans lequel il recouvre des factures auprès des consommateurs et en reverse le produit à l’opérateur privé chargé de la fourniture d’eau en gros’’.

Cela n’empêche toujours pas des confrontations entre ces organisations locales et les opérateurs contractant avec l’Ofor. Ce qui est à l’origine de beaucoup de batailles de gestion de l’exploitation de forages dont les grands perdants restent les populations rurales privées d’eau.

Lamine Diouf

 

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