Publié le 13 Sep 2020 - 03:49
INONDATIONS A DAKAR

La vie sous les eaux des sinistrés

 

Aux quartiers Sotrac, Ousmane Mbengue et Ndoumbélane, dans la commune de Guinaw Rail Sud, Ainoumady à Keur Massar, l’Etat est encore le grand absent. Les populations, sous les eaux, se battent comme des grenouilles pour leur survie. Ici, même les besoins primaires comme manger, dormir, aller aux toilettes deviennent des luxes pour certaines familles.

 

Des images impressionnantes. Des quartiers entiers transformés en vastes rivières. Des populations qui, sous les eaux, se battent pour réussir à fermer l’œil. A Sotrac, Ousmane Mbengue et Ndoumbélane, dans la commune de Guinaw Rail Sud ; Ainoumady et Parcelles dites assainies à Keur Massar, le décor est pitoyable. Un spectacle désolant qui se déroule sous le regard impuissant de riverains désemparés.

Debout dans son salon, les mains accrochées sur les grils de la fenêtre, les jambes totalement immergées dans l’eau, cette habitante du quartier Ainoumady ne cache pas sa désolation. Son visage triste attire notre attention, alors que nous pataugions dans la rue, devenue comme un marigot. De l’intérieur de sa maison prise d’assaut par les eaux pluviales, elle semblait désespérément attendre quelqu’un à qui se confier.

De sa voix étreinte par l’émotion, elle lâche difficilement : ‘’Comme vous le voyez, dit-elle montrant la salle (l’eau lui arrivant presque aux genoux). Toutes les pièces sont comme ça. Les couloirs, n’en parlons même pas. Depuis samedi, je ne mange pas, je grignote. Les toilettes sont remplies d’eau, je n’y ai plus accès. Pour pisser et autre, j’utilise un seau. Je ne peux même plus me laver convenablement. Ce que je vis est atroce. C’est un cauchemar.’’

Installée dans sa nouvelle maison il y a juste quelques mois, la jeune dame, la quarantaine, commence déjà à avoir des remords. A cause des quelques dizaines de millimètres d’eau tombés sur Dakar, presque tous ses bagages ont péri. Au bord du gouffre, elle se confie : ‘’Si j’avais su, j’aurais pu remblayer davantage avant de construire. Mais je n’ai rien su. Tous mes bagages sont partis. Mon frigo, mes lits, mes armoires, mes vêtements, tout est dans l’eau. Certains matériels, je venais à peine de les acheter. Je n’ai personne pour évacuer l’eau. Je vis seule. Mon mari a bougé.’’

Six longs jours que la bonne dame n’arrive plus à dormir du sommeil des justes. Battante, mais impuissante face à la calamité, elle est contrainte à se débrouiller, chaque nuit, pour parvenir à fermer l’œil. Seule dans sa maison, elle se bat autant que faire se peut pour sauver ce qui peut encore l’être. Elle n’envisage, toutefois, pas de quitter les lieux. D’un air plein de chagrin, elle déclare : ‘’Oui, j’aurais pu aller crécher ailleurs, mais je ne peux laisser ma maison comme ça. Quand tu es là, tu peux au moins surveiller et tenter de limiter les dégâts. Mais quand tu abandonnes, les choses vont se gâter davantage. C’est pourquoi je reste. Mais c’est très difficile.’’

Le plus dur, c’est qu’elle n’entrevoit même pas le bout du tunnel. Après plus de six jours immergée, la sinistrée n’a vu aucune autorité. Ni de la collectivité locale, encore moins du gouvernement. Avec courage, elle se bat toute seule contre les eaux. Pour manger, elle monte sur la terrasse où elle a érigé une table de fortune, explique-t-elle dans l’anonymat, enfermée dans sa maison, préférant conserver jusqu’au bout son intimité.

D’habitude grouillant de monde, avec des piétons, des marchands, des véhicules venus de tous les horizons, le quartier Ainoumady ressemble plus à une vaste prison à ciel ouvert. Les habitants, des prisonniers enfermés dans leurs maisons devenues comme des cellules. Commerces, points de transfert d’argent, restaurants, pharmacies, presque tout est à l’arrêt. Le quartier ne vit plus. Après quelques jours de lutte, les riverains semblent capituler, face à l’absence totale d’alternative.

Chez Mara, une grande bâtisse située en face du CEM de Keur Massar, l’eau a chassé tous les occupants du rez-de-chaussée vers l’étage. Avec sa motopompe, le jeune homme, la trentaine, se bat comme il peut pour libérer sa maison de l’emprise des eaux. ‘’Nous n’avons pas le choix, soupire-t-il. Sinon, le niveau de l’eau va monter et il sera difficile de sortir de la maison. De plus, l’eau allait rentrer dans les chambres et causer plus de dommages. Nous passons nos journées à pomper pour limiter les dégâts. Depuis que nous sommes là, c’est la première fois que nous sommes confrontés à pareille situation’’.

Pendant qu’il décrit son calvaire, arrive une belle dame, teint clair, lunettes d’intello bien ajustées. Très élégante dans sa robe aux couleurs bleue et orange, assortie d’un voile orange, elle tient dans une main un sac noir. L’autre lui servant de relever le bas de sa belle robe pour qu’elle ne se mouille pas. Tel est devenu le quotidien des gens d’Ainoumady. Chaque jour, pour se rendre au marché, au boulot ou à la boutique, il faut d’abord patauger. ‘’Comme vous le voyez, soutient la ravissante dame avec un sourire béat, nous sommes obligés de vivre avec l’eau. C’est difficile, mais c’est comme ça’’.

Dans ce quartier, la vie est presque à l’arrêt. Seuls quelques adultes bravent les eaux pour régler quelques urgences, loin de leurs habitations où tous les commerces sont fermés. Des enfants, ayant sans doute échappé à la vigilance de leurs parents, profitent de l’occasion pour s’amuser dans l’eau. Trouvé dans son atelier, le tailleur Babacar Ndiaye éprouve toutes les difficultés pour rejoindre son lieu de travail. Etabli juste derrière le lycée, sur la route qui mène vers Tivaouane Peul, il est obligé de garer son scooter à près d’une centaine de mètres de l’atelier. Le reste du trajet, il se trempe. Les clients, il ne les voit plus. Mais ce qui l’exaspère le plus, c’est, à l’instar de tous nos interlocuteurs, ‘’l’inexistence’’ d’un maire dans la commune. Il dénonce : ‘’Et pourtant, la mairie est tout près. Mais on se demande même si nous avons un maire. Depuis samedi (début des fortes pluies qui ont entrainé les inondations), les autorités n’ont rien essayé. Nous ne voyons personne. L’eau pénétrait jusque dans l’atelier et les maisons quand les voitures passaient. C’est pourquoi les populations ont barré la route’’.

Habitant le quartier depuis 2003, Cheikh Faye a passé plusieurs hivernages dans cette cité. Jamais il n’a vécu pareille situation. A la devanture de sa maison, des sacs de sable sont positionnés pour empêcher l’eau de pénétrer à l’intérieur. Situé juste à l’entrée du marigot, la maison des Faye est pour le moment épargnée. Il n’empêche, le notable compatit pour ses voisins. ‘’Ce qui se passe est la faute exclusive de l’Etat. On construit des routes sans aucun système de drainage des eaux. Même pas de trottoirs, alors que la chaussée (il s’agit de la route secondaire qui passe devant le poste de santé) est livrée depuis plus de trois ans. Aussi, comment une cité comme celle-là, créée depuis les années 1988-1990, peut ne pas bénéficier de réseau d’assainissement ? L’Etat est seul responsable’’, fulmine-t-il enragé. Le seul canal érigé sur la route principale qui mène vers Tivaouane Peul ne sert à rien, selon M. Faye. Qui ajoute : ‘’Ils attendent toujours le dernier moment pour nous parler de plan national Orsec (plan d’organisation des secours). Depuis quand ils ont parlé de plan Orsec ? Est-ce que vous voyez ne serait-ce qu’une motopompe ? De toute façon, moi, je n’attends rien des autorités. Si elles viennent enlever c’est bon, sinon l’eau va tôt ou tard s’évaporer. Je n’attends rien de ces gens’’.

Guinaw Rail Sud, la galère des laissés-pour-compte

Sotrac à Guinaw Rail Sud, des familles entières cohabitent avec les eaux stagnantes depuis le début de l’hivernage. Dans cette partie de la ville de Pikine, dès que les nuages commencent à se former, c’est la trouille dans certaines maisons. Quartier mal loti, dépourvu de voie d’évacuation, Sotrac est un des points névralgiques où convergent plusieurs sources d’eau de ruissellement, en cette période d’hivernage. Au grand dam des riverains.

Routes boueuses. Murs crevassés menaçant ruines. Des herbes sauvages qui poussent à l’intérieur des maisons. Le décor est piteux dans certaines concessions. Chez mère Awa Faye, l’atmosphère est devenue invivable. Sur la fosse septique, sont exposés vêtements, matelas et autres meubles impactés par les eaux. La soixantaine révolue, la maitresse des lieux se confesse : ‘’Tous nos bagages sont détruits. Nous n’avons plus rien. Même le riz qu’on m’a donné, il n’y a pas longtemps (dans le cadre de la lutte contre la Covid), a péri dans l’eau. Nous vivons l’enfer ici. Et c’est le même calvaire depuis près de 15 ans que je vis ici.’’

Locataire, elle payait 50 000 F CFA le mois. Mais depuis quelque temps, elle ne paie plus que 30 000 F. Le mois passé, elle a décidé, avec l’accord de son bailleur, de ne pas payer. Heureusement, se réjouit-elle, qu’il n’y a pas d’enfant dans la maison. ‘’Je vis avec mes trois filles. Il y avait ma belle-fille, mais je lui ai demandé d’aller chez elle à Rufisque, puisqu’elle avait un enfant. Ce dernier avait même commencé à avoir des boutons. Nous voulons déménager, mais nous n’avons pas encore trouvé de maison d’accueil. C’est une situation très difficile’’.

Implorant le soutien des autorités, elle ajoute : ‘’Nous avons vraiment besoin d’aide. Je travaillais, mais je ne le peux plus, parce que je suis malade. Je suis hypertendue et j’ai l’asthme. Je me fatigue trop vite.’’

Chez les Dème, dans le même quartier, c’est le même calvaire. Au quotidien, les occupants se battent contre les eaux pour essayer de sauver ce qui peut l’être. Malgré son âge avancé, Fatima Aly Dème ne se repose pas. Elle revient sur la journée fatidique du dimanche, à l’occasion des fortes pluies. Elle témoigne : ‘’Je ne peux plus rien avec mes hanches. Du matin jusqu’au soir, on luttait contre les eaux. Pendant même qu’il pleut. C’est pour éviter que le niveau de l’eau monte et entre dans les chambres. Nous n’avons pu manger que vers 18 h. Et il fallait mettre des briques. C’est grâce aux voisins que nous avons pu nous débarrasser des eaux. Aujourd’hui encore, nous puisons l’eau avec des seaux, parce que la nappe monte. C’est comme ça, même 4 à 6 mois après la saison des pluies. Nous sommes tout le temps dans l’eau.’’

A Ndoumbélane et Ousmane Mbengue. Le décor est identique. Dans ce second quartier, même si les inondations sont devenues une vieille habitude, les effets ont été amplifiés chez Maty Diop, à cause des travaux du Train express régional. ‘’Leur grue a endommagé le mur de nos toilettes. C’est par là que l’eau est passée et a fait beaucoup de dégâts matériels dans la maison. J’ai perdu même les bagages que j’avais achetés pour travailler. On a passé toute la journée à pomper’’.

Ce jour (jeudi 10 septembre), la famille de Maty Diop commence à reprendre le cours normal de sa vie. ‘’Depuis, ce sont nos voisins qui préparaient pour nous. Ce n’est qu’aujourd’hui que nous avons pu préparer à manger’’, confie-t-elle.   

Pendant que les populations souffrent le martyre, certaines autorités brillent par leur absence. Impactée, Maty Diop décerne une mention spéciale au professeur Daouda Ndiaye. ‘’C’est grâce à lui qu’on a pu vider notre fosse. Le maire nous avait aidés le premier jour, mais après la fosse s’est encore remplie. C’est grâce au professeur que nous avons pu l’évacuer’’.

MOR AMAR

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