Publié le 13 Oct 2023 - 14:45
JUSTICE ET INTÉRIEUR

Des changements qui interrogent et qui interpellent

 

Exception faite de la parenthèse Mbaye Ndiaye (avril 2012-octobre 2012, soit six mois seulement à la tête du ministère de l’Intérieur), le président Macky Sall, lui-même ancien ministre de l’Intérieur, a toujours misé sur de fortes personnalités pour tenir les ministères de la Justice et de l’Intérieur ; d’abord pour régler leurs comptes à ses détracteurs, ensuite pour assurer le service après-vente auprès de la communauté internationale.

 

Ce sont les deux ministères les plus controversés sous le règne du président Macky Sall : la Justice et l’Intérieur. Le président de la République aura tenu à les contrôler jusqu’aux tout derniers mois de son magistère, en les confiant notamment à des hommes de confiance. À la faveur du dernier remaniement, les deux départements ont été retirés à Ismaila Madior Fall (professeur de droit public) et Félix Antoine Abdoulaye Diome (magistrat), deux de ses plus proches collaborateurs dans le gouvernement, pour être confiés à deux autres juristes : Sidiki Kaba et Aissata Tall Sall, tous deux d’éminents avocats connus un peu partout à travers l’Afrique et le monde.

Si au Sénégal où les populations les ont pratiqués depuis des années, ils ont peu de chance de rassurer là où Madior et Antoine ont échoué, à l’international, ces deux personnalités pourraient être des pièces maitresses dans le dispositif de ‘’blanchissement’’ de l’image du régime sérieusement entamée sur la scène internationale.

Ces derniers mois, plusieurs organisations internationales ont exprimé leurs préoccupations par rapport à la situation de la démocratie et des Droits de l’homme au Sénégal. Entre la répression des manifestations politiques, les coupures d’Internet, les emprisonnements tous azimuts de journalistes, d’activistes et de militants politiques, rarement la situation des libertés a été aussi mise à l’épreuve ; les pertes en vies humaines se comptant par dizaines.

Dans un communiqué posté sur son site le 13 juin, le bureau des Droits de l’homme de l’ONU déplorait, à propos de la répression policière, un ‘’sombre précédent dans l’usage d’armes à feu par les forces de l’ordre contre les manifestants’’. Le haut-commissariat de réclamer une enquête indépendante pour faire la lumière dans ces drames. ‘’Pour l’ONU, il s’agit de faire en sorte que toute personne reconnue responsable ‘d’un usage inutile ou disproportionné de la force rende des comptes, quels que soient son statut et son appartenance politique’. À ce sujet, le haut-commissariat s’est dit prêt à offrir l’assistance sur ces enquêtes’’, peut-on lire dans le communiqué.

Dans la même veine, le haut-commissariat s’était également dit préoccupé par ‘’la poursuite des restrictions’’ à la liberté d’expression et de réunion pacifique. Il ressort du communiqué que ‘’le HCDH demande à Dakar de garantir les droits à la liberté de réunion pacifique et d’expression, ainsi que le droit à l’information. Il s’agit aussi de veiller à ce que les journalistes puissent exercer leur profession librement et en toute sécurité, en particulier à l’approche de l’élection présidentielle de 2024’’, préconisait le haut-commissariat qui regrettait les restrictions sur Internet ainsi que les coupures du signal de Walfadjri.

Figure des Droits de l’homme en Afrique et dans le monde, le premier président africain de la Fédération internationale des ligues des Droits de l’homme (FIDH) aura donc la lourde tâche de soigner ces plaies, de redorer l’image du Sénégal sur la scène internationale, spécifiquement en matière de Droits de l’homme. Il faut noter que dernièrement, Dakar a multiplié les initiatives allant dans ce sens. En sus des échanges directs entre le ci-devant ministre de la Justice Ismaila Madior Fall et la représentation des Nations Unies au Sénégal, il faut souligner la décision du président de la République de se rendre lui-même à Genève, dans le cadre des festivités du 75e anniversaire de la Déclaration universelle des Droits de l’homme, organisées par le haut-commissariat.

Sous ce rapport, Me Kaba pourrait être un excellent renfort pour aider le président Sall à polir son image, dans l’optique d’une possible reconversion, en particulier dans le système des Nations Unies. Comme il avait réussi à limiter les dégâts en ce qui concerne les errements de l’État dans le fameux dossier de la traque des biens mal acquis, sous la conduite d’Aminata Touré.

À noter que Maitre Sidiki Kaba a aussi eu à diriger l’Assemblée des États parties à la Cour pénale internationale devant laquelle le président de la République a été cité par les avocats d’Ousmane Sonko avec plusieurs de ses collaborateurs.

Sur le plan interne, Sidiki et Antoine, c’est presque bonnet blanc et blanc bonnet pour de nombreux Sénégalais. Lesquels gardent des souvenirs peu reluisants de son passage à la tête du département de la Justice. Même s’il avait réussi à amorcer et à concrétiser, avec son chef, le processus de libération de Karim Wade dont la condamnation a été dénoncée par plusieurs organisations et institutions internationales, la chronique retient surtout ses affirmations hasardeuses et changeantes, notamment en ce qui concerne les montants recouvrés à travers la traque et la conservation par M. Wade de ses droits civiques et politiques.

Dans la même logique, son passage à la tête du ministère des Affaires étrangères l’a placé au cœur de l’affaire Khalifa Ababacar Sall. L’histoire retiendra surtout que, malgré ses couacs, il n’est pas aussi rejeté qu’un Ismaila Madior Fall ou Antoine Diome. Son réseau dans le monde des organisations des Droits de l’homme et de la société civile n’y est certainement pas étranger. À quatre mois de la Présidentielle, sa gestion du processus électoral sera décisive pour replacer le Sénégal dans le concert des nations démocratiques.  

Au ministère de la Justice, Ismaila est parti et a cédé sa place à une consœur de Sidiki Kaba, en l’occurrence Mme Aissata Tall Sall. Celle-ci a été jusque-là à l’avant-poste dans la grande contre-offensive initiée par l’État du Sénégal, pour éviter de passer pour un État délinquant qui tue et arrête ses citoyens de manière tout à fait irrégulière. ‘’Coordinatrice’’ du livre blanc produit par le gouvernement pour contrecarrer la campagne de dénigrement contre le Sénégal, l’ancienne mairesse de Podor a eu à recevoir toutes les représentations diplomatiques présentes au Sénégal, pour leur vendre la version du gouvernement relativement aux troubles qui ont secoué dernièrement le Sénégal.

Après avoir été l’avocate attitrée pour laver à grande eau l’État, Aissata migre à la Justice pour poursuivre le même travail. Elle pourra sans doute compter sur le réseau qu’elle a su tisser à la tête du département des Affaires étrangères, pour mener à bien cette mission.

Avec Sidiki Kaba, elle pourrait constituer un duo de choc, moins polémique que celui constitué d’IMF et AFAD.

Du point de vue des résultats, les espoirs des Sénégalais semblent très minces, malgré les  actes posés par chef de l’État, à l’occasion de cette redistribution des cartes avec le gouvernement Amadou Ba 2. Ceux qui s’attendaient à des ruptures profondes ont vite déchanté.

En effet, à quatre mois de la Présidentielle, certains espéraient des mesures fortes, allant notamment dans le sens d’une réconciliation de la justice avec le citoyen, d’une restauration de la confiance envers l’institution judiciaire. Mais à l’arrivée, le président de la République, en tout cas dans le choix des profils et la définition des orientations, n’a donné aucun signe de vouloir rompre avec le fonctionnement actuel de la Justice. Pourtant, dans les tiroirs du département, dorment encore plusieurs propositions de réformes visant à renforcer l’indépendance de ce pilier de la démocratie et de l’État de droit. Un dernier chantier qui ne sera peut-être jamais mis en œuvre.

Pour rappel, le ministère de la Justice, de 2012 à maintenant, a été dirigé, tour à tour, par Mme Aminata Touré issue du système des Nations Unies ; Me Sidiki Kaba, sommité internationale des Droits de l’homme ; Ismaila Madior Fall, brillant constitutionnaliste ; Maitre Malick Sall, avocat au réseau très dense ; IMF encore et aujourd’hui Maitre Aissata Tall Sall, avocate, femme politique influente, ancienne ministre des Affaires étrangères.

 Pour ce qui est du ministère de l’Intérieur, outre l’exception Mbaye Ndiaye qui y a fait long feu, il y a eu le général Pathé Seck, le fidèle parmi les fidèles, Abdoulaye Daouda Diallo qui a le plus duré au poste, Aly Ngouille Ndiaye, Antoine Félix Abdoulaye Diome et maintenant Sidiki Kaba. 

MOR AMAR

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