Publié le 14 Oct 2019 - 16:22
L’ÉDITO DE MAHMOUDOU WANE

Miel ou fiel !

 

Impressionnante, la vitesse à laquelle le curseur sait passer dans ce pays, de l’extrême négatif au tout positif. Les rideaux n’ont pas encore fini de tomber sur Massaalikoul Jinaan que la partie se prolonge au Palais présidentiel, entre le ‘’père spirituel’’ et son ‘’fils banni’’. Tout y est, depuis le blanc éclatant des tenues arborées – symbole de paix retrouvée – en passant par l’accueil sur le perron du Palais présidentiel et la cordialité qui transparaissait dans les gestuelles. Il ne manque, sans doute, que les doux encens locaux, comme les Sénégalaises savent bien en préparer, pour que la lune de miel soit parfaite. Romantique !

Effacé, au moins provisoirement, comme sur un coup de baguette magique, le tableau sombre des heures de grandes empoignades. Que n’ont-elles pas entendues, nos bien pauvres oreilles, sur les mille et un péchés de l’un ou l’autre. Une petite revue de presse de ces sept dernières années aurait contrarié tout esprit rationnel, sur la facilité avec laquelle nos deux stars du moment savent passer d’une rive à l’autre.

Mais passons ! Il ne sert à rien de troubler la bonne conscience d’un couple en noces, surtout qu’‘’une parole agréable et un pardon valent mieux qu’une aumône suivie d’un tort’’ (Coran - Al Baqarah-263).

Et puis quoi ? Les effets ne sont-ils pas immédiatement visibles ? La tension politique a bien baissé de plusieurs crans ; ‘’miracle’’ bien perceptible, depuis le 27 septembre 2019, sous les projecteurs du monde entier. Les crispations identitaires au Sénégal, qui avaient commencé par épouser des contours bien haineux, exposés à souhait dans les réseaux sociaux, se font moins prégnantes. Et la bonne parole a largement supplanté la bave dégoulinante des méchantes bouches.     

Que d’enseignements et de leçons de vie pour la jeune génération. Les hommes politiques, au Sénégal, réussissent plus aisément à dépasser leurs contradictions que le peuple ne sait le faire. Et preuve ne saurait être plus évidente, à la lumière des derniers évènements, qu’à la racine des problèmes, on trouve bien l’ombre malveillante d’un politique. Ce constat appelle à la fois à la responsabilité de nos leaders qui doivent bien peser le poids des mots qui sortent de leur bouche et devrait inviter le peuple à faire preuve de plus de maturité et de retenue pour éviter d’être continuellement manipulé par des politiques inspirés généralement par l’instinct de survie.    

Que nous réserve l’avenir ? La question est à la fois ouverte et difficile. L’on a presque envie de dire que la suite du mariage (ou re-mariage) dépend des termes du protocole de Colobane. Or, personne ne sait encore réellement ce que les deux hommes se sont soufflés à l’oreille, loin des caméras. Mais l’indice que l’accord ne saurait pas être banal est livré par le rétropédalage magistral de Maître sur la question de la gestion du pétrole et du gaz.

Or, début juin 2019, Wade et ses alliés du Front de résistance nationale (Frn) se fendait d’un communiqué, à la suite de l’enquête de la Bbc, pour dénoncer ‘’une corruption d’Etat, symbole du discrédit qui frappe les institutions de la République transformées en un grand banquet de familles où se retrouvent parents et alliés du premier au dernier degré’’. Quel élément nouveau, dans ce dossier, pour justifier ces hectolitres d’eau dans le ‘’bissap’’ ? La réponse à cette question ne devrait sans doute pas être recherchée dans l’affaire en elle-même, mais dans autre chose de plus important aux yeux de Wade que le pétrole et le gaz. Ce ‘’quelque chose’’ peut se nommer : Karim Wade.

C’est le fil d’Ariane qui a structuré l’action de Me Wade alors qu’il était au pouvoir, qui motive encore toutes ses démarches – y compris à l’intérieur du Pds et qui, à notre avis, continuera à guider le ‘’Prophète du Sopi’’. En vérité, il sera prêt à toutes les fiançailles possibles qui lui permettent de sauver le cœur qui bat dans sa poitrine. Nous avons encore nommé Karim Wade.

C’est comme qui convoquerait l’impact politique du fameux nez de Cléopâtre. C’est là où gît le problème.

Questions : Jusqu’où ira donc le président Macky Sall dans la volonté qu’on lui prête de réussir (à vérifier) une belle sortie ? Comment réussira-t-on à laver Karim Wade à grande vaisselle, après tout le tintamarre des premières années du règne de Sall ? Quelle crédibilité pour la Commission de répression de l’enrichissement illicite (Crei) ? Quels seraient les effets politiques collatéraux ? Et puis, question majeure : qu’y gagne le pays ?  

C’est dire que le chemin qui reste à faire sera, dans tous les cas de figure, plus long, plus sinueux et surtout… plus glissant. Après les chaleureuses bises de lendemains de retrouvailles, il va bien falloir poser des actes qui peuvent être en décalage avec les intérêts du peuple souverain. Le problème ne se poserait sans doute pas, si notre démocratie disposait d’une société civile active au mirador pour agir comme sentinelle. Or, la société civile sénégalaise est encore inféodée aux forces religieuses qui, pour utiles qu’elles soient, obéissent à des logiques complexes de la perpétuation de leurs intérêts de clans. Le territoire de l’opinion publique est ainsi comme une sorte d’appendice dans l’espace public.   

Et l’opposition dans tout ça ? Elle voit le fil de l’initiative lui passer entre les doigts, sans rien comprendre de ce qui se trame réellement. La voilà obligée de subir les effets d’une recomposition qu’elle n’a pas choisie. Leçons hivernales pour les ‘’jeunes loups’’, ils vont bien devoir retourner à l’école de… Dansokho. Et apprendre. Car la politique, ce sont d’abord les rapports de force à construire, organiser et dynamiser. Patience dans l’effort ! Il aura fallu Benno Siggil Senegaal pour réellement faire le poids face à Wade. Ce qui peut faire bouger un régime, surtout lorsqu’il est solidement assis, ne saurait être banal.

Le buzz ne fait donc pas la révolution !

Section: