Publié le 18 Jun 2025 - 17:33
TRANSPORT AÉRIEN

Faut-il liquider Air Sénégal ?

 

Saisie de ses avions par ses bailleurs, suspension des flux par l'IATA, perspectives sombres, la compagnie nationale Air Sénégal replonge dans des zones de forte turbulence et ressuscite le débat autour de sa viabilité. 

 

Cela ressemble à un trou sans fond. Plus l'État injecte de l'argent, plus la compagnie nationale Air Sénégal s'enfonce dans une montagne de difficultés. Il y a quelques semaines, lors d'une réunion interministérielle, le gouvernement décrivait ce qui ressemblait déjà à une maladie difficilement curable, avec des dettes estimées à 118 milliards F CFA, faisant suite à des pertes cumulées de plus d'une centaine de milliards de francs CFA. Les chiffres du gouvernement faisaient, en effet, état de trous de l'ordre de 89 milliards pour l'exercice 2022 et 57 milliards pour 2023. 

Dans un entretien avec l'Agence de presse sénégalaise (APS), le directeur général de la société évaluait les pertes mensuelles à plus de trois milliards de francs CFA, au moment où il prenait les rênes de l'entreprise. “La compagnie perdait 3,6 milliards à cause d'un réseau disproportionné. Ce qui faisait 40 milliards l'année avec l'ouverture de New York, de l'Europe du Sud, de l'Afrique central”, accusait Tidiane Ndiaye.

 L'une des premières décisions a donc été de recentrer le réseau, de supprimer plusieurs lignes et de se concentrer sur l'Afrique de l'Ouest. 

Même s'il se réjouissait d'une réduction importante des déficits, force est de constater que le problème reste presque entier. La compagnie nationale est loin de sortir du gouffre dans lequel il est plongé depuis des années, malgré les perfusions permanentes de l'État, seul actionnaire à bord.

En avril déjà, le gouvernement annonçait avoir injecté dans la compagnie plus de 181 milliards F CFA depuis sa naissance. Alors jusqu'à quand l'État va-t-il continuer de “jeter de l'argent par la fenêtre”, comme le constatent beaucoup d'observateurs ? La question se pose de plus en plus avec acuité. 

Une perfusion continue et très couteuse pour l'État

Lors de son face-à-face avec nos confrères de l'APS, le directeur général de la compagnie revenait sur les limites du modèle. Transporter des passagers tout court, selon lui, ne peut pas faire gagner de l'argent. Surtout pour une compagnie comme Air Sénégal qui a une mission de service public. “Pour gagner de l'argent, disait-il, nous réfléchissons sur la mise en place de ce qu'on appelle un groupe d'aviation diversifié. Ce qui veut dire qu'il va falloir que tout ce qui gravite autour de l'aviation que la compagnie nationale puisse avoir son mot dessus”, avait-il clamé. 

En langage plus direct, la compagnie nationale veut avoir son mot à dire sur tout ce qui gravite autour de la plateforme aéroportuaire. On peut penser à l'exploitation de l'infrastructure aéroportuaire, au secteur juteux du handling qui a souvent fait l'objet de convoitise.

En attendant la mise en place de ce projet de groupe d'aviation diversifié, la nouvelle équipe dirigeante visait l'équilibre financier dès fin 2025. À l'évidence, ce projet est difficilement réalisable, au vu de la tournure actuelle des choses, avec les problèmes en cascade que traverse l'entreprise. Le dernier en date, c'est le différend avec l'Association du transport aérien international (IATA), qui se trouve être le gendarme mondial de l'aviation civile. Un bras de fer risqué qui pourrait envenimer davantage la situation. 

Le business modèle et le mode de gouvernance en question

Avant cette affaire, des sociétés irlandaises avaient entamé des procédures de saisie sur quatre de ses avions, suite à une décision de justice favorable du tribunal de commerce de Dakar. Les compagnies réclament à Air Sénégal 5,041 millions de dollars. Sur la page ‘’Les passionnés de l'aviation’’, certains experts n'ont pas manqué de lancer l'alerte. Alioune Ndiaye parle de “séquence critique” pour la compagnie nationale, en listant les maux : “Saisie conservatoire, désengagement de Carlyle Aviation Partners, restitution d’appareils loués, suspension potentielle des flux via l’IATA BSP.” 

Ces événements, selon lui, traduisent une perte de crédibilité opérationnelle sur la scène internationale. Monsieur Ndiaye de montrer son étonnement : “Face à cette situation, je m'interroge sur l’appareil de gouvernance et de communication d’Air Sénégal. A-t-il réellement conscience de la nature du secteur aérien dans lequel il opère ? Ce n’est pas une entreprise classique. Ce n’est ni une marque lifestyle ni un projet événementiel. C’est une compagnie certifiée, encadrée, exposée à des règles strictes de sécurité, de conformité, de cash-flow et de transparence contractuelle.”

Alioune Ndiaye (expert) s'interroge sur la “solvabilité” de la compagnie

Revenant sur la mesure prise par l'IATA qui a provoqué l'ire des dirigeants, le spécialiste essaie de tempérer. “Lorsque l’IATA suspend ou bloque les revenus BSP d’une compagnie, ce n’est jamais sans raison. Ce mécanisme est préventif. Il sert à protéger l’écosystème des agences de voyages, des fournisseurs GDS et des compagnies partenaires contre le risque de défaut de paiement. Cela signifie que la solvabilité d’Air Sénégal est aujourd’hui jugée incertaine à l’échelle du système mondial”, prévient-il. 

La compagnie peut-elle survivre à toutes ces difficultés ? Monsieur Ndiaye reste optimiste, mais à condition que la gouvernance soit revue. Il est important, relève-t-il, de revoir la stratégie flotte-réseau face aux réalités économiques de la compagnie ; rétablir un dialogue crédible avec les lessors, l'IATA et les partenaires GDS ; renforcer les équipes avec des profils issus de l’industrie ; passer d’une logique de communication défensive à une gouvernance proactive.

“La compagnie, renchérit-il, n’a pas encore crashé, mais à cette vitesse préoccupante, elle navigue dans la mauvaise piste et risque de perdre rapidement de l’altitude et de toute sa confiance”, avertit l'expert. 

L'État doit-il sortir du capital et trouver des partenaires stratégiques ?

Selon cette source proche de la plateforme, il y a un vrai problème avec le modèle de gouvernance dû essentiellement à l'implication du public. “Je pense qu'il faut revoir l'actionnariat de la compagnie. L'État ne peut pas continuer à verser de l'argent à perte. Dans le domaine des transports aériens, le partenariat est presque un principe de base”, analyse-t-il. Les exemples, à son avis, ne manquent pas.

Sur le continent, il y a le cas d'Air Ivoire avec Air France qui y détiendrait 11 % ; Rwandair qui est en partenariat avec Qatar Airways qui y détient 49 %. Dans le même sillage, le Nigeria prépare le montage de sa compagnie avec Ethiopian qui détient les 49 %, les privés nationaux 46 % et le gouvernement 5 %. “Le Ghana aussi est dans la même dynamique, avec la création de sa compagnie”, ajoute notre source, qui cite également Asky avec comme partenaires des banques privées et Ethiopian Airlines. 

Les mêmes dynamiques sont observées ailleurs, y compris dans les pays plus développés. “Dans l'actionnariat d'Air France, par exemple, tu trouves la France et les Pays-Bas, mais aussi la société CMA CGM, Delta Airlines et les salariés’’.

Cela dit, persiste-t-il, la privatisation n'est pas non plus une panacée. Notre source donne l'exemple d’Ethiopian contrôlée à 100 % par l'État. “Ce qui fait la différence, c'est la rigueur dans la gestion, la diversification des activités. Ethiopian, par exemple, a son école de formation, son hôtel, sa société de maintenance. Depuis des années, le Sénégal s'est engagé dans cette voie, dans le cadre de son programme de hub aérien, mais rien de concret. Le problème, c'est surtout au niveau de la gestion, avec l'implication permanente de l'État qui ne garantit pas la rigueur que requiert le secteur. Une gestion rigoureuse aurait commencé par un appel à candidatures pour avoir le meilleur profil au poste de directeur général et à tous les postes clés”, préconise notre interlocuteur. 

Pour rappel, Air Sénégal a aujourd'hui comme actionnaire unique la Caisse des dépôts et consignations (CDC). Elle dessert 14 destinations en Afrique et une seule en Europe (France). Ces dessertes sont réparties comme suit : 10 vols par semaine sur Abidjan ; un vol quotidien sur Ouagadougou ; un sur Bamako ; la Guinée. Pour la Gambie, c'est cinq vols par semaine ; quatre sur la Mauritanie, en sus des vols domestiques (10 sur Cap Skirring par semaine). La compagnie dessert aussi au quotidien la destination Paris, informait le DG lors de son interview avec l'Agence de presse sénégalaise. 

Par Mor Amar 

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