La fin justifie les copains
Il ne faut pas se leurrer, Noël Le Graët a démissionné entouré de l’affection de son comex, et sûrement en manœuvrant toujours dans l’ombre. Il s’en va surtout sans que la direction fédérale ne donne l’impression de prendre la mesure de la crise, notamment de gouvernance, que traverse la FFF, et par rebond le foot français.
La nouvelle avait quasiment été annoncée ce lundi dans les colonnes de L’Équipe par Jean-Michel Aulas, président de l’OL et membre du comex, qui remerciait presque par avance son ami Noël Le Graët de se sacrifier dans l’intérêt supérieur de la FFF. L’ancien boss de l’En Avant Guingamp quitte pourtant ses fonctions de président au milieu d’une tempête qui menace de noyer le football français. Une situation qu’il a lui-même provoquée sur le long terme, comme l’a souligné l’audit accablant et détaillé qui pointait aussi bien ses comportements problématiques avec les femmes que sa gestion de plus en plus autocratique, sans oublier ses dérapages verbaux (sur le Qatar, sur Zidane, etc.) qui ont accéléré sa chute tardive.
L’homme providentiel et sa grande famille
Pourtant, il aura gardé la main jusqu’au bout, et ce, malgré l’intervention de plus en plus assumée, mais limitée par le droit et la protection de son ami Gianni Infantino, de l’État (la ministre des Sports avec le soutien d’Emmanuel Macron). Il n’avait en fait plus guère le choix. Le conseil national de l’éthique aussi bien que la Haute Autorité avaient décidé d’assumer enfin leurs responsabilités, et éventuellement de sortir les armes que leur procurent les statuts (convocation d’une AG extraordinaire, conseil de discipline, etc.) pour le contraindre à évacuer son siège. En acceptant de partir de son plein gré, il sauve finalement les apparences et surtout son comex, élu sur sa liste en 2021, et ses membres, souvent des proches. D’ailleurs, aucun ni aucune de ces derniers, sauf peut-être Djamel Sandjak qui a lui aussi démissionné, ne s’est désolidarisé. Des larmes auraient même coulé sur les joues de Jean-Michel Aulas et Marc Keller. Pour l’instant, le discours dominant reste celui de la reconnaissance du ventre envers celui qui les a vissés à leur place : « La FFF tient à saluer le bilan sportif et économique remarquable de Noël Le Graët. »
Un homme providentiel qui aurait sauvé la FFF après Knysna, et l’équipe de France en nommant Didier Deschamps, qui a ramené une nouvelle étoile sur le maillot bleu. Sans oublier les contrats juteux avec des partenaires et des finances au beau fixe. L’ancien maire socialiste de sa ville, multimillionnaire et encore fort bien rémunéré par la FIFA, où il a immédiatement rebondi en prenant la direction du bureau parisien de l’instance, aime rappeler ce bilan globalement positif. Personne ne semble interroger son manque de vision pour le foot, son dédain pour le foot amateur, ou encore sa perception d’un autre âge sur des sujets sociétaux où le ballon rond est devenu un terrain essentiel d’expression et de luttes (sexisme, homophobie, racisme…). Enfermé dans sa bulle, l’actuel comex ne semblait pas particulièrement pressé de le ramener à la réalité. On doute qu’il sache prendre date avec son époque désormais, et ce, malgré les belles promesses de son communiqué officiel : « La FFF va également poursuivre les travaux de réforme de sa gouvernance dans le cadre de la loi du 2 mars 2022. Ces travaux avaient été entrepris avant même le début de l’audit. » Un discours qui revient finalement à demander à l’État et à l’opinion de s’occuper de ses affaires plutôt que des leurs.
La grande bataille n’est pas terminée
C’est surtout un lâche soulagement qui semble s’emparer de ce petit monde. Cette option était finalement la pire. Rien ne change. Philippe Diallo va probablement rester président par intérim jusqu’à une AG en juin, qui désignera au sein du comex le futur président. Si les luttes de pouvoir vont désormais s’exposer davantage au grand jour, avec un NLG à l’œuvre en coulisses, rien de ce que l’audit avait dénoncé en matière structurelle ne risque d’évoluer fondamentalement. Tout comme le départ de Sepp Blatter n’avait pas véritablement transformé la FIFA. Noël Graët entend bien contrattaquer sur tous les fronts. Tout d’abord juridique, puisque depuis le 16 janvier, une enquête pour harcèlement moral et sexuel a été ouverte par leparquet. Mais aussi dans son bras de fer avec Amélie Oudéa-Castéra.
Son avocat Thierry Marembert a ainsi confié dans L‘Équipe du 17 février son intention de ruiner le travail de l’audit, et donc l’autorité du ministère. « Cela se conteste (l’audit). On peut tout à fait saisir les tribunaux administratifs. Il y a déjà eu des cas. On peut avoir une indemnisation, mais le mal est fait. Avoir 5000 euros dans cinq ans, ça n’intéresse pas M. Le Graët. […] Il souhaite que la vérité soit reconnue au terme d’un processus contradictoire (par rapport à l’audit) parce que là aussi, il faut dire qu’il n’y en a pas eu. » En cela, il est accompagné par une FFF en plein déni ou bien simplement revigorée par la fermeture de cet épisode désagréable. « Concernant l’audit de l’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche (IGESR), la FFF remarque que ce rapport ne fait état d’aucune défaillance systémique, ni d’aucun manquement à ses missions régaliennes, peut-on lire dans le communiqué du jour. La FFF constate néanmoins que ce rapport se base moins sur des faits objectifs que des appréciations qui ont parfois conduit à un dénigrement disproportionné de l’instance. » Bref, ce comex ne clôt pas la grande bataille autour de la FFF. Il n’en constitue qu’une escarmouche. Et le football du peuple en demeure toujours la victime collatérale.
SOFOOT.COM