Publié le 13 Mar 2023 - 21:21

Le temps est venu d’accepter et d’assumer notre africanité !

 

Ce qui se passe en Tunisie n’est ni nouveau ni surprenant ! Parlez-en bien, parlez-en mal, vous allez y laisser votre souffle sans rien changer.

J’ai lu un court texte de monsieur Cheikh Tidiane Gadio dénonçant ce qui se passe en Tunisie. Son propos commence ainsi : « non président Kaïs Saïed, les Africains noirs ne sont pas des hordes d’envahisseurs ! ». J’ai souri après avoir lu ce texte insipide, sans en comprendre véritablement le but ! Ce n’est pas le président tunisien qui le lira de toute façon…

J’ai souri tout en me posant la question suivante : « Pourquoi diable, voulons-nous être des Africains noirs et non pas des Africains tout court ? » Pour moi, un Africain noir ça sonne redondant, ça sonne mal, ça sonne faux ; ça sonne même bizarre. Parler ainsi sous-entend qu’on puisse dans la même logique dire : « J’ai vu un Africain arabe assis à côté d’un Africain blanc qui discutait avec un Africain jaune ». Il y a quelque chose d’ubuesque pour ne pas dire loufoque dans cette façon de vouloir caractériser les peuples qui vivent sur le continent africain.

Nous savons tous que le vocable « Africain », les Arabes n’en veulent pas ; ils nous le laissent volontiers. Ils ne se définissent pas en Africains. D’ailleurs, dans les communiqués que nous avons tous vus, ils désignent les étrangers subsahariens sur leur sol par le terme « Africains » et ne parlent nullement « d’Africains noirs » tels que le souhaitent monsieur Gadio et tous ces gens qui parlent de fraternité à géométrie variable.

En vérité, j’ai envie de lever les yeux et les mains au Ciel implorant le Tout-Puissant : « Seigneur, donne-nous la force et le courage d’accepter ce que nous sommes, d’accepter que nous sommes des Noirs et d’en être fiers, des Africains tout simplement ! »

Je n’enlèverais à personne sa volonté de clamer et même de chanter à tue-tête, s’il le désire, sa fraternité avec les Arabes ! Toutefois, je ne peux m’empêcher de demander : « pourquoi diable sommes-nous les seuls à vouloir être les frères de tous ? »

J’ai constaté de toute évidence que généralement quand un Arabe interpelle un Africain en lui disant « mon frère », le plus souvent, c’est circonstanciel. L’Arabe qui me dit mon frère au Canada ou au Sénégal ne me dira pas mon frère sur le sol tunisien ou libyen. Les mots ne sont jamais innocents même si les oreilles qui les entendent peuvent être naïves.

Dans l’imaginaire de certains Arabes, ignorants, incultes et foncièrement racistes, la couleur noire représente la divine malédiction. Pour ces gens, la couleur de notre peau résulte du fait que Dieu nous a brûlés sur terre pour montrer qu’Il ne nous aime pas, et ne nous considère point. Et dire que ce sont ces mêmes idiots qui crient sur tous les toits du monde leur amour au Prophète Muhammad (PBSL) et voudraient que l’humanité retienne que tout ce qu’il a dit est vrai. Or ce dernier rappela dans son dernier sermon que : « Toute l’humanité descend d’Adam et Ève. Un Arabe n’est point supérieur à un non-Arabe, et un non-Arabe n’est point supérieur à un Arabe; et les Blancs ne sont point supérieurs aux Noirs, de même que les Noirs ne sont point supérieurs aux Blancs. Aucune personne n’est supérieure à une autre, si ce n’est en piété et en bonnes actions. » Les Arabes qui se réclament de Jésus, quant à eux, lisent avec ferveur dans la Bible que Dieu a créé tous les humains à son image…

Au regard de ce qui se passe en Tunisie, beaucoup de personnes réagissent comme s’ils tombaient des nues. Dites-moi quel est l’Africain qui n’est pas conscient du fait que dans tout le Maghreb être Noir est synonyme d’esclave et rien de moins. D’ailleurs, que cela soit dit en passant, si les Arabes avaient été à la place des Occidentaux dans l’Histoire, l’homme noir n’allait jamais connaître de sitôt la liberté ; la colonisation et l’esclavage allaient sans aucun doute continuer, sous leur gouverne, d’exister dans sa forme brute et la plus cruelle. D’ailleurs, j’en veux pour preuve le fait qu’au moment où je suis en train d’écrire ces lignes, il y a des Sénégalais, des Maliens, des Ivoiriens qui sont maintenus en esclave quelque part dans le monde arabe et qui ne connaîtront la liberté qu’avec la mort.

Du côté du Sénégal où nous sommes originaires, nous n’avons pas besoin d’aller loin pour constater que l’esclavage dans sa forme la plus abjecte existe encore ; il suffit de se retrouver en Mauritanie pour avoir la preuve évidente de ce que nous affirmons : vous y verrez des noirs qui n’ont jamais été libres de leur existence.

Point n’est besoin de parler du cas de la Libye où des humains ayant juste le tort d’avoir la peau noire sont vendus en plein jour comme des chèvres. Le comportement raciste de la plupart des Arabes vis-à-vis des Africains est connu de tous. Malheureusement, tout le monde ferme les yeux ! Et pour comble d’indignité, la plupart des dirigeants d’Afrique continuent de commercer avec leurs homologues esclavagistes, comme si de rien n’était. De toute façon, les Arabes comme les Berbères, s’ils pouvaient n'avoir aucun lien avec l’Afrique, il y a longtemps qu’ils auraient érigé un mur entre le monde noir et le reste du Maghreb. En effet, si c’était possible, les Maghrébins auraient déjà fini de créer un océan au sud du Sahara pour s’isoler dans un nouveau continent dont le nom serait tout trouvé : le Maghreb. Hélas pour nos voisins du Nord : on ne change pas de continent comme on changerait de maison.

Au demeurant, je veux faire savoir à ceux qui s’indignent que ce qui se passe en Tunisie n’est rien d’autre que du bis repetita dans le large spectre du racisme des peuples arabes envers les Noirs. D’ailleurs, c’est pour cette raison et pour d’autres encore que je pense qu’il n’est pas nécessaire de perdre du temps ici en le commentant du côté événementiel !

Notre intention principale, à travers ce texte, c’est de vous dire, à vous jeunes d’Afrique, que ce monde ne changera que si vous décidez, vous-mêmes, d’être les vecteurs du changement. C’est à vous de prendre votre destin en main et de dire non partout où il le faudrait.

Ma génération et celles qui sont antérieures ont longtemps étaient dans des salamalecs, des prières, des pleurs et des rires qui n’ont rien apporté. Mais aujourd’hui, on voit une jeunesse qui se tient debout. Nous sommes assez vieux pour ne pas oublier les singeries, les vols, les agressions, les frustrations dont nous avons longtemps été l’objet dans nos confrontations sportives avec des équipes arabes.

Les incidents lors du match retour des qualifications pour la Coupe du monde entre le Sénégal et l’Égypte le 29 mars à Dakar a fini de prouver que nous avons une jeunesse qui rend désormais coup pour coup et cela ira crescendo. Je vois déjà des imposteurs se lever comme un seul homme pour dire que j’appelle à la violence. Loin de là. J’ai assez de vécu pour savoir que la violence n’est pas une panacée qui règle les problèmes sociaux. Toutefois, je ne peux m’empêcher de magnifier le changement de posture et de paradigme qui est en train de s’opérer en Afrique grâce à une jeunesse consciente et mobilisée. En tout état de cause, cette jeunesse ne m’a pas attendu pour faire ses choix. Elle est déjà dans l’action et la contestation contre l’inacceptable. La France, les chefs d’État dictateurs, les Arabes et tous ceux qui n’ont pas de considération pour les noirs doivent se le tenir pour dit.  

En ce qui me concerne, ma jeunesse est derrière moi, mais je ne manquerais pas pour autant de jouer ma partition dans l’accompagnement d’une jeunesse qui a besoin de guide et de conseils. N’est-ce pas que notre père Cheikh Anta Diop nous disait jadis : « Formez-vous, armez-vous de sciences jusqu’aux dents… » Cette exhortation est aujourd’hui plus valable que jamais. Nos enfants doivent l’endosser pour leurs combats présents et futurs. Mais posséder la science seule ne changera pas le monde, il faut savoir bander ses muscles quand c’est nécessaire. Jeunesse africaine, revendiquez tout ce dont vous avez droit. Le monde est un rapport de force ; rien n’est donné, tout s’arrache. De Dakar à Pretoria, donnez-vous la main, rejoignez-vous, parlez-vous ; unissez vos voix et vos forces pour exister librement et dignement !

Que me reste-t-il d’autres à dire, si ce n’est de demander aux jeunes de revendiquer notre africanité face au monde arabe. D’abord, en commençant par la comprendre, ensuite en la définissant de la façon la plus appropriée à nous rendre justice. Et non pas le faire comme certains serviteurs nègres de la France qui nous ont longtemps endormis avec des formules creuses et perfides.

« Afro », « africanité », « africanisme », ramenons tous ces concepts et leurs dérivés à l’Afrique noire. D’ailleurs, à quoi pense-t-on lorsqu’on entend le terme « afro » ? Évidemment, à l’homme noir et à son identité ; c’est la première référence qui vient à l’esprit de tout le monde de nos jours. Pourquoi ne pense-t-on pas de prime abord ni aux Blancs d’Afrique du Sud, ni à l’Arabe, ni au Berbère, mais uniquement à l’homme ou à la femme noire(e) d’Afrique ?  Cela veut tout dire!

L’Afro, par les soubresauts de l’histoire, est désormais intrinsèquement lié à l’identité noire. La coiffure afro n’est ni berbère, ni arabe, ni juive, mais bien africaine et noire. L’Afro-jazz n’est pas la musique tantôt langoureuse, tantôt stridente de l’Arabe ; c’est une musique qui colle à l’identité noire rattachée à des origines africaines. On pourra me dire que je fais des raccourcis avec l’origine du concept, mais hélas, c’est pour la bonne cause.

L’afro, puisque tout le monde nous le laisse, nous la conservons comme élément de notre identité propre, une forme d’ADN qui caractérise les noirs d’Afrique ; toutefois, avoir la peau noire n’est pas forcément synonyme d’africanité. L’Africanité, c’est avant tout une conscience, un état d’esprit, un lien qui relie l’âme à l’Afrique tel un cordon ombilical.

En définitive, l’Africanité telle que nous la définissons ici est l’essence d’une réalité existentielle qui renvoie à l’homme ou à la femme de peau noire vivant en Afrique ; un être solidaire au sol africain et à ses arbres parce que sa vie et son avenir en dépendent. L’afro, c’est la pierre angulaire de notre africanité. C’est le lieu de revendiquer définitivement le concept et de l’assumer comme étant foncièrement nôtre. Car mieux que toute autre chose, il nous définit. Notre africanité est dynamique, flexible et collective ; ce n’est pas un cri de ralliement égocentrique et ambigu à l’instar de la Négritude ; elle transcende les clivages du temps et de l’espace.

J’ai parlé envers et contre tous. Mais j’ai encore parlé.

Mamadou Bamba Tall,

Ancien étudiant de l’Université Gaston Berger,

Ancien boursier de la Fondation Ford (Université Laval),

Consultant international en éducation,

Employé du Gouvernement du Québec

bambatall@yahoo.fr

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