Publié le 5 Jul 2021 - 12:46
MACKY SALL ET L’ÉQUATION DU TROISIÈME MANDAT

La part du mythe et celle de la réalpolitique dans un vrai faux débat juridique

 

L’ actualité politique sénégalaise est dominée, quasiment depuis la réélection du Président Macky Sall au premier tour des élections présidentielles de février 2019, par ce lancinant débat sur un éventuel troisième mandat que pourrait briguer ou pas l’actuel locataire du palais de Roume ; débat qui, non seulement, pollue l’atmosphère par sa capacité à sursaturer l’espace médiatique mais aussi par la cacophonie qu’il a fini d’installer, chacun des protagonistes des deux camps opposés sur la question tirant la couverture à soi avec force d’arguments ( parfois et bien souvent hélas d’arguties) juridique.

Ce qui finit par laisser pantois le sénégalais lambda qui, balloté entre les points de vue des uns et des autres, est comme pris dans un silence et une valse-hésitation qui semble faire croire que tout le monde a raison dans cette affaire. Alors que dans la réalité des faits, plus que de développer un argumentaire neutre éclairé par les principes et visant à de dire le droit rien d’autre que le droit dans le but d’édifier, sans parti pris, l’opinion du plus grand nombre de nos compatriotes, la plupart de ces intervenants qui squattent les plateaux des télé et inondent les ondes des radios ne font que défendre, chacun leur intérêt propre ou celui  des groupes d’intérêt dont ils sont les porte-voix.

Ces débatteurs acharnés sur l’équation d’un éventuel troisième mandat illustrent de fort belle manière, ce qui, à l’évidence, semble échapper à beaucoup y compris certains d’entre eux : qu’au-delà des faits et actes moteurs des phénomènes, l’objet propre de la politique est la sauvegarde ou la recherche d’intérêts. Chacune partant et parlant de son intérêt personnel avant même qu’il ne soit question de l’intérêt général.

Fort de ce constat, les partisans du pouvoir défendront fermement le troisième mandat (n’en déplaise Macky Sall) à l’instar d’une opposition qui lutte farouchement à sa fin. Aussi, dans ce pays, à l’exception des chefs de confréries et  du clergé, la plupart de ceux qui se réclament de la  société civile, leaders à la tête des syndicats, les militants auto-proclamés des droits de l’homme, les activistes et autres mouvements sont des acteurs politiques revêtus de divers manteaux et  qui manipulent, régulièrement, les populations d’une manière éhontée dans cette arène politique parsemée de crocs en jambe et multicolore d’invectives, de dénigrements et d’injures rien que pour la défense d’intérêts personnels. C’est donc presque normal que perdure ce bruitage incessant sur le troisième mandat où ma position n’a aucunement changé depuis ma contribution de 2019. Mon opinion sur cette question reste que sur le plan juridique , le libellé de l’article 27 de la Constitution de 2016 portant sur la durée du mandat présidentiel de cinq ( 05) ans a été diversement apprécié, du fait d’une situation juridique portant sur le mandat de sept (07) ans en cours et évocable à tout moment. Ainsi, selon l’article 27, je cite : « la durée du mandat du Président de la République est de cinq (05) ans. Nul ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs ».

Considérant les termes de cet article, on peut déduire à contrario ce qui suit : « Nul ne peut faire plus de deux (02) mandats consécutifs » est compris comme : « Nul ne peut faire plus de deux (02) mandats consécutifs de cinq (05) ans » et dès lors, que ledit article ne s’est pas prononcé sur le mandat de sept (07) ans en cours et qu’aucune disposition transitoire n’a été évoquée, on peut affirmer sans risque de se tromper qu’une brèche est ouverte.  Macky Sall en profitera-t-il ? « That is the question » comme disent les Anglais ou près de nous : « Môme ak Sounou Borom rék, nio kham ».

Sur le plan politique, il s’agit de sa parole contre celles des autres. En effet, ce n’est pas parce qu’il avait déclaré ou promis qu’il allait faire deux (02) mandats dont l’un  sept (07) ans et l’autre  quatre (04) ans qu’il est tenu de s’y conformer.  Si les contextes politiques changent et surtout que (pour rappel, l’objet de la politique est la sauvegarde ou la recherche d’intérêts,  son intérêt politique commande de continuer en poursuivant le bail avec son peuple pour mettre en évidence son programme politique et  juridiquement, rien ne pourrait l’en empêcher. En termes clairs, force est de constater que s’il n’y trouve aucun intérêt guidé par les contextes politiques, il va briguer légalement un troisième mandat ; bien cela, certes, n’assure son éventuelle élection car le récent exemple du Président Wade face à la majorité populaire est un fait patent qui demeure non loin de la porte d’à côté.

En outre, je rappelle cette compréhension philosophique des promesses et déclarations de nos hommes politiques car si l’histoire ne se répète pas ; constat est fait que de temps à autre elle bégaie. En effet, rappelons d’abord que Léo le poète, premier Président de la République nous avait promis que : « Dakar sera comme Paris en l’an 2000 ». A l’époque, je me souviens avoir dansé sous les rythmes endiablés du saxophoniste feu Pacheco dans des concerts à travers cette mélodie : « l’an 2000, l’an 2000 : l’an 2000 atoum natanguéla », littéralement : « l’an 2000, l’an 2000 : l’an 2000   sera une année de  prospérité ».

 Nous nous rappelons aussi de l’année « bénie » de 1981 où Abdou Diouf nous avait, longtemps, bercé de déclarations dignes d’un homme politique super engagé dans la gestion des affaires publiques ; année où, président de la république porté au pouvoir à la faveur de l’article 35 de la Constitution d’alors taillé à sa mesure déclarait, je cite : « Dans mon gouvernement, il n’y’aura pas de magouilleurs et de corrompus. Je vais travailler comme dans une maison en verre ». Et mieux, il a créé la Cour de Répression de l’Enrichissement Illicite (CREI) pour les châtier bien que cela n’eut empêché ces déboires commis à nos sociétés nationales et autres qui ont abrégé leur existence.

Abdoulaye Wade, dans un passé d’opposant au régime socialiste, nous avait promis le kilogramme du riz à soixante frs CFA (60), alors qu’il valait plus de cent frs CFA (100). Plus tard, au rappel de cette promesse au sein du régime de Diouf, il répond qu’il ne serait possible et que le Président Abdou Diouf est allé même au-delà de ses possibilités. En 2000, élu, il s’auto proclame « Président de la jeunesse » ; laquelle finit par déserter le territoire pour l’Europe, alors qu’il avait promis des milliers d’emplois.

Et qu’en sera-t-il de Macky Sall ? L’histoire nous le dira ….  Et pourtant, ils l’ont si bien dit : d’abord un proverbe français, je le cite : « Les paroles n’engagent que ceux qui les écoutent » ; ensuite Charles Pasqua, un homme politique français, l’a assené sous une formule plus abrupte encore : « Les promesses des hommes politiques n’engagent que ceux qui les reçoivent » … Plus près de nous, mon grand-père Ouolof Ndiaye, je cite, l’a affirmé moult fois et sans ambages : « Wakhoum politicien doumassi khoulok kéne », ; traduction littérale : « Je ne me disputerai jamais sur les paroles d’un politicien »…

En définitive, seule l’histoire pourra nous édifier sur ce qu’il adviendra du troisième mandat avec le seul sénégalais parmi les quatorze millions que nous sommes à être véritablement en mesure de répondre à cette question. Sinon, bonne lecture et surtout bonne continuation.

           Nalla Ndiaye, chercheur en science politique Ucad

 

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